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J'aymerois bien mieux reigler mes affaires par le sort des dez que par ces songes.

Et de vray en toutes republiques on a tousjours laissé bonne part d'auctorité au sort. Platon en la police qu'il forge à discretion, luy attribue la decision de plusieurs effects d'importance, et veut entre autres choses, que les mariages se facent par sort entre les bons. Et donne si grand poids à ceste election fortuite, que les enfans qui en naissent, il ordonne qu'ils soyent nourris au païs: ceux qui naissent des mauvais, en soyent mis hors: Toutesfois si quelqu'un de ces bannis venoit par cas d'adventure à montrer en croissant quelque bonne esperance de soy, qu'on le puisse rappeller, et exiler aussi celuy d'entre les retenus, qui montrera peu d'esperance de son adolescence.

J'en voy qui estudient et glosent leurs Almanacs, et nous en alleguent l'authorité aux choses qui se passent. A tant dire, il faut qu'ils dient et la verité et le mensonge. Quis est enim, qui totum diem jaculans, non aliquando conlineet ? Je ne les estime de rien mieux, pour les voir tomber en quelque rencontre. Ce seroit plus de certitude s'il y avoit regle et verité à mentir tousjours. Joint que personne ne tient registre de leurs mescontes, d'autant qu'ils sont ordinaires et infinis: et fait-on valoir leurs divinations de ce qu'elles sont rares, incroiables, et prodigieuses. Ainsi respondit Diagoras, qui fut surnommé l'Athee, estant en la Samothrace, à celuy qui en luy montrant au Temple force voeuz et tableaux de ceux qui avoyent eschapé le naufrage, luy dit: Et bien vous, qui pensez que les Dieux mettent à nonchaloir les choses humaines, que dittes vous de tant d'hommes sauvez par leur grace? Il se fait ainsi, respondit-iclass="underline" Ceux là ne sont pas peints qui sont demeurez noyez, en bien plus grand nombre. Cicero dit, que le seul Xenophanes Colophonien entre tous les Philosophes, qui ont advoué les Dieux, a essayé de desraciner toute sorte de divination. D'autant est-il moins de merveille, si nous avons veu par fois à leur dommage, aucunes de nos ames principesques s'arrester à ces vanitez.

Je voudrois bien avoir reconnu de mes yeux ces deux merveilles, du livre de Joachim Abbé Calabrois, qui predisoit tous les Papes futurs; leurs noms et formes: Et celuy de Leon l'Empereur qui predisoit les Empereurs et Patriarches de Grece. Cecy ay-je reconnu de mes yeux, qu'és confusions publiques, les hommes estonnez de leur fortune, se vont rejettant, comme à toute superstition, à rechercher au ciel les causes et menaces anciennes de leur malheur: et y sont si estrangement heureux de mon temps, qu'ils m'ont persuadé, qu'ainsi que c'est un amusement d'esprits aiguz et oisifs, ceux qui sont duicts à ceste subtilité de les replier et desnouër, seroyent en tous escrits capables de trouver tout ce qu'ils y demandent. Mais sur tout leur preste beau jeu, le parler obscur, ambigu et fantastique du jargon prophetique, auquel leurs autheurs ne donnent aucun sens clair, afin que la posterité y en puisse appliquer de tel qu'il luy plaira.

Le demon de Socrates estoit à l'advanture certaine impulsion de volonté, qui se presentoit à luy sans le conseil de son discours. En une ame bien espuree, comme la sienne, et preparee par continu exercice de sagesse et de vertu, il est vray-semblale que ces inclinations, quoy que temeraires et indigestes, estoyent tousjours importantes et dignes d'estre suivies. Chacun sent en soy quelque image de telles agitations d'une opinion prompte, vehemente et fortuite. C'est à moy de leur donner quelque authorité, qui en donne si peu à nostre prudence. Et en ay eu de pareillement foibles en raison, et violentes en persuasion, ou en dissuasion, qui estoit plus ordinaire à Socrates, ausquelles je me laissay emporter si utilement et heureusement, qu'elles pourroyent estre jugees tenir quelque chose d'inspiration divine.

CHAPITRE XII De la constance

LA loy de la resolution et de la constance ne porte pas que nous ne nous devions couvrir, autant quil est en nostre puissance, des maux et inconveniens qui nous menassent, ny par consequent d'avoir peur qu'ils nous surpreignent. Au rebours, tous moyens honnestes de se garentir des maux, sont non seulement permis, mais louables. Et le jeu de la constance se jouë principalement à porter de pied ferme, les inconveniens où il n'y a point de remede. De maniere qu'il n'y a soupplesse de corps, ny mouvement aux armes de main, que nous trouvions mauvais, s'il sert à nous garantir du coup qu'on nous rue.

Plusieurs nations tres-belliqueuses se servoyent en leurs faits d'armes, de la fuite, pour advantage principal, et montroyent le dos à l'ennemy plus dangereusement que leur visage.

Les Turcs en retiennent quelque chose.

Et Socrates en Platon se mocque de Laches, qui avoit definy la fortitude, se tenir ferme en son reng contre les ennemis. Quoy, feit-il, seroit ce donc lascheté de les battre en leur faisant place? Et luy allegue Homere, qui louë en Æneas la science de fuir. Et par ce que Laches se r'advisant, advouë cet usage aux Scythes, et en fin generallement à tous gens de chevaclass="underline" il luy allegue encore l'exemple des gens de pied Lacedemoniens (nation sur toutes duitte à combatre de pied ferme) qui en la journee de Platees, ne pouvant ouvrir la phalange Persienne, s'adviserent de s'escarter et sier arriere: pour, par l'opinion de leur fuitte, faire rompre et dissoudre cette masse, en les poursuivant. Par où ils se donnerent la victoire.

Touchant les Scythes, on dit d'eux, quand Darius alla pour les subjuguer, qu'il manda à leur Roy force reproches, pour le voir tousjours reculant devant luy, et gauchissant la meslee. A quoy Indathyrsez (car ainsi se nommoit-il) fit responce, que ce n'estoit pour avoir peur de luy, ny d'homme vivant: mais que c'estoit la façon de marcher de sa nation: n'ayant ny terre cultivee, ny ville, ny maison à deffendre, et à craindre que l'ennemy en peust faire profit. Mais s'il avoit si grand faim d'en manger, qu'il approchast pour voir le lieu de leurs anciennes sepultures, et que là il trouveroit à qui parler tout son saoul.

Toutes-fois aux canonnades, depuis qu'on leur est planté en butte, comme les occasions de la guerre portent souvent, il est messeant de s'esbranler pour la menace du coup: d'autant que par sa violence et vitesse nous le tenons inevitable: et en y a meint un qui pour avoir ou haussé la main, ou baissé la teste, en a pour le moins appresté à rire à ses compagnons.

Si est-ce qu'au voyage que l'Empereur Charles cinquiesme fit contre nous en Provence, le Marquis de Guast estant allé recognoistre la ville d'Arle, et s'estant jetté hors du couvert d'un moulin à vent, à la faveur duquel il s'estoit approché, fut apperceu par les Seigneurs de Bonneval et Seneschal d'Agenois, qui se promenoyent sus le theatre aux arenes: lesquels l'ayant montré au Sieur de Villiers Commissaire de l'artillerie, il braqua si à propos une coulevrine, que sans ce que ledict Marquis voyant mettre le feu se lança à quartier, il fut tenu qu'il en avoit dans le corps. Et de mesmes quelques annees auparavant, Laurent de Medicis, Duc d'Urbin, pere de la Royne mere du Roy, assiegeant Mondolphe, place d'Italie, aux terres qu'on nomme du Vicariat, voyant mettre le feu à une piece qui le regardoit, bien luy servit de faire la cane: car autrement le coup, qui ne luy rasa que le dessus de la teste, luy donnoit sans doute dans l'estomach. Pour en dire le vray, je ne croy pas que ces mouvemens se fissent avecques discours: car quel jugement pouvez-vous faire de la mire haute ou basse en chose si soudaine? et est bien plus aisé à croire, que la fortune favorisa leur frayeur: et que ce seroit moyen une autre fois aussi bien pour se jetter dans le coup, que pour l'eviter.

Je ne me puis deffendre si le bruit esclatant d'une harquebusade vient à me fraper les oreilles à l'improuveu, en lieu où je ne le deusse pas attendre, que je n'en tressaille: ce que j'ay veu encores advenir à d'autres qui valent mieux que moy.