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«C'est la seule question, dit-il froidement, à condition que je sois d'accord avec toi pour lui reconnaître cette qualité.»

Il l'a heurtée. Elle l'assassine d'un regard sombre.

«Tu refuses qu'il fasse du sport?»

C'est un sifflement. Il sait qu'ils vont monter en régime. Il se lève et va fermer la porte. Pourquoi le cherche-t-elle ainsi? Qu'attend-elle?

«Demandons à Tom, suggère-t-il de nouveau.

– Non.»

Il réfléchit à fond de train, et propose une solution intermédiaire:

«Il fait du sport le samedi après-midi, mais il reste avec moi le mercredi.

– Toute la journée?

– Nombre d'heures équivalent.

– C'est anormal.»

Il ose demander pourquoi.

«Le samedi, il fait du sport pour lui-même. Le mercredi, il te voit pour toi.»

Il la considère, les yeux tout ronds.

«Ce n'est plus une question de lui à lui, mais de lui à toi. Ou de toi à lui.

– Peut-être suis-je aussi indispensable à Tom qu'une heure de hand! maugrée-t-il.

– Oui, mais le temps qu'il passerait avec toi le mercredi soir ne correspondrait plus au temps qu'il passerait avec moi le samedi.

– Est-ce si important?

– Il a besoin de sa mère.

– Et aussi de son père.

– Comme tu as pu le voir, remarque-t-elle avec gravité, je n'en disconviens pas.

– Laissons tomber pour le samedi, propose-t-il. Nous en reparlerons plus tard.»

Il s'avance vers la porte. La reum le retient par le bras.

«Je te fais une contre-proposition. Il fait du sport le samedi et reste avec moi une heure de plus après. En échange, tu le gardes deux heures de plus le mercredi.

– Ce n'est pas équitable.

– Comptons», dit-elle.

Elle s'en va quérir une feuille et un crayon, astique la mine et s'empêtre dans des opérations à trois chiffres. Elle finit par renoncer, quitte de nouveau la cuisine et revient avec une calculette.

Elle se concentre sur de savants calculs alignés dans deux colonnes estampillées lui et moi. Au terme de quoi, elle fait une proposition chiffrée:

«Tu prends Tom quatre-vingt-dix minutes de moins tous les quinze jours, soit un manque à gagner de quarante-cinq minutes par semaine. J'ajoute à cela deux heures de sport hebdomadaires, plus une heure avec sa maman, trois heures tous les quinze jours, c'est-à-dire une nouvelle fois quatre-vingt-dix minutes que je divise par trois, un tiers pour toi, deux tiers pour moi car je ne le vois pas, que ce soit ton week-end ou le mien. Donc, je défalque.

– Pourquoi comptes-tu une heure supplémentaire passée avec toi?

– Qui le prépare?

– Qui va le chercher?

– J'irai, dit-elle.

– Ce n'est pas juste. Normalement…»

Elle lui coupe la chique d'un sourire de guillotine:

«Puisque je l'habille, il faut aussi que je le déshabille! Tu ne l'imagines quand même pas venant chez toi en tenue de hand!

– Parfaitement, s'écrie-t-il.

– Mon pauvre ami!» le plaint-elle.

Elle revient à ses comptes. Au résultat, elle obtient un bénéfice égal si Tom reste avec elle quarante-cinq minutes de plus le mercredi.

«Je suis bonne fille. J'arrondis à une heure.»

Elle exige que les heures de sport du samedi soient soustraites à l'un comme à l'autre, y compris l'heure supplémentaire qu'elle s'est octroyée puisque, dit-elle, C'est comme la viande, ça se larde et s'entrelarde pour être meilleur au goût, après on ne s'en occupe plus pendant la cuisson, mais le découpage est très important si on veut bien profiter de la préparation.

Il essaie d'argumenter sur la question du transport, étant admis qu'une marchandise à livrer n'est pas une marchandise consommée; pour reprendre l'exemple de la viande, l'apprêter n'est pas la manger; or, Tom dans la voiture ou sur la moto n'est pas comme Tom chez lui, Nous ne sommes pas vraiment ensemble, pourrait-on diviser par deux la charge du fret?

«Non», dit-elle.

Il se lève.

«Oublions pour le moment.»

Il pense que la nuisette était une proposition, son refus de la nuisette, une humiliation, et qu'elle s'en remettra quand l'eau aura passé sous les ponts de ses humeurs.

Elle le rejoint comme il ouvre la porte de la cuisine.

«D'autre part, dit-elle en repoussant le battant, j'aimerais que ta coiffeuse cesse de couper les cheveux de Tom et de Victor.

– Ah!» fait-il.

Il a compris.

«Mes enfants n'ont pas besoin d'elle!

– Tes enfants sont également les miens, rectifie-t-il, et Jeanne n'est pas coiffeuse.

– Ça se voit. C'est pourquoi je préférerais me charger moi-même de ces affaires-là. D'après la loi, l'entretien des enfants m'incombe.

– Nous incombe», rectifie-t-il.

Il abaisse la poignée de la porte. Elle est tout près de lui. Elle siffle:

«Et enfin, je te prie de ne pas oublier que c'est moi qui t'ai foutu dehors!»

Il la regarde dans le blanc des yeux et, sans rage, avec même un grand sourire, il conclut:

«Je te remercie de l'avoir fait.»

Puis s'en va.

«Je veux vivre avec toi, dit Jeanne. Dans la même maison, avec tous nos enfants.»

Il refuse.

C'est l'hiver.

«Dormir toutes les nuits avec toi, te regarder travailler, partir le matin et rentrer le soir.»

Il refuse.

C'est le printemps.

«Je veux un enfant», dit-elle.

Il ne répond pas.

C'est l'été.

«Si en plus de ne pas avoir d'enfants ensemble, on ne vit pas sous le même toit, notre histoire n'est rien, elle est déplorable, elle est consternante, et je pleure.»

Elle pleure, elle est triste. Il la prend dans ses bras.

«Je voudrais une maison à nous, qu'on choisirait ensemble.

– Je ne peux pas déménager.

– Chez toi, je n'aime pas la moquette…

– Nous mettrons du parquet.

– L'éclairage est nul.

– On le changera.

– La couleur de la peinture me donne le cafard.

– Tu en choisiras une autre.

– Ne dis pas que tu ne peux pas déménager. Dis que tu ne veux pas.»

Il reste silencieux.

«C'est parce que tu ne m'aimes pas. Tu ne m'aimes plus. Nous nous sommes trompés. Je vais m'en aller et repartir dans mon coin.»

Ce n'est pas une menace. C'est un charme, pour l'attendrir. Elle est comme une enfant jouant avec un papillon. Il se laissera prendre.

«Je veux me lever chaque matin avec toi, m'endormir tous les soirs avec toi, ne plus avoir à traverser la rue pour te voir, rester toujours avec toi.

– Et les enfants?

– Ils sont d'accord.»

Elle laisse sa phrase en suspens avant d'ajouter:

«Ils émettent une condition.

– Laquelle?

– Un chat.

– Certainement pas!»

Dans la journée, il travaille. Lorsque son esprit s'évade, c'est pour visiter la maison. Il cherche des chambres, des salles de bains supplémentaires, il se demande où il pourrait écrire, s'il ne trahirait pas ses fils, quelles pièces il leur donnerait…

«Ne change rien, dit Jeanne. Nous venons et nous voyons. Si ça ne marche pas, nous repartons.

– Sur la pointe des pieds?

– Aussi doucement que possible, pour ne pas déranger.»

Il convoque un architecte. Qui dresse un étage supplémentaire, sur plan. Il le montre à Jeanne.

«Il faudrait une porte ici, et une autre là. Un lavabo dans la chambre pour que je me maquille auprès de toi, et des fenêtres qui ouvriraient sur ton bureau. Quand je me réveillerai, je les ouvrirai, et je te dirai bonjour. Ainsi, nous serons toujours l'un près de l'autre.»

Il appelle des entrepreneurs. Il fait établir des devis. Un mardi soir, il va chercher ses deux enfants. Il les emmène au restaurant, et il leur dit:

«Jeanne et moi envisageons de vivre ensemble.»

Tom fait Ah! Victor fait Bof.

Il demande:

«Qu'en pensez-vous?»

Tom, du bien; Victor, pas trop de mal.

«On pourrait avoir un chat, argumente-t-il.

– T'as fumé!

– Qui aura ta chambre? demande Tom.

– Moi, fait Victor.

– Jeanne l'a proposé…

– Il est ouf, lui! s'indigne Tom. Pourquoi lui?

– Parce que les nains passent après.

– C'est ça, Blanche Neige…»

Ils achètent du balsa et construisent la maquette du dernier étage, qui sera le leur. Le soir, chez elle, quand les enfants dorment, ils placent et déplacent les cloisons jusqu'à obtenir les dimensions parfaites pour un bureau honorable et une chambre tout compris: lit, salle de bains, lavabos.

«Notre nid d'amour. On pourra y vivre sans bouger.»

Trois ans après avoir rencontré Jeanne, il lance les travaux. Ils parcourent les magasins à la recherche du bois idéal pour le plancher, des vasques les plus jolies, des lampes aux éclairages les plus doux. Jeanne propose. Ils choisissent ensemble. Elle manifeste une exigence confondante, posant mille questions alors que deux lui eussent suffi, changeant de boutique, comparant, revenant, embarquant des échantillons, testant, renonçant, cherchant encore, sans cesse. Au cours de leurs pérégrinations, rien ne la perturbe sinon l'apparition, au coin d'une rue, d'une boutique de chaussures. Elle entre, elle essaie, elle hésite, elle pose, elle part, elle revient, elle achète.