Quelle prodigieuse conscience se peut donner repos, nourrissant en mesme giste, d'une societé si accordante et si paisible, le crime et le juge? Un homme, de qui la paillardise, sans cesse regente la teste, et qui la juge tres-odieuse à la veuë divine, que dit-il à Dieu, quand il luy en parle? Il se rameine, mais soudain il rechoit. Si l'object de la divine justice, et sa presence frappoient, comme il dit, et chastioient son ame, pour courte qu'en fust la penitence, la crainte mesme y rejetteroit si souvent sa pensée, qu'incontinent il se verroit maistre de ces vices, qui sont habitués et acharnés en luy. Mais quoy! ceux qui couchent une vie entiere, sur le fruit et emolument du peché, qu'ils sçavent mortel? Combien avons nous de mestiers et vacations receuës, dequoy l'essence est vicieuse? Et celuy qui se confessant à moy, me recitoit, avoir tout un aage faict profession et les effects d'une religion damnable selon luy, et contradictoire à celle qu'il avoit en son coeur, pour ne perdre son credit et l'honneur de ses charges: comment patissoit-il ce discours en son courage? De quel langage entretiennent ils sur ce subject, la justice divine? Leur repentance consistant en visible et maniable reparation, ils perdent et envers Dieu, et envers nous, le moyen de l'alleguer. Sont-ils si hardis de demander pardon, sans satisfaction et sans repentance? Je tien que de ces premiers il en va, comme de ceux-cy: mais l'obstination n'y est pas si aisée à convaincre. Cette contrarieté et volubilité d'opinion si soudaine, si violente, qu'ils nous feignent, sent pour moy son miracle. Ils nous representent l'estat d'une indigestible agonie. Que l'imagination me sembloit fantastique, de ceux qui ces années passées, avoient en usage de reprocher tout chascun, en qui il reluisoit quelque clarté d'esprit, professant la religion Catholique, que c'estoit à feinte: et tenoient mesme, pour luy faire honneur, quoy qu'il dist par apparence, qu'il ne pouvoit faillir au dedans, d'avoir sa creance reformée à leur pied. Fascheuse maladie, de se croire si fort, qu'on se persuade, qu'il ne se puisse croire au contraire: Et plus fascheuse encore, qu'on se persuade d'un tel esprit, qu'il prefere je ne sçay quelle disparité de fortune presente, aux esperances et menaces de la vie eternelle! Ils m'en peuvent croire: Si rien eust deu tenter ma jeunesse, l'ambition du hazard et difficulté, qui suivoient cette recente entreprinse, y eust eu bonne part.
Ce n'est pas sans grande raison, ce me semble, que l'Eglise deffend l'usage promiscue, temeraire et indiscret des sainctes et divines chansons, que le Sainct Esprit a dicté en David. Il ne faut mesler Dieu en nos actions qu'avecque reverence et attention pleine d'honneur et de respect. Cette voix est trop divine, pour n'avoir autre usage que d'exercer les poulmons, et plaire à nos oreilles. C'est de la conscience qu'elle doit estre produite, et non pas de la langue. Ce n'est pas raison qu'on permette qu'un garçon de boutique parmy ces vains et frivoles pensemens, s'en entretienne et s'en jouë.
Ny n'est certes raison de voir tracasser par une sale, et par une cuysine, le Sainct livre des sacrez mysteres de nostre creance. C'estoyent autrefois mysteres, ce sont à present desduits et esbats. Ce n'est pas en passant, et tumultuairement, qu'il faut manier un estude si serieux et venerable. Ce doit estre une action destinée, et rassise, à laquelle on doit tousjours adjouster cette preface de nostre office, sursum corda, et y apporter le corps mesme disposé en contenance, qui tesmoigne une particuliere attention et reverence.
Ce n'est pas l'estude de tout le monde: c'est l'estude des personnes qui y sont vouées, que Dieu y appelle: Les meschans, les ignorants s'y empirent. Ce n'est pas une histoire à compter: c'est une histoire à reverer, craindre et adorer. Plaisantes gents, qui pensent l'avoir rendue maniable au peuple, pour l'avoir mise en langage populaire. Ne tient-il qu'aux mots, qu'ils n'entendent tout ce qu'ils trouvent par escrit? Diray-je plus? Pour l'en approcher de ce peu, ils l'en reculent. L'ignorance pure, et remise toute en autruy, estoit bien plus salutaire et plus sçavante, que n'est cette science verbale, et vaine, nourrice de presomption et de temerité.
Je croy aussi que la liberté à chacun de dissiper une parole si religieuse et importante, à tant de sortes d'idiomes, a beaucoup plus de danger que d'utilité. Les Juifs, les Mahometans, et quasi tous autres, ont espousé, et reverent le langage, auquel originellement leurs mysteres avoient esté conceuz, et en est deffendue l'alteration et changement; non sans apparence. Sçavons nous bien qu'en Basque, et en Bretaigne, il y ayt des Juges assez, pour establir cette traduction faicte en leur langue? l'Eglise universelle n'a point de jugement plus ardu à faire, et plus solemne: En preschant et parlant, l'interpretation est vague, libre, muable, et d'une parcelle: ainsi ce n'est pas de mesme.
L'un de noz historiens Grecs accuse justement son siecle, de ce que les secrets de la religion Chrestienne, estoient espandus emmy la place, és mains des moindres artisans: que chacun en pouvoit debattre et dire selon son sens. Et que ce nous devoit estre grande honte, nous qui par la grace de Dieu, jouïssons des purs mysteres de la pieté, de les laisser profaner en la bouche de personnes ignorantes et populaires, veu que les Gentils interdisoient à Socrates, à Platon, et aux plus sages, de s'enquerir et parler des choses commises aux Prestres de Delphes. Dit aussi, que les factions des Princes, sur le subject de la Theologie, sont armées non de zele, mais de cholere. Que le zele tient de la divine raison et justice, se conduisant ordonnément et moderément: mais qu'il se change en haine et envie: et produit au lieu du froment et du raisin, de l'yvroye et des orties, quand il est conduit d'une passion humaine. Et justement aussi, cet autre, conseillant l'Empereur Theodose, disoit, les disputes n'endormir pas tant les schismes de l'Eglise, que les esveiller, et animer les heresies. Que pourtant il faloit fuïr toutes contentions et argumentations Dialectiques, et se rapporter nuement aux prescriptions et formules de la foy, establies par les anciens. Et l'Empereur Andronicus, ayant rencontré en son palais, des principaux hommes, aux prises de parole, contre Lapodius, sur un de noz points de grande importance, les tança, jusques à menacer de les jetter en la riviere, s'ils continvoyent.
Les enfants et les femmes, en noz jours, regentent les hommes plus vieux et experimentez, sur les loix Ecclesiastiques: Là où la premiere de celle de Platon leur deffend de s'enquerir seulement de la raison des loix civiles, qui doivent tenir lieu d'ordonnances divines. Et permettant aux vieux, d'en communiquer entre eux, et avec le Magistrat: il adjouste, pourveu que ce ne soit en presence des jeunes, et personnes profanes.
Un Evesque a laissé par escrit, qu'en l'autre bout du monde, il y a une Isle, que les anciens nommoient Dioscoride: commode en fertilité de toutes sortes d'arbres et fruits, et salubrité d'air: de laquelle le peuple est Chrestien, ayant des Eglises et des Autels, qui ne sont parez que de croix, sans autres images: grand observateur de jeusnes et de festes: exacte païeur de dismes aux Prestres: et si chaste, que nul d'eux ne peut cognoistre qu'une femme en sa vie. Au demeurant, si contant de sa fortune, qu'au milieu de la mer, il ignore l'usage des navires: et si simple, que de la religion qu'il observe si songneusement, il n'en entend un seul mot. Chose incroyable, à qui ne sçauroit, les Payens si devots idolatres, ne cognoistre de leurs Dieux, que simplement le nom et la statue.
L'ancien commencement de Menalippe, tragedie d'Euripides, portoit ainsi.
O Juppiter, car de toy rien sinon
Je ne cognois seulement que le nom.