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Le père est horrifié. Lorsqu'il se présente devant la juge, la même que les fois précédentes, il est bouleversé. Il parle à peine. Il demande au magistrat de lire le témoignage de Castagnette. Lui s'en tiendra là. Il ne fera qu'une observation: en tant que père, il n'accepte pas que ses deux enfants vivent dans un climat où la haine et la violence président, avec un homme autorisé à écrire, donc à dire, donc à laisser sinon à faire entendre à ses deux garçons que leur père, oui, leur père, les hait.

Dans un silence plombé, la juge lit le témoignage. Dépose les feuillets sur le bureau, regarde ses vis-à-vis et déclare seulement:

«Il y a en effet un problème.»

Ordonne un examen médico-psychologique et nomme un cabinet d'expertise avec mission d'examiner les enfants, de procéder à tous entretiens utiles avec les parents et gardiens, de recueillir tous renseignements sur la situation matérielle et morale des parties et tous éléments de nature à éclairer le Tribunal sur les mesures relatives à la résidence et au droit de visite et d'hébergement les plus conformes à l'intérêt des enfants. Dit que le rapport devra être déposé au Secrétariat-Greffe dans le délai de trois mois à compter de la mise en œuvre.

Merci Castagnette.

«Il est à fond dans le potin! s'écrie Victor.

– On va aller voir un psy? demande Tom.

– Je mettrai ma jupe rouge, déclare Héloïse.

– C'est pas une corrida! remarque Paul.

– T'iras pas, de toute façon.

– Les psys, c'est des cons, reprend Victor.

– T'en connais aucun!

– Tropa! Dans ma très longue carrière, j'en ai croisé cinq ou six. Le meilleur moment, c'est quand tu t'allonges. T'es cool et tu dors.

– Tu ronfles quand tu dors?

– Non, il pète!

– Les garçons, c'est vraiment débile! déplore Héloïse.

– T'as les nichons qui poussent, hihihi!» susurre Paul.

Tour de table. Victor souhaite que Tom aille chez son père parce que lui-même se voit assez bien cas unique chez la reum. Héloïse voudrait que Tom vienne, mais aussi Victor, se déclare prête à partager sa chambre à condition qu'on ne touche pas à ses livres et qu'on remette les CD dans les boîtes après s'en être servi. Paul préférerait que ce soit Victor qui vienne plutôt que Tom, et si c'est Tom, il est prié de choisir d'autres copains que les siens. Tom n'a pas changé d'avis. Mais si Victor devait occuper les mêmes lieux que lui, ça modifierait tout.

«Catastrophe nationale! s'exclame Victor. Où vont les nains?»

Jeanne lui prend la main, puis l'épaule, puis le cou, puis la bouche, et murmure, avec la langue:

«Tu vas gagner.»

Une fois dans un sens, une fois dans l'autre.

Sourit de ses grands yeux noirs et rectifie:

«On va gagner.»

«Ne t'inquiète pas, affirme Tom, je ne changerai pas d'avis.»

Du haut de ses tout petits dix ans, l'enfant a compris qu'il détenait la clé de la situation. Elle repose sur lui. Il la prend en charge avec une détermination redoutable. Pap' admire son courage. Il ne lui connaissait pas cette ténacité qui le sort brusquement d'une petite enfance attendrissante.

Le week-end précédant la rencontre avec le psy, Pap' lui demande une dernière fois s'ils doivent aller jusqu'au bout de la démarche. Tom répond par une exclamation qui sonne comme un sanglot:

«On dirait que tu veux m'abandonner!»

La psy est une petite dame ronde et aimable. Elle reçoit au cœur d'un centre commercial du XXe arrondissement. On traverse deux cours battues par le vent, on passe devant les fruits et légumes, puis c'est le rayon bricolage, on tourne après les ordinateurs recyclés, troisième à droite, c'est là. Porte blindée, sans serrure. Il faut sonner. Le battant pivote, actionné de l'intérieur. Salle d'attente: une pièce ouverte par la transparence de vitres à l'épreuve des balles sur le grand large de la cité.

La première fois qu'il s'y rend, la reum est là, avec Victor. Ils sont assis sur une banquette de moleskine déchirée. Ils sont déjà passés. Tom est en seance.

Il s'assied un peu à l'écart. Victor le retrouve. Puis il rebrousse chemin. Il va et vient entre sa mère et lui, soucieux d'impartialité. Au-delà des cloisons de verre, passent des Blacks et des Beurs vêtus comme ses enfants, Nique et Rilf Lorrain.

«Fringues tombées du camion», apprécie Victor.

Il suit les représentants du petit commerce d'un regard impavide et ajoute:

«Ils se la jouent.

– Tu as déjà vu la psy? demande Pap'.

– Oui. Elle est ouf. La reum dit pareil. Il n'y a que le nain, à mon avis, qui va faire sa compote avec.»

Retourne chez la reum, crispée sur sa chaise, jambes croisées haut, joli chignon, chaussures de sport siglées. Elle lui décoche un grand sourire, contraint mais quand même, il détourne le regard, il ne faut pas exagérer.

Une porte s'ouvre dans le lointain. Blindée et sans poignée, comme la première. Tom survient, raccompagné par la psy. Il se précipite vers son père et saute dans ses bras. Ici, il n'y a pas de copains. Et ils sont là pour défendre la même cause.

«Vous ne vous êtes pas vus depuis longtemps? demande la psy.

– Avant-hier.»

Il pense: un point pour nous.

Bureau tout en longueur, deux fauteuils, le canapé traditionnel, quelques jouets d'enfants. Il prend place face à la psy. Qui a vu les garçons, une fois chacun, et les reverra à tour de rôle, avec leur mère puis avec leur père.

«Que pensez-vous de la situation?»

Il s'explique. Il connaît le point de vue de la reum, qui a ses raisons. Lui défend les siennes, et c'est pourquoi il est là.

«Que feriez-vous si le juge refusait de séparer les deux garçons?

– Je les prendrais tous les deux.

– Et la garde alternée?»

Il accepterait. Elle serait difficile à mettre en place en raison de l'âpreté des rapports. Mais il faudrait essayer.

«La mère est contre. Elle l'a refusée à votre fils Tom, qui la lui avait proposée.»

Il l'ignorait.

Au fur et à mesure que se déroule l'entretien, il perçoit les rôles qui sont les leurs. La reum est arc-boutée sur un territoire qu'elle veut défendre à tout prix, passant d'un argument à l'autre sans rien entendre ni rien céder. La garde alternée? Non. L'élargissement du droit de visite? Non. Ici aussi, elle a voulu affirmer ce qu'elle prétend ailleurs, que le père veut lui enlever son enfant, que celui-ci est manipulé et en quelque sorte obligé, que l'homme qui agit en sous-main est diabolique, l'aime encore, ne se remet pas de la séparation, veut se venger… Mais dans le cabinet de la psy, le feu ne prend pas. La praticienne connaît trop bien ces arguments pour s'y laisser prendre.

«Mécanismes classiques, d'une grande banalité», observe-t-elle.

Il n'est pas là pour parler de la mère. Il est là pour ses enfants.

«Savez-vous pourquoi votre fils veut venir chez vous?

– Pour partir de là-bas.

– Savez-vous pourquoi il veut partir de là-bas?»

Evidemment.

Il explique.

La psy note.

Lorsqu'ils se quittent, après deux heures d'entretien serré, Pap' ne perçoit pas de réponse à la seule question qui lui importe: entendra-t-elle Tom?

Il revient. Avec Victor, puis Tom, puis Jeanne, puis seul. De son côté, la reum est entendue avec les enfants. Castagnette donne son point de vue à son tour. Rien ne filtre. Nul ne sait. Probablement ont-ils tous tenté de sonder la psy pour percevoir dans quel sens elle allait conclure. Sans résultat, au moins pour lui-même.