Si est-ce qu'encores en y a-il, qui se sont tresbien trouvez de sortir sur la parole de l'aissaillant: Tesmoing Henry de Vaux, Chevalier Champenois, lequel estant assiegé dans le Chasteau de Commercy par les Anglois, et Barthelemy de Bonnes, qui commandoit au siege, ayant par dehors faict sapper la plus part du Chasteau, si qu'il ne restoit que le feu pour accabler les assiegez sous les ruines, somma ledit Henry de sortir à parlementer pour son profict, comme il fit luy quatriesme; et son evidente ruyne luy ayant esté montree à l'oeil, il s'en sentit singulierement obligé à l'ennemy: à la discretion duquel, apres qu'il se fut rendu et sa trouppe, le feu estant mis à la mine, les estansons de bois venus à faillir, le Chasteau fut emporté de fons en comble.
Je me fie aysement à la foy d'autruy: mais mal-aysement le feroi-je, lors que je donrois à juger l'avoir plustost faict par desespoir et faute de coeur, que par franchise et fiance de sa loyauté.
CHAPITRE VI L'heure des parlemens dangereuse
TOUTES-FOIS je vis dernierement en mon voysinage de Mussidan, que ceux qui en furent délogez à force par nostre armee, et autres de leur party, crioyent comme de trahison, de ce que pendant les entremises d'accord, et le traicté se continuant encores, on les avoit surpris et mis en pieces. Chose qui eust eu à l'avanture apparence en autre siecle; mais, comme je viens de dire, nos façons sont entierement esloignées de ces regles: et ne se doit attendre fiance des uns aux autres, que le dernier seau d'obligation n'y soit passé: encores y a il lors assés affaire.
Et a tousjours esté conseil hazardeux, de fier à la licence d'une armee victorieuse l'observation de la foy, qu'on a donnee à une ville, qui vient de se rendre par douce et favorable composition, et d'en laisser sur la chaude, l'entree libre aux soldats. L. Æmylius Regillus Preteur Romain, ayant perdu son temps à essayer de prendre la ville de Phocees à force, pour la singuliere proüesse des habitants à se bien defendre, feit pache avec eux, de les recevoir pour amis du peuple Romain, et d'y entrer comme en ville confederee: leur ostant toute crainte d'action hostile. Mais y ayant quand et luy introduict son armee, pour s'y faire voir en plus de pompe, il ne fut en sa puissance, quelque effort qu'il y employast, de tenir la bride à ses gents: et veit devant ses yeux fourrager bonne partie de la ville: les droicts de l'avarice et de la vengeance, suppeditant ceux de son autorité et de la discipline militaire.
Cleomenes disoit, que quelque mal qu'on peust faire aux ennemis en guerre, cela estoit par dessus la justice, et non subject à icelle, tant envers les dieux, qu'envers les hommes: et ayant faict treve avec les Argiens pour sept jours, la troisiesme nuict apres il les alla charger tous endormis, et les défict, alleguant qu'en sa treve il n'avoit pas esté parlé des nuicts: Mais les dieux vengerent ceste perfide subtilité.
Pendant le Parlement, et qu'ils musoient sur leurs seurtez, la ville de Casilinum fust saisie par surprinse. Et cela pourtant au siecle et des plus justes Capitaines et de la plus parfaicte milice Romaine: Car il n'est pas dict, qu'en temps et lieu il ne soit permis de nous prevaloir de la sottise de noz ennemis, comme nous faisons de leur lascheté. Et certes la guerre a naturellement beaucoup de privileges raisonnables au prejudice de la raison. Et icy faut la reigle, neminem id agere, ut ex alterius prædetur inscitia.
Mais je m'estonne de l'estendue que Xenophon leur donne, et par les propos, et par divers exploicts de son parfaict Empereur: autheur de merveilleux poids en telles choses, comme grand Capitaine et Philosophe des premiers disciples de Socrates, et ne consens pas à la mesure de sa dispense en tout et par tout.
Monsieur d'Aubigny assiegeant Cappoüe, et apres y avoir fait une furieuse baterie, le Seigneur Fabrice Colonne, Capitaine de la ville, ayant commencé à parlementer de dessus un bastion, et ses gens faisants plus molle garde, les nostres s'en emparerent, et mirent tout en pieces. Et de plus fresche memoire à Yvoy, le seigneur Julian Rommero, ayant fait ce pas de clerc de sortir pour parlementer avec Monsieur le Connestable, trouva au retour sa place saisie. Mais afin que nous ne nous en allions pas sans revanche, le Marquis de Pesquaire assiegeant Genes, ou le Duc Octavian Fregose commandoit soubs nostre protection, et l'accord entre eux ayant esté poussé si avant, qu'on le tenoit pour fait, sur le point de la conclusion, les Espagnols s'estans coullés dedans, en userent comme en une victoire planiere: et depuis à Ligny en Barrois, où le Comte de Brienne commandoit, l'Empereur l'ayant assiegé en personne, et Bertheuille Lieutenant dudict Comte estant sorty pour parlementer, pendant le parlement la ville se trouva saisie.
Fu il vincer sempre mai laudabil cosa,
Vincasi o per fortuna o per ingegno,
disent-ils: Mais le Philosophe Chrysippus n'eust pas esté de cet advis: et moy aussi peu. Car il disoit que ceux qui courent à l'envy, doivent bien employer toutes leurs forces à la vistesse, mais il ne leur est pourtant aucunement loisible de mettre la main sur leur adversaire pour l'arrester: ny de luy tendre la jambe, pour le faire cheoir.
Et plus genereusement encore ce grand Alexandre, à Polypercon, qui luy suadoit de se servir de l'avantage que l'obscurité de la nuict luy donnoit pour assaillir Darius. Point, dit-il, ce n'est pas à moy de chercher des victoires desrobees: malo me fortunæ poeniteat, quam victoriæ pudeat.
Atque idem fugientem haud est dignatus Orodem
Sternere, nec jacta cæcum dare cuspide vulnus:
Obvius, adversoque occurrit, seque viro vir
Contulit, haud furto melior, sed fortibus armis.
CHAPITRE VII Que l'intention juge nos actions
LA mort, dict-on, nous acquitte de toutes nos obligations. J'en sçay qui l'ont prins en diverse façon. Henry septiesme Roy d'Angleterre fit composition avec Dom Philippe fils de l'Empereur Maximilian, ou pour le confronter plus honnorablement, pere de l'Empereur Charles cinquiesme, que ledict Philippe remettoit entre ses mains le Duc de Suffolc de la Rose blanche, son ennemy, lequel s'en estoit fuy et retiré au pays bas, moyennant qu'il promettoit de n'attenter rien sur la vie dudict Duc: toutesfois venant à mourir, il commanda par son testament à son fils, de le faire mourir, soudain apres qu'il seroit decedé.
Dernierement en cette tragedie que le Duc d'Albe nous fit voir à Bruxelles és Contes de Horne et d'Aiguemond, il y eut tout plein de choses remerquables: et entre autres que ledict Comte d'Aiguemond, soubs la foy et asseurance duquel le Comte de Horne s'estoit venu rendre au Duc d'Albe, requit avec grande instance, qu'on le fist mourir le premier: affin que sa mort l'affranchist de l'obligation qu'il avoit audict Comte de Horne. Il semble que la mort n'ayt point deschargé le premier de sa foy donnee, et que le second en estoit quitte, mesmes sans mourir. Nous ne pouvons estre tenus au delà de nos forces et de nos moyens. A cette cause, par ce que les effects et executions ne sont aucunement en nostre puissance, et qu'il n'y a rien en bon escient en nostre puissance, que la volonté: en celle là se fondent par necessité et s'establissent toutes les reigles du devoir de l'homme. Par ainsi le Comte d'Aiguemond tenant son ame et volonté endebtee à sa promesse, bien que la puissance de l'effectuer ne fust pas en ses mains, estoit sans doute absous de son devoir, quand il eust survescu le Comte de Horne. Mais le Roy d'Angleterre faillant à sa parolle par son intention, ne se peut excuser pour avoir retardé jusques apres sa mort l'execution de sa desloyauté: Non plus que le masson de Herodote, lequel ayant loyallement conservé durant sa vie le secret des thresors du Roy d'Egypte son maistre, mourant les descouvrit à ses enfans.