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«Mylord, et vous, madame, dit-il, bénissons nos enfants!»

Lorsque tout fut dit et redit mille fois, Glenarvan instruisit Harry Grant de ce qui concernait Ayrton. Grant confirma les aveux du quartier-maître au sujet de son débarquement sur la côte australienne.

«C’est un homme intelligent, audacieux, ajouta-t-il, et que les passions ont jeté dans le mal. Puissent la réflexion et le repentir le ramener à des sentiments meilleurs!»

Mais avant qu’Ayrton fût transféré à l’île Tabor, Harry Grant voulut faire à ses nouveaux amis les honneurs de son rocher. Il les invita à visiter sa maison de bois et à s’asseoir à la table du Robinson océanien. Glenarvan et ses hôtes acceptèrent de grand cœur. Robert et Mary Grant brûlaient du désir de voir ces lieux solitaires où le capitaine les avait tant pleurés.

Une embarcation fut armée, et le père, les deux enfants, lord et lady Glenarvan, le major, John Mangles et Paganel, débarquèrent bientôt sur les rivages de l’île.

Quelques heures suffirent à parcourir le domaine d’Harry Grant. C’était à vrai dire, le sommet d’une montagne sous-marine, un plateau où les roches de basalte abondaient avec des débris volcaniques. Aux époques géologiques de la terre, ce mont avait peu à peu surgi des profondeurs du Pacifique sous l’action des feux souterrains; mais, depuis des siècles, le volcan était devenu une montagne paisible, et son cratère comblé, un îlot émergeant de la plaine liquide. Puis l’humus se forma; le règne végétal s’empara de cette terre nouvelle; quelques baleiniers de passage y débarquèrent des animaux domestiques, chèvres et porcs, qui multiplièrent à l’état sauvage, et la nature se manifesta par ses trois règnes sur cette île perdue au milieu de l’océan.

Lorsque les naufragés du Britannia s’y furent réfugiés, la main de l’homme vint régulariser les efforts de la nature. En deux ans et demi, Harry Grant et ses matelots métamorphosèrent leur îlot.

Plusieurs acres de terre, cultivés avec soin, produisaient des légumes d’une excellente qualité.

Les visiteurs arrivèrent à la maison ombragée par des gommiers verdoyants; devant ses fenêtres s’étendait la magnifique mer, étincelant aux rayons du soleil. Harry Grant fit mettre sa table à l’ombre des beaux arbres, et chacun y prit place. Un gigot de chevreau, du pain de nardou, quelques bols de lait, deux ou trois pieds de chicorée sauvage, une eau pure et fraîche formèrent les éléments de ce repas simple et digne de bergers de l’Arcadie.

Paganel était ravi.

Ses vieilles idées de Robinson lui remontaient au cerveau.

«Il ne sera pas à plaindre, ce coquin d’Ayrton! s’écria-t-il dans son enthousiasme. C’est un paradis que cet îlot.

– Oui, répondit Harry Grant, un paradis pour trois pauvres naufragés que le ciel y garde! Mais je regrette que Maria-Thérésa n’ait pas été une île vaste et fertile, avec une rivière au lieu d’un ruisseau et un port au lieu d’une anse battue par les flots du large.

– Et pourquoi, capitaine? demanda Glenarvan.

– Parce que j’y aurais jeté les fondements de la colonie dont je veux doter l’écosse dans le Pacifique.

– Ah! Capitaine Grant, dit Glenarvan, vous n’avez donc point abandonné l’idée qui vous a rendu si populaire dans notre vieille patrie?

– Non, mylord, et Dieu ne m’a sauvé par vos mains que pour me permettre de l’accomplir. Il faut que nos pauvres frères de la vieille Calédonie, tous ceux qui souffrent, aient un refuge contre la misère sur une terre nouvelle! Il faut que notre chère patrie possède dans ces mers une colonie à elle, rien qu’à elle, où elle trouve un peu de cette indépendance et de ce bien-être qui lui manquent en Europe!

– Ah! Cela est bien dit, capitaine Grant, répondit lady Helena. C’est un beau projet, et digne d’un grand cœur. Mais cet îlot?…

– Non, madame, c’est un roc bon tout au plus à nourrir quelques colons, tandis qu’il nous faut une terre vaste et riche de tous les trésors des premiers âges.

– Eh bien, capitaine, s’écria Glenarvan, l’avenir est à nous, et cette terre, nous la chercherons ensemble!»

Les mains d’Harry Grant et de Glenarvan se serrèrent dans une chaude étreinte, comme pour ratifier cette promesse.

Puis, sur cette île même, dans cette humble maison, chacun voulut connaître l’histoire des naufragés du Britannia pendant ces deux longues années d’abandon. Harry Grant s’empressa de satisfaire le désir de ses nouveaux amis:

«Mon histoire, dit-il, est celle de tous les Robinsons jetés sur une île, et qui, ne pouvant compter que sur Dieu et sur eux-mêmes, sentent qu’ils ont le devoir de disputer leur vie aux éléments!

«Ce fut pendant la nuit du 26 au 27 juin 1862 que le Britannia, désemparé par six jours de tempête, vint se briser sur les rochers de Maria-Thérésa. La mer était démontée, le sauvetage impossible, et tout mon malheureux équipage périt. Seuls, mes deux matelots, Bob Learce, Joe Bell et moi, nous parvînmes à gagner la côte après vingt tentatives infructueuses!

«La terre qui nous recueillit n’était qu’un îlot désert, large de deux milles, long de cinq, avec une trentaine d’arbres à l’intérieur, quelques prairies et une source d’eau fraîche qui fort heureusement ne tarit jamais. Seul avec mes deux matelots, dans ce coin du monde, je ne désespérai pas. Je mis ma confiance en Dieu, et je m’apprêtai à lutter résolument. Bob et Joe, mes braves compagnons d’infortune, mes amis, me secondèrent énergiquement.

«Nous commençâmes, comme le Robinson idéal de Daniel de Foe, notre modèle, par recueillir les épaves du navire, des outils, un peu de poudre, des armes, un sac de graines précieuses. Les premiers jours furent pénibles, mais bientôt la chasse et la pêche nous fournirent une nourriture assurée, car les chèvres sauvages pullulaient à l’intérieur de l’île, et les animaux marins abondaient sur ses côtes. Peu à peu notre existence s’organisa régulièrement.

«Je connaissais exactement la situation de l’îlot par mes instruments, que j’avais sauvés du naufrage. Ce relèvement nous plaçait hors de la route des navires, et nous ne pouvions être recueillis, à moins d’un hasard providentiel. Tout en songeant à ceux qui m’étaient chers et que je n’espérais plus revoir, j’acceptai courageusement cette épreuve, et le nom de mes deux enfants se mêla chaque jour à mes prières.

«Cependant, nous travaillions résolument. Bientôt plusieurs acres de terre furent ensemencés avec les graines du Britannia; les pommes de terre, la chicorée, l’oseille assainirent notre alimentation habituelle; puis d’autres légumes encore. Nous prîmes quelques chevreaux, qui s’apprivoisèrent facilement. Nous eûmes du lait, du beurre. Le nardou, qui croissait dans les creeks desséchés, nous fournit une sorte de pain assez substantiel, et la vie matérielle ne nous inspira plus aucune crainte.

«Nous avions construit une maison de planches avec les débris du Britannia; elle fut recouverte de voiles soigneusement goudronnées, et sous ce solide abri la saison des pluies se passa heureusement. Là, furent discutés bien des plans, bien des rêves, dont le meilleur vient de se réaliser!

«J’avais d’abord eu l’idée d’affronter la mer sur un canot fait avec les épaves du navire, mais quinze cents milles nous séparaient de la terre la plus proche, c’est-à-dire des îles de l’archipel Pomotou. Aucune embarcation n’eût résisté à une traversée si longue. Aussi j’y renonçai, et je n’attendis plus mon salut que d’une intervention divine.