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«Je veux dire, reprit lady Helena, qu’on doit s’estimer heureux de commencer la vie du mariage par une bonne action. Eh bien, vous, mon cher Edward, pour me plaire, vous avez projeté un voyage de plaisir! Mais quel plaisir sera plus vrai, plus utile, que de sauver des infortunés que leur pays abandonne?

– Helena! s’écria lord Glenarvan.

– Oui, vous me comprenez, Edward! Le Duncan est un brave et bon navire! Il peut affronter les mers du sud! Il peut faire le tour du monde, et il le fera, s’il le faut! Partons, Edward! Allons à la recherche du capitaine Grant!»

À ces hardies paroles, lord Glenarvan avait tendu les bras à sa jeune femme; il souriait, il la pressait sur son cœur, tandis que Mary et Robert lui baisaient les mains. Et, pendant cette scène touchante, les serviteurs du château, émus et enthousiasmés, laissaient échapper de leur cœur ce cri de reconnaissance:

«Hurrah pour la dame de Luss! Hurrah! Trois fois hurrah pour lord et lady Glenarvan!»

Chapitre V Le départ du «Duncan»

Il a été dit que lady Helena avait une âme forte et généreuse. Ce qu’elle venait de faire en était une preuve indiscutable. Lord Glenarvan fut à bon droit fier de cette noble femme, capable de le comprendre et de le suivre. Cette idée de voler au secours du capitaine Grant s’était déjà emparée de lui, quand, à Londres, il vit sa demande repoussée; s’il n’avait pas devancé lady Helena, c’est qu’il ne pouvait se faire à la pensée de se séparer d’elle.

Mais puisque lady Helena demandait à partir elle-même, toute hésitation cessait. Les serviteurs du château avaient salué de leurs cris cette proposition; il s’agissait de sauver des frères, des écossais comme eux, et lord Glenarvan s’unit cordialement aux hurrahs qui acclamaient la dame de Luss.

Le départ résolu, il n’y avait pas une heure à perdre. Le jour même, lord Glenarvan expédia à John Mangles l’ordre d’amener le Duncan à Glasgow, et de tout préparer pour un voyage dans les mers du sud qui pouvait devenir un voyage de circumnavigation. D’ailleurs, en formulant sa proposition, lady Helena n’avait pas trop préjugé des qualités du Duncan; construit dans des conditions remarquables de solidité et de vitesse, il pouvait impunément tenter un voyage au long cours.

C’était un yacht à vapeur du plus bel échantillon; il jaugeait deux cent dix tonneaux, et les premiers navires qui abordèrent au nouveau monde, ceux de Colomb, de Vespuce, de Pinçon, de Magellan, étaient de dimensions bien inférieures.

Le Duncan avait deux mâts: un mât de misaine avec misaine, goélette-misaine, petit hunier et petit perroquet, un grand mât portant brigantine et flèche; de plus, une trinquette, un grand foc, un petit foc et des voiles d’étai. Sa voilure était suffisante, et il pouvait profiter du vent comme un simple clipper; mais, avant tout, il comptait sur la puissance mécanique renfermée dans ses flancs.

Sa machine, d’une force effective de cent soixante chevaux, et construite d’après un nouveau système, possédait des appareils de surchauffe qui donnaient une tension plus grande à sa vapeur; elle était à haute pression et mettait en mouvement une hélice double. Le Duncan à toute vapeur pouvait acquérir une vitesse supérieure à toutes les vitesses obtenues jusqu’à ce jour. En effet, pendant ses essais dans le golfe de la Clyde, il avait fait, d’après le patent-log, jusqu’à dix-sept milles à l’heure. Donc, tel il était, tel il pouvait partir et faire le tour du monde. John Mangles n’eut à se préoccuper que des aménagements intérieurs.

Son premier soin fut d’abord d’agrandir ses soutes, afin d’emporter la plus grande quantité possible de charbon, car il est difficile de renouveler en route les approvisionnements de combustible. Même précaution fut prise pour les cambuses, et John Mangles fit si bien qu’il emmagasina pour deux ans de vivres; l’argent ne lui manquait pas, et il en eut même assez pour acheter un canon à pivot qui fut établi sur le gaillard d’avant du yacht; on ne savait pas ce qui arriverait, et il est toujours bon de pouvoir lancer un boulet de huit à une distance de quatre milles.

John Mangles, il faut le dire, s’y entendait; bien qu’il ne commandât qu’un yacht de plaisance, il comptait parmi les meilleurs skippers de Glasgow; il avait trente ans, les traits un peu rudes, mais indiquant le courage et la bonté.

C’était un enfant du château, que la famille Glenarvan éleva et dont elle fit un excellent marin. John Mangles donna souvent des preuves d’habileté, d’énergie et de sang-froid dans quelques-uns de ses voyages au long cours. Lorsque lord Glenarvan lui offrit le commandement du Duncan, il l’accepta de grand cœur, car il aimait comme un frère le seigneur de Malcolm-Castle, et cherchait, sans l’avoir rencontrée jusqu’alors, l’occasion de se dévouer pour lui.

Le second, Tom Austin, était un vieux marin digne de toute confiance; vingt-cinq hommes, en comprenant le capitaine et le second composaient l’équipage du Duncan; tous appartenaient au comté de Dumbarton; tous, matelots éprouvés, étaient fils des tenanciers de la famille et formaient à bord un clan véritable de braves gens auxquels ne manquait même pas le piper-bag traditionnel. Lord Glenarvan avait là une troupe de bons sujets, heureux de leur métier, dévoués, courageux, habiles dans le maniement des armes comme à la manœuvre d’un navire, et capables de le suivre dans les plus hasardeuses expéditions. Quand l’équipage du Duncan apprit où on le conduisait, il ne put contenir sa joyeuse émotion, et les échos des rochers de Dumbarton se réveillèrent à ses enthousiastes hurrahs.

John Mangles, tout en s’occupant d’arrimer et d’approvisionner son navire, n’oublia pas d’aménager les appartements de lord et de lady Glenarvan pour un voyage de long cours. Il dut préparer également les cabines des enfants du capitaine Grant, car lady Helena n’avait pu refuser à Mary la permission de la suivre à bord du Duncan.

Quant au jeune Robert, il se fût caché dans la cale du yacht plutôt que de ne pas partir. Eût-il dû faire le métier de mousse, comme Nelson et Franklin, il se serait embarqué sur le Duncan. Le moyen de résister à un pareil petit bonhomme!

On n’essaya pas. Il fallut même consentir «à lui refuser» la qualité de passager, car, mousse, novice ou matelot, il voulait servir. John Mangles fut chargé de lui apprendre le métier de marin.

«Bon, dit Robert, et qu’il ne m’épargne pas les coups de martinet, si je ne marche pas droit!

– Sois tranquille, mon garçon», répondit Glenarvan d’un air sérieux, et sans ajouter que l’usage du chat à neuf queues était défendu, et, d’ailleurs, parfaitement inutile à bord du Duncan.

Pour compléter le rôle des passagers, il suffira de nommer le major Mac Nabbs. Le major était un homme âgé de cinquante ans, d’une figure calme et régulière, qui allait où on lui disait d’aller, une excellente et parfaite nature, modeste, silencieux, paisible et doux; toujours d’accord sur n’importe quoi, avec n’importe qui, il ne discutait rien, il ne se disputait pas, il ne s’emportait point; il montait du même pas l’escalier de sa chambre à coucher ou le talus d’une courtine battue en brèche, ne s’émouvant de rien au monde, ne se dérangeant jamais, pas même pour un boulet de canon, et sans doute il mourra sans avoir trouvé l’occasion de se mettre en colère. Cet homme possédait au suprême degré non seulement le vulgaire courage des champs de bataille, cette bravoure physique uniquement due à l’énergie musculaire, mais mieux encore, le courage moral, c’est-à-dire la fermeté de l’âme.