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Ny n'entendent les Stoiciens, que l'ame de leur sage puisse resister aux premieres visions et fantaisies qui luy surviennent: ains comme à une subjection naturelle consentent qu'il cede au grand bruit du ciel, ou d'une ruine, pour exemple, jusques à la palleur et contraction: Ainsin aux autres passions, pourveu que son opinion demeure sauve et entiere, et que l'assiette de son discours n'en souffre atteinte ny alteration quelconque, et qu'il ne preste nul consentement à son effroy et souffrance. De celuy qui n'est pas sage, il en va de mesmes en la premiere partie, mais tout autrement en la seconde. Car l'impression des passions ne demeure pas en luy superficielle: ains va penetrant jusques au siege de sa raison, l'infectant et la corrompant. Il juge selon icelles, et s'y conforme. Voyez bien disertement et plainement l'estat du sage Stoique:

Mens immota manet, lacrymæ volvuntur inanes.

Le sage Peripateticien ne s'exempte pas des perturbations, mais il les modere.

CHAPITRE XIII Ceremonie de l'entreveuë des Rois

IL n'est subject si vain, qui ne merite un rang en cette rapsodie. A nos reigles communes, ce seroit une notable discourtoisie et à l'endroit d'un pareil, et plus à l'endroit d'un grand, de faillir à vous trouver chez vous, quand il vous auroit adverty d'y devoir venir: Voire adjoustoit la Royne de Navarre Marguerite a ce propos, que c'estoit incivilité à un Gentil-homme de partir de sa maison, comme il se faict le plus souvent, pour aller au devant de celuy qui le vient trouver, pour grand qu'il soit: et qu'il est plus respectueux et civil de l'attendre, pour le recevoir, ne fust que de peur de faillir sa route: et qu'il suffit de l'accompagner à son partement.

Pour moy j'oublie souvent l'un et lautre de ces vains offices: comme je retranche en ma maison autant que je puis de la cerimonie. Quelqu'un s'en offence: qu'y ferois-je? Il vaut mieux que je l'offence pour une fois, que moy tous les jours: ce seroit une subjection continuelle. A quoy faire fuit-on la servitude des cours, si on l'entraine jusques en sa taniere?

C'est aussi une reigle commune en toutes assemblees, qu'il touche aux moindres de se trouver les premiers à l'assignation, d'autant qu'il est mieux deu aux plus apparans de se faire attendre. Toutesfois à l'entreveuë qui se dressa du Pape Clement, et du Roy François à Marseille, le Roy y ayant odonné les apprests necessaires, s'esloigna de la ville, et donna loisir au Pape de deux ou trois jours pour son entree et refreschissement, avant qu'il le vinst trouver. Et de mesmes à l'entree aussi du Pape et de l'Empereur à Bouloigne, l'Empereur donna moyen au Pape d'y estre le premier et y survint apres luy. C'est, disent-ils, une cerimonie ordinaire aux abouchemens de tels Princes, que le plus grand soit avant les autres au lieu assigné, voire avant celuy chez qui se fait l'assemblee: et le prennent de ce biais, que c'est afin que cette apparence tesmoigne, que c'est le plus grand que les moindres vont trouver, et le recherchent, non pas luy eux.

Non seulement chasque païs, mais chasque cité et chasque vacation a sa civilité particuliere: J'y ay esté assez soigneusement dressé en mon enfance, et ay vescu en assez bonne compaignie, pour n'ignorer pas les loix de la nostre Françoise: et en tiendrois eschole. J'aime à les ensuivre, mais non pas si couardement, que ma vie en demeure contraincte. Elles ont quelques formes penibles, lesquelles pourveu qu'on oublie par discretion, non par erreur, on n'en a pas moins de grace. J'ay veu souvent des hommes incivils par trop de civilité, et importuns de courtoisie.

C'est au demeurant une tres-utile science que la science de l'entregent. Elle est, comme la grace et la beauté, conciliatrice des premiers abords de la societé et familiarité: et par consequent nous ouvre la porte à nous instruire par les exemples d'autruy, et à exploitter et produire nostre exemple, s'il a quelque chose d'instruisant et communicable.

CHAPITRE XIV On est puny pour s'opiniastrer en une place sans raison

LA vaillance a ses limites, comme les autres vertus: lesquels franchis, on se trouve dans le train du vice: en maniere que par chez elle on se peut rendre à la temerité, obstination et folie, qui n'en sçait bien les bornes, malaisez en verité à choisir sur leurs confins. De cette consideration est nee la coustume que nous avons aux guerres, de punir, voire de mort, ceux qui s'opiniastrent à defendre une place, qui par les regles militaires ne peut estre soustenue. Autrement soubs l'esperance de l'impunité il n'y auroit poullier qui n'arrestast une armee. Monsieur le Connestable de Mommorency au siege de Pavie, ayant esté commis pour passer le Tesin, et se loger aux fauxbourgs S. Antoine, estant empesché d'une tour au bout du pont, qui s'opiniastra jusques à se faire batre, feit pendre tout ce qui estoit dedans: Et encore depuis accompagnant Monsieur le Dauphin au voyage delà les monts, ayant prins par force le chasteau de Villane, et tout ce qui estoit dedans ayant esté mis en pieces par la furie des soldats, horsmis le Capitaine et l'enseigne, il les fit pendre et estrangler pour cette mesme raison: Comme fit aussi le Capitaine Martin du Bellay lors gouverneur de Turin, en cette mesme contree, le Capitaine de S. Bony: le reste de ses gens ayant esté massacré à laprinse de la place. Mais d'autant que le jugement de la valeur et foiblesse du lieu, se prend par l'estimation et contrepois des forces qui l'assaillent (car tel s'opiniastreroit justement contre deux coulevrines, qui feroit l'enragé d'attendre trente canons) ou se met encore en conte la grandeur du Prince conquerant, sa reputation, le respect qu'on luy doit: il y a danger qu'on presse un peu la balance de ce costé là. Et en advient par ces mesmes termes, que tels ont si grande opinion d'eux et de leurs moyens, que ne leur semblant raisonnable qu'il y ait rien digne de leur faire teste, ilz passent le cousteau par tout où ils trouvent resistance, autant que fortune leur dure: Comme il se voit par les formes de sommation et deffi, que les Princes d'Orient et leurs successeurs, qui sont encores, ont en usage, fiere, hautaine et pleine d'un commandement barbaresque.

Et au quartier par où les Portugaiz escornerent les Indes, ils trouverent des estats avec cette loy universelle et inviolable, que tout ennemy vaincu par le Roy en presence, ou par son Lieutenant est hors de composition de rançon et de mercy.

Ainsi sur tout il se faut garder qui peut, de tomber entre les mains d'un Juge ennemy, victorieux et armé.

CHAPITRE XV De la punition de la couardise

J'OUY autrefois tenir à un Prince, et tresgrand Capitaine, que pour lascheté de coeur un soldat ne pouvoit estre condamné à mort: luy estant à table fait recit du proces du Seigneur de Vervins, qui fut condamné à mort pour avoir rendu Boulogne.

A la verité c'est raison qu'on face grande difference entre les fautes qui viennent de nostre foiblesse, et celles qui viennent de nostre malice. Car en celles icy nous nous sommes bandez à nostre escient contre les reigles de la raison, que nature a empreintes en nous: et en celles là, il semble que nous puissions appeller à garant cette mesme nature pour nous avoir laissé en telle imperfection et deffaillance. De maniere que prou de gens ont pensé qu'on ne se pouvoit prendre à nous, que de ce que nous faisons contre nostre conscience: Et sur cette regle est en partie fondee l'opinion de ceux qui condamnent les punitions capitales aux heretiques et mescreans: et celle qui establit qu'un Advocat et un Juge ne puissent estre tenuz de ce que par ignorance ils ont failly en leur charge.

Mais quant à la coüardise, il est certain que la plus commune façon est de la chastier par honte et ignominie. Et tient-on que cette regle a esté premierement mise en usage par le legislateur Charondas: et qu'avant luy les loix de Grece punissoyent de mort ceux qui s'en estoyent fuis d'une bataille: là où il ordonna seulement qu'ils fussent par trois jours assis emmy la place publicque, vestus de robe de femme: esperant encores s'en pouvoir servir, leur ayant fait revenir le courage par cette honte. Suffundere malis hominis sanguinem quam effundere. Il semble aussi que les loix Romaines punissoyent anciennement de mort, ceux qui avoyent fuy. Car Ammianus Marcellinus dit que l'Empereur Julien condemna dix de ses soldats, qui avoyent tourné le dos à une charge contre les Parthes, à estre degradez, et apres à souffrir mort, suyvant, dit-il, les loix anciennes. Toutes-fois ailleurs pour une pareille faute il en condemne d'autres, seulement à se tenir parmy les prisonniers sous l'enseigne du bagage. L'aspre chastiement du peuple Romain contre les soldats eschapez de Cannes, et en cette mesme guerre, contre ceux qui accompaignerent Cn. Fulvius en sa deffaitte, ne vint pas à la mort.