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Il se tire une merveilleuse clarté pour le jugement humain, de la frequentation au monde. Nous sommes tous contraints et amoncellez en nous, et avons la veuë racourcie à la longueur de nostre nez. On demandoit à Socrates d'où il estoit, il ne respondit pas, d'Athenes, mais, du monde. Luy qui avoit imagination plus plaine et plus estanduë, embrassoit l'univers, comme sa ville, jettoit ses cognoissances, sa societé et ses affections à tout le genre humain: non pas comme nous, qui ne regardons que sous nous. Quand les vignes gelent en mon village, mon prebstre en argumente l'ire de Dieu sur la race humaine, et juge que la pepie en tienne des-ja les Cannibales. A voir nos guerres civiles, qui ne crie que cette machine se bouleverse, et que le jour du jugement nous prent au collet: sans s'aviser que plusieurs pires choses se sont veuës, et que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galler le bon temps cependant? Moy, selon leur licence et impunité, admire de les voir si douces et molles. A qui il gresle sur la teste, tout l'hemisphere semble estre en tempeste et orage: Et disoit le Savoïard, que si ce sot de Roy de France, eut sçeu bien conduire sa fortune, il estoit homme pour devenir maistre d'hostel de son Duc. Son imagination ne conçevoit autre plus eslevee grandeur, que celle de son maistre. Nous sommes insensiblement touts en cette erreur: erreur de grande suitte et prejudice. Mais qui se presente comme dans un tableau, cette grande image de nostre mere nature, en son entiere majesté: qui lit en son visage, une si generale et constante varieté: qui se remarque là dedans, et non soy, mais tout un royaume, comme un traict d'une pointe tres-delicate, celuy-là seul estime les choses selon leur juste grandeur.

Ce grand monde, que les uns multiplient encore comme especes soubs un genre, c'est le miroüer, où il nous faut regarder, pour nous cognoistre de bon biais. Somme je veux que ce soit le livre de mon escolier. Tant d'humeurs, de sectes, de jugemens, d'opinions, de loix, et de coustumes, nous apprennent à juger sainement des nostres, et apprennent nostre jugement à recognoistre son imperfection et sa naturelle foiblesse: qui n'est pas un legier apprentissage. Tant de remuements d'estat, et changements de fortune publique, nous instruisent à ne faire pas grand miracle de la nostre. Tant de noms, tant de victoires et conquestes ensevelies soubs l'oubliance, rendent ridicule l'esperance d'eterniser nostre nom par la prise de dix argoulets, et d'un pouillier, qui n'est cognu que de sa cheute. L'orgueil et la fiereté de tant de pompes estrangeres, la majesté si enflee de tant de cours et de grandeurs, nous fermit et asseure la veüe, à soustenir l'esclat des nostres, sans siller les yeux. Tant de milliasses d'hommes enterrez avant nous, nous encouragent à ne craindre d'aller trouver si bonne compagnie en l'autre monde: ainsi du reste.

Nostre vie, disoit Pythagoras, retire à la grande et populeuse assemblee des jeux Olympiques. Les uns exercent le corps, pour en acquerir la gloire des jeux: d'autres y portent des marchandises à vendre, pour le gain. Il en est (et qui ne sont pas les pires) lesquels n'y cherchent autre fruict, que de regarder comment et pourquoy chasque chose se faict: et estre spectateurs de la vie des autres hommes, pour en juger et reigler la leur.

Aux exemples se pourront proprement assortir tous les plus profitables discours de la philosophie, à laquelle se doivent toucher les actions humaines, comme à leur reigle. On luy dira,

quid fas optare, quid asper

Utile nummus habet, patriæ charisque propinquis

Quantum elargiri deceat, quem te Deus esse

Jussit, et humana qua parte locatus es in re,

Quid sumus, aut quidnam victuri gignimur;

Que c'est que sçavoir et ignorer, qui doit estre le but de l'estude: que c'est que vaillance, temperance, et justice: ce qu'il y a à dire entre l'ambition et l'avarice: la servitude et la subjection, la licence et la liberté: à quelles marques on congnoit le vray et solide contentement: jusques où il faut craindre la mort, la douleur et la honte.

Et quo quemque modo fugiatque feratque laborem.

Quels ressors nous meuvent, et le moyen de tant divers branles en nous. Car il me semble que les premiers discours, dequoy on luy doit abreuver l'entendement, ce doivent estre ceux, qui reglent ses moeurs et son sens, qui luy apprendront à se cognoistre, et à sçavoir bien mourir et bien vivre. Entre les arts liberaux, commençons par l'art qui nous faict libres.

Elles servent toutes voirement en quelque maniere à l'instruction de nostre vie, et à son usage: comme toutes autres choses y servent en quelque maniere aussi. Mais choisissons celle qui y sert directement et professoirement.

Si nous sçavions restraindre les appartenances de nostre vie à leurs justes et naturels limites, nous trouverions, que la meilleure part des sciences, qui sont en usage, est hors de nostre usage. Et en celles mesmes qui le sont, qu'il y a des estendues et enfonceures tres-inutiles, que nous ferions mieux de laisser là: et suivant l'institution de Socrates, borner le cours de nostre estude en icelles, où faut l'utilité.

sapere aude,

Incipe: vivendi qui rectè prorogat horam,

Rusticus expectat dum defluat amnis, at ille

Labitur, et labetur in omne volubilis ævum:

C'est une grande simplesse d'aprendre à nos enfans,

Quid moveant pisces, animosàque signaleonis,

Lotus Et Hesperia quid capricornus aqua.

La science des astres et le mouvement de la huictiesme sphere, avant que les leurs propres.

Anaximenes escrivant à Pythagoras: De quel sens puis je m'amuser aux secrets des estoilles, ayant la mort ou la servitude tousjours presente aux yeux? Car lors les Roys de Perse preparoient la guerre contre son pays. Chacun doit dire ainsi. Estant battu d'ambition, d'avarice, de temerité, de superstition: et ayant au dedans tels autres ennemis de la vie: iray-je songer au bransle du monde?