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Les discours sont à moy, et se tiennent par la preuve de la raison, non de l'experience; chacun y peut joindre ses exemples: et qui n'en a point, qu'il ne laisse pas de croire qu'il en est assez, veu le nombre et varieté des accidens.

Si je ne comme bien, qu'un autre comme pour moy. Aussi en l'estude que je traitte, de noz moeurs et mouvements. les tesmoignages fabuleux, pourveu qu'ils soient possibles, y servent comme les vrais. Advenu ou non advenu, à Rome ou à Paris, à Jean ou à Pierre, c'est tousjours un tour de l'humaine capacité: duquel je suis utilement advisé par ce recit. Je le voy, et en fay mon profit, egalement en umbre qu'en corps. Et aux diverses leçons, qu'ont souvent les histoires, je prens à me servir de celle qui est la plus rare et memorable. Il y a des autheurs, desquels la fin c'est dire les evenements. La mienne, si j'y scavoye advenir, seroit dire sur ce qui peut advenir. Il est justement permis aux Escholes, de supposer des similitudes, quand ilz n'en ont point. Je n'en fay pas ainsi pourtant, et surpasse de ce costé là, en religion superstitieuse, toute foy historiale. Aux exemples que je tire ceans, de ce que j'ay leu, ouï, faict, ou dict, je me suis defendu d'oser alterer jusques aux plus legeres et inutiles circonstances, ma conscience ne falsifie pas un iota, mon inscience je ne sçay. Sur ce propos, j'entre par fois en pensée, qu'il puisse asses bien convenir à un Theologien, à un Philosophe, et telles gens d'exquise et exacte conscience et prudence, d'escrire l'histoire. Comment peuvent-ils engager leur foy sur une foy populaire? comment respondre des pensées de personnes incognues; et donner pour argent contant leurs conjectures? Des actions à divers membres, qui se passent en leur presence, ils refuseroient d'en rendre tesmoignage, assermentez par un juge. Et n'ont homme si familier, des intentions duquel ils entreprennent de pleinement respondre. Je tien moins hazardeux d'escrire les choses passées, que presentes: d'autant que l'escrivain n'a à rendre compte que d'une verité empruntée. Aucuns me convient d'escrire les affaires de mon temps: estimants que je les voy d'une veuë moins blessée de passion, qu'un autre, et de plus pres, pour l'accés que fortune m'a donné aux chefs de divers partis. Mais ils ne disent pas, que pour la gloire de Salluste je n'en prendroys pas la peine: ennemy juré d'obligation, d'assiduité, de constance: qu'il n'est rien si contraire à mon stile, qu'une narration estendue. Je me recouppe si souvent, à faute d'haleine. Je n'ay ny composition ny explication, qui vaille. Ignorant au delà d'un enfant, des frases et vocables, qui servent aux choses plus communes. Pourtant ay-je prins à dire ce que je sçay dire: accommodant la matiere à ma force. Si j'en prenois qui me guidast, ma mesure pourroit faillir à la sienne. Que ma liberté, estant si libre, j'eusse publié des jugements, à mon gré mesme, et selon raison, illegitimes et punissables. Plutarche nous diroit volontiers de ce qu'il en a faict, que c'est l'ouvrage d'autruy, que ses exemples soient en tout et par tout veritables: qu'ils soient utiles à la posterité, et presentez d'un lustre, qui nous esclaire à la vertu, que c'est son ouvrage. Il n'est pas dangereux, comme en une drogue medicinale, en un compte ancien, qu'il soit ainsin ou ainsi.

CHAPITRE XXI Le profit de l'un est dommage de l'autre

DEMADES Athenien condemna un homme de sa ville, qui faisoit mestier de vendre les choses necessaires aux enterremens, soubs tiltre de ce qu'il en demandoit trop de profit, et que ce profit ne luy pouvoit venir sans la mort de beaucoup de gens. Ce jugement semble estre mal pris; d'autant qu'il ne se faict aucun profit qu'au dommage d'autruy, et qu'à ce compte il faudroit condamner toute sorte de guain.

Le marchand ne faict bien ses affaires, qu'à la débauche de la jeunesse: le laboureur à la cherté des bleds: l'architecte à la ruine des maisons: les officiers de la justice aux procez et querelles des hommes: l'honneur mesme et pratique des Ministres de la religion se tire de nostre mort et de noz vices. Nul medecin ne prent plaisir à la santé de ses amis mesmes, dit l'ancien Comique Grec; ny soldat à la paix de sa ville: ainsi du reste. Et qui pis est, que chacun se sonde au dedans, il trouvera que nos souhaits interieurs pour la plus part naissent et se nourrissent aux despens d'autruy. Ce que considerant, il m'est venu en fantasie, comme nature ne se dement point en cela de sa generale police: car les Physiciens tiennent, que la naissance, nourrissement, et augmentation de chasque chose, est l'alteration et corruption d'un'autre.

Nam quodcunque suis mutatum finibus exit,

Continuo hoc mors est illius, quod fuit ante.

CHAPITRE XXII De la coustume, et de ne changer aisément une loy receüe

CELUY me semble avoir tres-bien conceu la force de la coustume, qui premier forgea ce compte, qu'une femme de village ayant appris de caresser et porter entre ses bras un veau des l'heure de sa naissance, et continuant tousjours à ce faire, gaigna cela par l'accoustumance, que tout grand beuf qu'il estoit, elle le portoit encore. Car c'est à la verité une violente et traistresse maistresse d'escole, que la coustume. Elle establit en nous, peu à peu, à la desrobée, le pied de son authorité: mais par ce doux et humble commencement, l'ayant rassis et planté avec l'ayde du temps, elle nous descouvre tantost un furieux et tyrannique visage, contre lequel nous n'avons plus la liberté de hausser seulement les yeux. Nous luy voyons forcer tous les coups les reigles de nature: Usus efficacissimus rerum omnium magister.

J'en croy l'antre de Platon en sa Republique, et les medecins, qui quittent si souvent à son authorité les raisons de leur art: et ce Roy qui par son moyen rangea son estomac à se nourrir de poison: et la fille qu'Albert recite s'estre accoustumée à vivre d'araignées: et en ce monde des Indes nouvelles on trouva des grands peuples, et en fort divers climats, qui en vivoient, en faisoient provision, et les appastoient: comme aussi des sauterelles, formiz, laizards, chauvesouriz, et fut un crapault vendu six escus en une necessité de vivres: ils les cuisent et apprestent à diverses sauces. Il en fut trouvé d'autres ausquels noz chairs et noz viandes estoyent mortelles et venimeuses. Consuetudinis magna vis est. Pernoctant venatores in nive: in montibus uri se patiuntur. Pugiles, cæstibus contusi, ne ingemiscunt quidem.

Ces exemples estrangers ne sont pas estranges, si nous considerons ce que nous essayons ordinairement; combien l'accoustumance hebete noz sens. Il ne nous faut pas aller cercher ce qu'on dit des voisins des cataractes du Niclass="underline" et ce que les Philosophes estiment de la musicque celeste; que les corps de ces cercles, estants solides, polis, et venants à se lescher et frotter l'un à l'autre en roullant, ne peuvent faillir de produire une merveilleuse harmonie: aux couppures et muances de laquelle se manient les contours et changements des caroles des astres. Mais qu'universellement les ouïes des creatures de çà bas, endormies, comme celles des Ægyptiens, par la continuation de ce son, ne le peuvent appercevoir, pour grand qu'il soit. Les mareschaux, meulniers, armuriers, ne sçauroient demeurer au bruit, qui les frappe, s'il les perçoit comme à nous. Mon collet de fleurs sert à mon nez: mais apres que je m'en suis vestu trois jours de suitte, il ne sert qu'aux nez assistants. Cecy est plus estrange, que, nonobstant les longs intervalles et intermissions, l'accoustumance puisse joindre et establir l'effect de son impression sur noz sens: comme essayent les voysins des clochiers. Je loge chez moy en une tour, où à la diane et à la retraitte une fort grosse cloche sonne tous les jours l'Ave Maria. Ce tintamarre estonne ma tour mesme: et aux premiers jours me semblant insupportable, en peu de temps m'apprivoise de maniere que je l'oy sans offense, et souvent sans m'en esveiller.