Et veniunt hederæ sponte sua melius,
Surgit et in solis formosior arbutus antris,
Et volucres nulla dulcius arte canunt.
Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à representer le nid du moindre oyselet, sa contexture, sa beauté, et l'utilité de son usage: non pas la tissure de la chetive araignée. Toutes choses, dit Platon, sont produites ou par la nature, ou par la fortune, ou par l'art. Les plus grandes et plus belles par l'une ou l'autre des deux premieres: les moindres et imparfaictes par la derniere.
Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir receu fort peu de façon de l'esprit humain, et estre encore fort voisines de leur naifveté originelle. Les loix naturelles leur commandent encores, fort peu abbastardies par les nostres: Mais c'est en telle pureté, qu'il me prend quelque fois desplaisir, dequoy la cognoissance n'en soit venuë plustost, du temps qu'il y avoit des hommes qui en eussent sçeu mieux juger que nous. Il me desplaist que Lycurgus et Platon ne l'ayent euë: car il me semble que ce que nous voyons par experience en ces nations là, surpasse non seulement toutes les peintures dequoy la poësie a embelly l'aage doré, et toutes ses inventions à feindre une heureuse condition d'hommes: mais encore la conception et le desir mesme de la philosophie. Ils n'ont peu imaginer une naifveté si pure et simple, comme nous la voyons par experience: ny n'ont peu croire que nostre societé se peust maintenir avec si peu d'artifice, et de soudeure humaine. C'est une nation, diroy-je à Platon, en laquelle il n'y a aucune espece de trafique; nulle cognoissance de lettres; nulle science de nombres; nul nom de magistrat, ny de superiorité politique; nul usage de service, de richesse, ou de pauvreté; nuls contrats; nulles successions; nuls partages; nulles occupations, qu'oysives; nul respect de parenté, que commun; nuls vestemens; nulle agriculture; nul metal; nul usage de vin ou de bled. Les paroles mesmes, qui signifient la mensonge, la trahison, la dissimulation, l'avarice, l'envie, la detraction, le pardon, inouyes. Combien trouveroit il la republique qu'il a imaginée, esloignée de cette perfection?
Hos natura modos primùm dedit.
Au demeurant, ils vivent en une contrée de païs tres-plaisante, et bien temperée: de façon qu'à ce que m'ont dit mes tesmoings, il est rare d'y voir un homme malade: et m'ont asseuré, n'en y avoir veu aucun tremblant, chassieux, edenté, ou courbé de vieillesse. Ils sont assis le long de la mer, et fermez du costé de la terre, de grandes et hautes montaignes, ayans entre-deux, cent lieuës ou environ d'estendue en large. Ils ont grande abondance de poisson et de chairs, qui n'ont aucune ressemblance aux nostres; et les mangent sans autre artifice, que de les cuire. Le premier qui y mena un cheval, quoy qu'il les eust pratiquez à plusieurs autres voyages, leur fit tant d'horreur en cette assiette, qu'ils le tuerent à coups de traict, avant que le pouvoir recognoistre. Leurs bastimens sont fort longs, et capables de deux ou trois cents ames, estoffez d'escorse de grands arbres, tenans à terre par un bout, et se soustenans et appuyans l'un contre l'autre par le feste, à la mode d'aucunes de noz granges, desquelles la couverture pend jusques à terre, et sert de flanq. Ils ont du bois si dur qu'ils en coupent et en font leurs espées, et des grils à cuire leur viande. Leurs licts sont d'un tissu de cotton, suspenduz contre le toict, comme ceux de noz navires, à chacun le sien: car les femmes couchent à part des maris. Ils se levent avec le Soleil, et mangent soudain apres s'estre levez, pour toute la journée: car ils ne font autre repas que celuy-là. Ils ne boivent pas lors, comme Suidas dit, de quelques autres peuples d'Orient, qui beuvoient hors du manger: ils boivent à plusieurs fois sur jour, et d'autant. Leur breuvage est faict de quelque racine, et est de la couleur de noz vins clairets. Ils ne le boivent que tiede: Ce breuvage ne se conserve que deux ou trois jours: il a le goust un peu picquant, nullement fumeux, salutaire à l'estomach, et laxatif à ceux qui ne l'ont accoustumé: c'est une boisson tres-aggreable à qui y est duit. Au lieu du pain ils usent d'une certaine matiere blanche, comme du coriandre confit. J'en ay tasté, le goust en est doux et un peu fade. Toute la journée se passe à dancer. Les plus jeunes vont à la chasse des bestes, à tout des arcs. Une partie des femmes s'amusent cependant à chauffer leur breuvage, qui est leur principal office. Il y a quelqu'un des vieillards, qui le matin avant qu'ils se mettent à manger, presche en commun toute la grangée, en se promenant d'un bout à autre, et redisant une mesme clause à plusieurs fois, jusques à ce qu'il ayt achevé le tour (car ce sont bastimens qui ont bien cent pas de longueur) il ne leur recommande que deux choses, la vaillance contre les ennemis, et l'amitié à leurs femmes. Et ne faillent jamais de remarquer cette obligation, pour leur refrein, que ce sont elles qui leur maintiennent leur boisson tiede et assaisonnée. Il se void en plusieurs lieux, et entre autres chez moy, la forme de leurs lits, de leurs cordons, de leurs espées, et brasselets de bois, dequoy ils couvrent leurs poignets aux combats, et des grandes cannes ouvertes par un bout, par le son desquelles ils soustiennent la cadance en leur dance. Ils sont raz par tout, et se font le poil beaucoup plus nettement que nous, sans autre rasouër que de bois, ou de pierre. Ils croyent les ames eternelles; et celles qui ont bien merité des dieux, estre logées à l'endroit du ciel où le Soleil se leve: les maudites, du costé de l'Occident.
Ils ont je ne sçay quels Prestres et Prophetes, qui se presentent bien rarement au peuple, ayans leur demeure aux montaignes. A leur arrivée, il se faict une grande feste et assemblée solennelle de plusieurs villages, (chaque grange, comme je l'ay descrite, faict un village, et sont environ à une lieuë Françoise l'une de l'autre) Ce Prophete parle à eux en public, les exhortant à la vertu et à leur devoir: mais toute leur science ethique ne contient que ces deux articles de la resolution à la guerre, et affection à leurs femmes. Cettuy-cy leur prognostique les choses à venir, et les evenemens qu'ils doivent esperer de leurs entreprinses: les achemine ou destourne de la guerre: mais c'est par tel si que où il faut à bien deviner, et s'il leur advient autrement qu'il ne leur a predit, il est haché en mille pieces, s'ils l'attrapent, et condamné pour faux Prophete. A cette cause celuy qui s'est une fois mesconté, on ne le void plus.
C'est don de Dieu, que la divination: voyla pourquoy ce devroit estre une imposture punissable d'en abuser. Entre les Scythes, quand les devins avoient failly de rencontre, on les couchoit enforgez de pieds et de mains, sur des charriotes pleines de bruyere, tirées par des boeufs, en quoy on les faisoit brusler. Ceux qui manient les choses subjettes à la conduitte de l'humaine suffisance, sont excusables d'y faire ce qu'ils peuvent. Mais ces autres, qui nous viennent pipant des asseurances d'une faculté extraordinaire, qui est hors de nostre cognoissance: faut-il pas les punir, de ce qu'ils ne maintiennent l'effect de leur promesse, et de la temerité de leur imposture?