queis arte benigna
Et meliore luto finxit præcordia Titan,
qui se maintiennent au travers d'une mauvaise institution. Or ce n'est pas assez que nostre institution ne nous gaste pas, il faut qu'elle nous change en mieux.
Il y a aucuns de noz Parlemens, quand ils ont à recevoir des officiers, qui les examinent seulement sur la science: les autres y adjoustent encores l'essay du sens, en leur presentant le jugement de quelque cause. Ceux-cy me semblent avoir un beaucoup meilleur stile: Et encore que ces deux pieces soyent necessaires, et qu'il faille qu'elles s'y trouvent toutes deux: si est-ce qu'à la verité celle du sçavoir est moins prisable, que celle du jugement; cette-cy se peut passer de l'autre, et non l'autre de cette-cy. Car comme dict ce vers Grec,
A quoy faire la science, si l'entendement n'y est? Pleust à Dieu que pour le bien de nostre justice ces compagnies là se trouvassent aussi bien fournies d'entendement et de conscience, comme elles sont encore de science. Non vitæ, sed scholæ discimus. Or il ne faut pas attacher le sçavoir à l'ame, il l'y faut incorporer: il ne l'en faut pas arrouser, il l'en faut teindre; et s'il ne la change, et meliore son estat imparfaict, certainement il vaut beaucoup mieux le laisser là. C'est un dangereux glaive, et qui empesche et offence son maistre s'il est en main foible, et qui n'en sçache l'usage: ut fuerit melius non didicisse.
A l'adventure est ce la cause, que et nous, et la Theologie ne requerons pas beaucoup de science aux femmes, et que François Duc de Bretaigne filz de Jean V. comme on luy parla de son mariage avec Isabeau fille d'Escosse, et qu'on luy adjousta qu'elle avoit esté nourrie simplement et sans aucune instruction de lettres, respondit, qu'il l'en aymoit mieux, et qu'une femme estoit assez sçavante, quand elle sçavoit mettre difference entre la chemise et le pourpoint de son mary.
Aussi ce n'est pas si grande merveille, comme on crie, que nos ancestres n'ayent pas faict grand estat des lettres, et qu'encores aujourd'huy elles ne se trouvent que par rencontre aux principaux conseils de nos Roys: et si cette fin de s'en enrichir, qui seule nous est aujourd'huy proposée par le moyen de la Jurisprudence, de la Medecine, du pedantisme, et de la Theologie encore, ne les tenoit en credit, vous les verriez sans doubte aussi marmiteuses qu'elles furent onques. Quel dommage, si elles ne nous apprennent ny à bien penser, ny à bien faire? Postquam docti prodierunt, boni desunt.
Toute autre science, est dommageable à celuy qui n'a la science de la bonté. Mais la raison que je cherchoys tantost, seroit elle point aussi de là, que nostre estude en France n'ayant quasi autre but que le proufit, moins de ceux que nature a faict naistre à plus genereux offices que lucratifs, s'adonnants aux lettres, ou si courtement (retirez avant que d'en avoir pris appetit, à une profession qui n'a rien de commun avec les livres) il ne reste plus ordinairement, pour s'engager tout a faict a l'estude, que les gents de basse fortune, qui y questent des moyens à vivre. Et de ces gents-là, les ames estans et par nature, et par institution domestique et exemple, du plus bas aloy, rapportent faucement le fruit de la science. Car elle n'est pas pour donner jour à l'ame qui n'en a point: ny pour faire voir un aveugle. Son mestier est, non de luy fournir de veuë, mais de la luy dresser, de luy regler ses allures, pourveu qu'elle aye de soy les pieds, et les jambes droites et capables. C'est une bonne drogue que la science, mais nulle drogue n'est assés forte, pour se preserver sans alteration et corruption, selon le vice du vase qui l'estuye. Tel a la veuë claire, qui ne l'a pas droitte: et par consequent void le bien, et ne le suit pas: et void la science, et ne s'en sert pas. La principale ordonnance de Platon en sa republique, c'est donner à ses citoyens selon leur nature, leur charge. Nature peut tout, et fait tout. Les boiteux sont mal propres aux exercices du corps, et aux exercices de l'esprit les ames boiteuses. Les bastardes et vulgaires sont indignes de la philosophie. Quand nous voyons un homme mal chaussé, nous disons que ce n'est pas merveille, s'il est chaussetier. De mesme il semble, que l'experience nous offre souvent, un medecin plus mal medeciné, un Theologien moins reformé, et coustumierement un sçavant moins suffisant qu'un autre.
Aristo Chius avoit anciennement raison de dire, que les philosophes nuisoient aux auditeurs: d'autant que la plus part des ames ne se trouvent propres à faire leur profit de telle instruction: qui, si elle ne se met à bien, se met à maclass="underline" asotos ex Aristippi, acerbos ex Zenonis schola exire.
En cette belle institution que Xenophon preste aux Perses, nous trouvons qu'ils apprenoient la vertu à leurs enfans, comme les autres nations font les lettres. Platon dit que le fils aisné en leur succession royale, estoit ainsi nourry. Apres sa naissance, on le donnoit, non à des femmes, mais à des eunuches de la premiere authorité autour des Roys, à cause de leur vertu. Ceux-cy prenoient charge de luy rendre le corps beau et sain: et apres sept ans le duisoient à monter à cheval, et aller à la chasse. Quand il estoit arrivé au quatorziesme, ils le deposoient entre les mains de quatre: le plus sage, le plus juste, le plus temperant, le plus vaillant de la nation. Le premier luy apprenoit la religion: le second, à estre tousjours veritable: le tiers, à se rendre maistre des cupidités: le quart, à ne rien craindre.
C'est chose digne de tres-grande consideration, que en cette excellente police de Lycurgus, et à la verité monstrueuse par sa perfection, si songneuse pourtant de la nourriture des enfans, comme de sa principale charge, et au giste mesmes des Muses, il s'y face si peu de mention de la doctrine: comme si cette genereuse jeunesse desdaignant tout autre joug que de la vertu, on luy aye deu fournir, au lieu de nos maistres de science, seulement des maistres de vaillance, prudence et justice. Exemple que Platon a suivy en ses loix. La façon de leur discipline, c'estoit leur faire des questions sur le jugement des hommes, et de leurs actions: et s'ils condamnoient et loüoient, ou ce personnage, ou ce faict, il falloit raisonner leur dire, et par ce moyen ils aiguisoient ensemble leur entendement, et apprenoient le droit. Astyages en Xenophon, demande à Cyrus compte de sa derniere leçon; C'est, dit-il, qu'en nostre escole un grand garçon ayant un petit saye, le donna à l'un de ses compagnons de plus petite taille, et luy osta son saye, qui estoit plus grand: nostre precepteur m'ayant fait juge de ce different; je jugeay qu'il falloit laisser les choses en cet estat, et que l'un et l'autre sembloit estre mieux accommodé en ce point: sur quoy il me remontra que j'avois mal fait. car je m'estois arresté à considerer la bien seance, et il falloit premierement avoir proveu à la justice, qui vouloit que nul ne fust forcé en ce qui luy appartenoit. Et dit qu'il en fut fouëté, tout ainsi que nous sommes en nos villages, pour avoir oublié le premier Aoriste de. Mon regent me feroit une belle harangue in genere demonstrativo, avant qu'il me persuadast que son escole vaut cette-là. Ils ont voulu coupper chemin: et puis qu'il est ainsi que les sciences, lors mesmes qu'on les prent de droit fil, ne peuvent que nous enseigner la prudence, la preud'hommie et la resolution, ils ont voulu d'arrivée mettre leurs enfans au propre des effects, et les instruire non par ouïr dire, mais par l'essay de l'action, en les formant et moulant vifvement, non seulement de preceptes et parolles, mais principalement d'exemples et d'oeuvres: afin que ce ne fust pas une science en leur ame, mais sa complexion et habitude: que ce ne fust pas un acquest, mais une naturelle possession. A ce propos, on demandoit à Agesilaus ce qu'il seroit d'advis, que les enfans apprinsent: Ce qu'ils doivent faire estans hommes, respondit-il. Ce n'est pas merveille, si une telle institution a produit des effects si admirables.