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J'ay veu aussi de mon temps, faire plainte d'aucuns escrits, de ce qu'ils sont purement humains et philosophiques, sans meslange de Theologie. Qui diroit au contraire, ce ne seroit pourtant sans quelque raison; Que la doctrine divine tient mieux son rang à part, comme Royne et dominatrice: Qu'elle doit estre principale par tout, point suffragante et subsidiaire: Et qu'à l'aventure se prendroient les exemples à la Grammaire, Rhetorique, Logique, plus sortablement d'ailleurs que d'une si sainte matiere; comme aussi les arguments des Theatres, jeux et spectacles publiques. Que les raisons divines se considerent plus venerablement et reveremment seules, et en leur stile, qu'appariées aux discours humains. Qu'il se voit plus souvent cette faute, que les Theologiens escrivent trop humainement, que cett'autre, que les humanistes escrivent trop peu theologalement: La Philosophie, dit Sainct Chrysostome, est pieça banie de l'escole saincte, comme servante inutile, et estimée indigne de voir seulement en passant de l'entrée, le sacraire des saincts Thresors de la doctrine celeste. Que le dire humain a ses formes plus basses, et ne se doit servir de la dignité, majesté, regence, du parler divin. Je luy laisse pour moy, dire, verbis indisciplinatis, fortune, destinée, accident, heur, et malheur, et les Dieux, et autres frases, selon sa mode.

Je propose les fantasies humaines et miennes, simplement comme humaines fantasies, et separement considerées: non comme arrestées et reglées par l'ordonnance celeste, incapable de doubte et d'altercation. Matiere d'opinion, non matiere de foy. Ce que je discours selon moy, non ce que je croy selon Dieu, d'une façon laïque, non clericale: mais tousjours tres-religieuse. Comme les enfants proposent leurs essays, instruisables, non instruisants.

Et ne diroit-on pas aussi sans apparence, que l'ordonnance de ne s'entremettre que bien reservément d'escrire de la Religion, à tous autres qu'à ceux qui en font expresse profession, n'auroit pas faute de quelque image d'utilité et de justice; et à moy avec, peut estre de m'en taire.

On m'a dict que ceux mesmes, qui ne sont pas des nostres, deffendent pourtant entre eux l'usage du nom de Dieu, en leurs propos communs: Ils ne veulent pas qu'on s'en serve par une maniere d'interjection, ou d'exclamation, ny pour tesmoignage, ny pour comparaison: en quoy je trouve qu'ils ont raison. Et en quelque maniere que ce soit, que nous appellons Dieu à nostre commerce et societé, il faut que ce soit serieusement, et religieusement.

Il y a, ce me semble, en Xenophon un tel discours, où il montre que nous devons plus rarement prier Dieu: d'autant qu'il n'est pas aisé, que nous puissions si souvent remettre nostre ame, en cette assiette reglée, reformée, et devotieuse, où il faut qu'elle soit pour ce faire: autrement nos prieres ne sont pas seulement vaines et inutiles, mais vitieuses. Pardonne nous, disons nous, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offencez. Que disons nous par là, sinon que nous luy offrons nostre ame exempte de vengeance et de rancune? Toutesfois nous invoquons Dieu et son ayde, au complot de noz fautes, et le convions à l'injustice.

Quæ nisi seductis nequeas committere divis.

L'avaricieux le prie pour la conservation vaine et superflue de ses thresors: l'ambitieux pour ses victoires, et conduite de sa fortune: le voleur l'employe à son ayde, pour franchir le hazard et les difficultez, qui s'opposent à l'execution de ses meschantes entreprinses: ou le remercie de l'aisance qu'il a trouvé à desgosiller un passant. Au pied de la maison, qu'ils vont escheller ou petarder, ils font leurs prieres, l'intention et l'esperance pleine de cruauté, de luxure, et d'avarice.

Hoc ipsum quo tu Jovis aurem impellere tentas,

Dic agedum, Staio, pro Juppiter, ô bone, clamet,

Juppiter, at sese non clamet Juppiter ipse.

La Royne de Navarre Margueritte, recite d'un jeune Prince, et encore qu'elle ne le nomme pas, sa grandeur l'a rendu cognoissable assez, qu'allant à une assignation amoureuse, et coucher avec la femme d'un Advocat de Paris, son chemin s'addonnant au travers d'une Eglise, il ne passoit jamais en ce lieu sainct, allant ou retournant de son entreprinse, qu'il ne fist ses prieres et oraisons. Je vous laisse à juger, l'ame pleine de ce beau pensement, à quoy il employoit la faveur divine: Toutesfois elle allegue cela pour un tesmoignage de singuliere devotion. Mais ce n'est pas par cette preuve seulement qu'on pourroit verifier que les femmes ne sont gueres propres à traiter les matieres de la Theologie.

Une vraye priere, et une religieuse reconciliation de nous à Dieu, elle ne peut tomber en une ame impure et soubsmise, lors mesmes, à la domination de Satan. Celuy qui appelle Dieu à son assistance, pendant qu'il est dans le train du vice, il fait comme le coupeur de bourse, qui appelleroit la justice à son ayde; ou comme ceux qui produisent le nom de Dieu en tesmoignage de mensonge.

tacito mala vota susurro,

Concipimus.

Il est peu d'hommes qui ozassent mettre en evidence les requestes secrettes qu'ils font à Dieu.

Haud cuivis promptum est, murmurque humilesque susurros

Tollere de templis, et aperto vivere voto.

Voyla pourquoy les Pythagoriens vouloyent qu'elles fussent publiques, et ouyes d'un chacun; afin qu'on ne le requist de chose indecente et injuste, comme celuy-là:

clare cum dixit Apollo,

Labra movet metuens audiri: pulchra Laverna

Da mihi fallere, da justum sanctúmque videri.

Noctem peccatis, et fraudibus obijce nubem.

Les Dieux punirent grievement les iniques voeux d'OEdipus en les luy ottroyant. Il avoit prié, que ses enfants vuidassent entre eux par armes la succession de son estat, il fut si miserable, de se voir pris au mot. Il ne faut pas demander, que toutes choses suivent nostre volonté, mais qu'elle suive la prudence.

Il semble, à la verité, que nous nous servons de nos prieres, comme d'un jargon, et comme ceux qui employent les paroles sainctes et divines à des sorcelleries et effects magiciens: et que nous facions nostre compte que ce soit de la contexture, ou son, ou suitte des motz, ou de nostre contenance, que depende leur effect. Car ayans l'ame pleine de concupiscence, non touchée de repentance, ny d'aucune nouvelle reconciliation envers Dieu, nous luy allons presenter ces parolles que la memoire preste à nostre langue: et esperons en tirer une expiation de nos fautes. Il n'est rien si aisé, si doux, et si favorable que la loy divine: elle nous appelle à soy, ainsi fautiers et detestables comme nous sommes: elle nous tend les bras, et nous reçoit en son giron, pour vilains, ords, et bourbeux, que nous soyons, et que nous ayons à estre à l'advenir. Mais encore en recompense, la faut-il regarder de bon oeiclass="underline" encore faut-il recevoir ce pardon avec action de graces: et au moins pour cet instant que nous nous addressons à elle, avoir l'ame desplaisante de ses fautes, et ennemie des passions qui nous ont poussé à l'offencer: Ny les Dieux, ny les gens de bien, dict Platon, n'acceptent le present d'un meschant.

Immunis aram si tetigit manus,

Non sumptuosa blandior hostia

Mollivit aversos Penates,

Farre pio Et saliente mica.

CHAPITRE LVII De l'aage

JE ne puis recevoir la façon, dequoy nous establissons la durée de nostre vie. Je voy que les sages l'accoursissent bien fort au prix de la commune opinion. Comment, dit le jeune Caton, à ceux qui le vouloyent empescher de se tuer, suis-je à cette heure en aage, ou lon me puisse reprocher d'abandonner trop tost la vie? Si n'avoit-il que quarante et huict ans. Il estimoit cet aage la bien meur et bien avancé, considerant combien peu d'hommes y arrivent: Et ceux qui s'entretiennent de ce que je ne sçay quel cours qu'ils nomment naturel, promet quelques années au delà, ils le pourroient faire, s'ils avoient privilege qui les exemptast d'un si grand nombre d'accidens, ausquels chacun de nous est en bute par une naturelle subjection, qui peuvent interrompre ce cours qu'ils se promettent. Quelle refverie est-ce de s'attendre de mourir d'une defaillance de forces, que l'extreme vieillesse apporte, et de se proposer ce but à nostre durée: veu que c'est l'espece de mort la plus rare de toutes, et la moins en usage? Nous l'appellons seule naturelle, comme si c'estoit contre nature, de voir un homme se rompre le col d'une cheute, s'estoufer d'un naufrage, se laisser surprendre à la peste ou à une pleuresie, et comme si nostre condition ordinaire ne nous presentoit à tous ces inconvenients. Ne nous flattons pas de ces beaux mots: on doit à l'aventure appeller plustost naturel, ce qui est general, commun, et universel. Mourir de vieillesse, c'est une mort rare, singuliere et extraordinaire, et d'autant moins naturelle que les autres: c'est la derniere et extreme sorte de mourir: plus elle est esloignée de nous, d'autant est elle moins esperable: c'est bien la borne, au delà de laquelle nous n'irons pas, et que la loy de nature a prescript, pour n'estre point outre-passée: mais c'est un sien rare privilege de nous faire durer jusques là. C'est une exemption qu'elle donne par faveur particuliere, à un seul, en l'espace de deux ou trois siecles, le deschargeant des traverses et difficultez qu'elle a jetté entre deux, en cette longue carriere.