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– Tu ne dois pas accepter cela, répliquet-elle. Il se moque de toi.»

Il n'oblige pas ses enfants à le voir s'ils ne le souhaitent pas, mais il s'est accordé avec eux pour que, les jours où ils doivent être chez lui, ils décident ensemble de l'organisation du weekend. La méthode offre à l'un l'illusion d'une quotidienneté partagée, et rappelle aux autres que l'autorité parentale se divise.

«Tu lui as accordé tout ce qu'il t'a demandé, rappelle Jeanne. Cela devrait lui suffire!»

Elle résume: les leçons particulières le samedi, qui l'empêchent d'être là l'après-midi; les activités sportives, dont il n'est jamais privé; les fêtes, où Victor est d'une assiduité remarquable; les week-ends prolongés, passés dans les maisons de campagne des copains…

«Tu as raison, décide-t-il. Trop, c'est trop.» A vingt et une heures, il téléphone de nouveau chez la reum. Répondeur. Il laisse un message: «'Victor, rappelle.»

«Si je faisais cela à mon père, commente Héloïse, il me tuerait.

– Ne te laisse pas manipuler», insiste Jeanne. L'éternel débat sur l'autorité.

Pour la troisième fois, il compose le numéro de la maison maternelle: «Victor, si je n'ai pas eu de nouvelles de toi avant minuit, ça ira très mal.»

Il demande à Jeanne:

«Qu'est-ce qui ira mal? Qu'est-ce que je peux faire s'il refuse de venir?

– Aller le chercher.

– Je ne sais pas où il est.

– Au lycée, lundi matin.»

Héloïse et la mère le chauffent. Si fort et si bien qu'il téléphone une dernière fois:

«Victor, je te laisse jusqu'à demain dimanche. Si tu ne m'as pas donné signe de vie, j'irai au lycée.

– Tu vas redoubler?» commente Paul qui passe par là, poursuivant le chat avec un feutre indélébile dans le dessein de colorer son petit tutu rose en noir.

Le samedi s'épuise, cédant la place au dimanche, qui s'épuise à son tour. Le lundi matin, Jeanne le rappelle à l'ordre.

«Tu dois téléphoner au lycée.

– Ça ne changera rien.

– Tu ne peux pas menacer ton fils d'une sanction et ne pas l'appliquer.»

Il se convainc qu'elle a sans doute raison.

A dix heures, il téléphone au lycée. Demande à parler à la conseillère d'éducation. La prie de prévenir Victor que son père arrive. Saute sur sa moto, enjambe le pont de Sèvres et stoppe, quinze minutes plus tard, devant l'enceinte du lycée.

Entre.

Grimpe chez la conseillère d'éducation. Frappe à la porte. Aucune réponse ne filtrant, pousse le battant. Pour découvrir un spectacle de qualité: tassée sur son siège, la conseillère le dévisage avec terreur tandis que Victor garde la tête baissée, assis dans un fauteuil.

«Victor?

– Le proviseur arrive, balbutie la conseillère d'éducation. Attendez-le dehors.

– Je veux seulement parler à mon fils…

– Vous verrez cela avec le proviseur, tremblote la conseillère. Ne faites pas de scandale.»

Il referme la porte et attend. Craint passablement le débordement qui pourrait suivre, et songe qu'il n'est pas venu là pour faire un esclandre. Simplement pour rappeler Victor à l'ordre. Il reste, cependant, considérant qu'il est trop tard pour reculer.

Survient un quinquagénaire costumé et cravaté qui déboule de l'escalier comme s'il sonnait la charge.

«Monsieur, dit-il, vous n'avez rien à faire dans l'enceinte de cet établissement.»

Il se présente. L'autre le coupe:

«Je sais très bien qui vous êtes.

– Je veux parler à mon fils, qui se trouve dans ce bureau.

– Votre fils ne veut pas vous voir», réplique le proviseur.

Il ouvre la porte.

«Victor, confirmez-vous que vous ne voulez pas rencontrer votre père?

– Oui», bredouille Victor en mangeant ses dents.

Ils se dévisagent un quart de seconde, avant que l'enfant choisisse de compter les mouches qui bourdonnent au plafond.

«Sortez donc de cet établissement», ordonne le proviseur.

Devant Victor. C'est pire qu'une humiliation: une saloperie.

«Je suis son père, répète-t-il, et si je veux emmener mon fils, je l'emmènerai.

– Non, réplique le proviseur. Vous n'avez pas l'autorité parentale.

– Conjointement à sa mère.

– Ce n'est pas ce qu'elle dit. Nous venons de l'appeler.

– Elle ment. Rappelez-la. J'attends ici.»

Cette fois, il est vert de rage. Mais il se contient. Il referme la porte et patiente dans le couloir. Le proviseur s'en est allé téléphoner à la reum. Victor attend, de l'autre côté, sous la protection effrayée de la conseillère d'éducation.

Lorsqu'il revient, le proviseur affiche un sourire un peu gene.

«Vous avez raison, dit-il seulement.

– Nous allons entrer dans cette pièce, et vous allez redire cela devant mon enfant.

– Bien, Monsieur.»

Ils sont de retour dans le bureau.

«Répétez.

– Votre père a le droit de se trouver là, balbutie l'éminent fonctionnaire de l'éducation nationale à l'adresse de Victor.

– Il a peur de lui, intervient la conseillère.

– Peur de quoi?

– Que vous le frappiez, Monsieur.»

Il dévisage Victor.

«C'est ce que tu as dit?

– Oui, marmonne l'adolescent.

– Je t'ai souvent frappé?

– Cette fois-là, je pensais que tu le ferais.

– Je crois qu'il a quelque chose à vous dire, reprend la conseillère d'éducation.

– Nous sommes là pour vous aider, susurre le proviseur. Victor, racontez-nous ce que vous avez sur le cœur.

– C'est inutile, coupe le père. Je quitte en effet cet établissement.»

Il vient vers Victor, pose sa main sur son épaule, se penche à son oreille et murmure:

«Ce que tu viens de faire est assez crade.»

Il sort.

Le soir, Victor téléphone. Pour la première fois de sa vie, il s'excuse. Il ajoute seulement:

«Je voulais que tu comprennes que je suis grand maintenant, et que tu dois me laisser faire ce que je veux le week-end.»

Il a compris, en effet.

Jeanne et ses enfants partent faire du ski dans les montagnes blanches.

Pap' reste à Paris, seul. Il espérait que ses garçons viendraient avec lui, mais eux aussi sont sur les pistes en compagnie de leur mère. Avantage: il n'a pas eu besoin de se plonger dans les catalogues des vacances, téléphoner pour réserver, chercher ailleurs en raison d'une défection de dernière minute, découvrir un endroit satisfaisant à condition de le partager, sélectionner les amis avec enfants que la bande des Quatre accepterait, fouiller les horaires des trains jusqu'à trouver l'idéal, plutôt TGV que couchettes, départ premier jour des vacances, retour la veille de la rentrée, pas de places disponibles, se rabattre sur la voiture de location, pas de voiture disponible, faire réviser la sienne pour le grand voyage, pas de garage disponible, organiser le transfert d'une partie de la famille recomposée par voie de chemin de fer et de l'autre avec soi-même, deux jours plus tard, lorsque la voiture sera prête, arbitrer entre ceux qui préfèrent le chemin de fer et ceux qui choisissent l'autoroute, s'occuper d'acheter le matériel – l'hiver, chaussures, combinaisons, gants, lunettes, l'été, maillots et shorts -, se précipiter dans des gares bondées, sur des routes bloquées, dormir trois jours avant de profiter, rentrer dans des conditions comparables.

Inconvénient: il ne bénéficiera pas de ses enfants en prêt longue durée. Il aime pourtant les avoir tout à lui le temps des vacances, qui reste un moment incomparable: ils partagent une vie quotidienne. Ils sont chez lui comme ils sont de l'autre côté, dans les banlieues de leur mère, soir et matin, organisant leurs activités, faisant leurs devoirs, appelant leurs copains…

Tom lui a laissé un lot de consolation: le hamster. Il a reçu pour mission de s'en occuper comme il convient: graines le matin, eau fraîche le soir, exercice l'après-midi.

L'animal est une femelle; elle s'appelle Hamsterdame. Hamsterdame passe ses journées enfermée dans le bureau de son tuteur, où le chat est provisoirement interdit de séjour. Pour se dégourdir les pattes, la jeune fille fait de la voiture une fois par jour. Opération compliquée à mettre au point. Il convient tout d'abord de trouver le félin, apeuré et planqué, de l'enfermer dans une chambre afin de libérer le salon, ouvrir la cage, prendre délicatement Hamsterdame par le colback et la glisser dans sa petite Jaguar en plastique rouge. Après quoi, s'aidant de ses pattes, la conductrice dévale les pentes du salon dans un sens puis dans un autre avant de réintégrer son garage.

Pendant ce temps-là, le chat, qui a flairé l'intruse, fait du mécano sur la moquette des chambres.

Après trois jours de garde studieuse et bienveillante, Pap' boucle le hamster dans une salle de bains et le chat dans l'autre, remplit la cage de graines et l'écuelle de pâtée, puis quitte la maison pour les montagnes blanches.

Il rejoint Jeanne.