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24. Il y a une infinité d'exemples de leur fidélité : sans oublier l'action des assiégés de Salone, ville qui avait pris le parti de César contre Pompée, à cause d'un événement extraordinaire qui s'y produisit. Marcus Octavius dirigeait le siège ; ceux de la ville étaient réduits à la dernière nécessité, si bien que pour suppléer le manque d'hommes, dû au fait que la plupart d'entre eux étaient blessés ou morts, ils avaient affranchi tous leurs esclaves, et qu'ils avaient été contraints de couper les cheveux de toutes les femmes pour en faire des cordages pour leurs engins de guerre — sans parler de l'extrême pénurie de vivres. Et malgré cela, ils étaient néanmoins résolus à ne jamais se rendre.

25. Ce siège traînant en longueur, Octavius était devenu plus nonchalant, et moins attentif à son entreprise ; ils choisirent un jour sur le coup de midi, et ayant fait ranger femmes et enfants sur la muraille pour donner le change, ils sortirent en se ruant avec une telle impétuosité sur leurs assiégeants qu'ils eurent bientôt enfoncé le premier, le second, puis le troisième, et le quatrième corps de garde, et enfin tout le reste, firent abandonner leurs tranchées aux ennemis et les chassèrent jusque dans leurs navires. Octavius lui-même dut s'enfuir à Dyrrachium où était Pompée.

26. Je n'ai pas à ce jour le souvenir d'avoir vu un autre exemple dans lequel les assiégés battent les assiégeants, et deviennent maîtres du terrain, ni qu'une sortie ait pu aboutir à une victoire pleine et entière dans une bataille.

Chapitre 35

Sur trois bonnes épouses

1. Il n'y en a pas des quantités, comme chacun sait ; et notamment en ce qui concerne les devoirs du mariage. Car c'est là, en effet, un marché plein de tant de circonstances épineuses, qu'il est malaisé que la volonté d'une femme puisse s'y maintenir longtemps intacte. Les hommes, quoique leur situation y soit un peu meilleure, y ont déjà trop721 à faire.

2. La pierre de touche d'un bon mariage, sa véritable preuve, c'est la durée de cette communauté, si elle a été constamment douce, loyale et agréable. À notre époque, les épouses font plus volontiers étalage de leurs bons services et de la véhémence de leur affection à leur mari — quand celui-ci a disparu. Elles cherchent alors à donner au moins un témoignage de leur bonne volonté. Témoignage tardif, et même hors de saison... Elle prouvent plutôt par là qu'elles ne les aiment que morts.

3. La vie est pleine d'agitation fiévreuse. Le trépas, d'amour et de courtoisie... De même que les pères cachent leur affection envers leurs enfants, les femmes cachent volontiers leur affection envers leur mari, pour conserver une attitude digne et respectable. Cette dissimulation n'est pas de mon goût. Elles ont beau s'arracher les cheveux, s'égratigner le visage, je demande plutôt à l'oreille d'une femme de chambre ou d'un secrétaire : « Comment étaient-ils, comment ont-ils vécu ensemble ? » Je me souviens toujours de ce bon mot : « D'autant plus de pleurs que moins de douleur.722 » Leur façon de rechigner est détestable pour les vivants et sans importance pour les morts. On permettrait volontiers des sourires après, pourvu qu'on en ait pendant la vie. N'y a-t-il pas de quoi ressusciter de colère, si celui qui m'aura craché au nez pendant que j'étais en vie vient me lécher les pieds quand je n'y suis plus ?

4. S'il y a quelque honneur à pleurer un mari, il n'appartient qu'à celles qui leur ont souri ; que celles qui ont pleuré durant sa vie sourient après sa mort, au dehors comme au dedans. Ne vous fiez donc pas à ces yeux embués, à cette voix à faire pitié : regardez plutôt ce port de tête, ce teint, ces joues rebondies, sous les grands voiles : c'est par ces détails-là qu'elle parle clairement. Il en est peu dont la santé n'aille en s'améliorant, effet qui ne saurait mentir. Cette contenance cérémonieuse ne regarde pas tant le passé que l'avenir : c'est un gain plus qu'un solde. Dans mon enfance, une dame très belle et très honnête, qui vit encore, veuve d'un prince, avait dans sa mise un je ne sais quoi de plus qu'il n'est permis par les règles du veuvage. Et à ceux qui le lui reprochaient, elle répondait : « C'est que je ne recherche plus de nouvelles amitiés, et que je n'ai pas envie de me remarier. »

5. Pour ne pas être tout à fait en désaccord avec les habitudes, j'ai choisi de parler ici de trois femmes qui ont aussi déployé leur bonté et leur affection pour entourer la mort de leurs maris. Mais ce sont là des exemples quelque peu différents, où la passion est si forte qu'elle en arrive à mettre un terme à la vie.

6. Pline le Jeune avait, non loin de sa maison en Italie723, un voisin terriblement torturé par des ulcères qui s'étaient manifestés sur ses « parties honteuses ». Sa femme, qui le voyait depuis longtemps souffrir, le pria de lui permettre d'examiner de près et librement l'état de son mal, pour pouvoir lui dire plus franchement que quiconque ce qu'il pouvait en espérer. Après avoir obtenu cette permission, et l'avoir soigneusement examiné, elle se rendit compte qu'il était impossible qu'il pût en guérir, et que tout ce qu'il pouvait en attendre, c'était de traîner fort longtemps une vie douloureuse et languissante. Aussi lui conseilla-t-elle comme étant le remède radical et le plus sûr, de se tuer. Et comme elle le trouvait un peu faible pour une action si rude, elle lui dit : « Ne pense pas, mon ami, que les douleurs que je te vois endurer me touchent moins que toi, et pour m'en délivrer, je vais me servir pour moi-même de cette médecine que je te prescris. Je veux t'accompagner dans ta guérison comme je l'ai fait dans ta maladie. Oublie tes craintes, et pense que nous n'éprouverons que du plaisir à ce passage qui nous délivrera de ces tourments : nous serons heureux en nous en allant ensemble. »

7. Cela dit, et ayant raffermi le courage de son mari, elle décida qu'ils se précipiteraient dans la mer par une fenêtre de leur logis, qui y donnait justement. Et pour maintenir jusqu'au bout cette grande et loyale affection dont elle l'avait entouré toute sa vie, elle voulut encore qu'il meure entre ses bras. Mais de peur que ceux-ci la trahissent, et que leur étreinte ne vienne à se relâcher à cause de la chute et de la peur, elle se fit attacher très étroitement à lui par le milieu du corps, et abandonna ainsi la vie pour le repos de celle de son mari.

8. Cette épouse-là était de condition modeste. Et parmi les gens de cette sorte, il n'est pas si rare de rencontrer une action d'une exceptionnelle qualité.

C'est chez eux que la Justice

Sur la terre a fait ses derniers pas.

[Virgile Géorgiques II, 473]

 

Les deux autres dont je vais parler sont de condition noble et riche — où les exemples de vertu sont plus rares.

9. Arria, la femme de Cecinna Pætus, ancien consul, était la mère d'une autre Arria, femme de Thrasea Pætus dont la vertu fut si renommée du temps de Néron, et qui par ce gendre, était la grand-mère de Fannia (la ressemblance des noms des hommes et des femmes et de leurs destins a induit en erreur plusieurs auteurs). Cecinna Pætus ayant été fait prisonnier par les gens de l'Empereur Claude, après la défaite de Scribonianus dont il avait pris le parti, sa femme Arria supplia ceux qui l'emmenaient à Rome de la prendre à bord de leur navire, où elle leur causerait une bien moins grande dépense et bien moins de soucis que le grand nombre de personnes dont ils auraient besoin pour servir son mari, disant qu'à elle seule elle s'occuperait de sa chambre, de la cuisine, et accomplirait toutes sortes d'autres tâches. Mais ils refusèrent. Alors elle se jeta dans un bateau de pêcheur qu'elle loua sur le champ, et suivit ainsi son mari depuis la Slavonie. Quand ils furent arrivés à Rome, un jour, en présence de l'empereur, Junia, veuve de Scribonianus, s'étant approchée d'Arria familièrement, à cause de la ressemblance de leurs destins, celle-ci la repoussa brutalement, en lui disant : « Moi, te parler ou t'écouter, alors que Scribonianus a été tué près de toi, et que tu vis encore ? » Ces paroles, avec d'autres signes, firent comprendre à ses parents qu'elle envisageait de se suicider, parce qu'elle ne pouvait pas supporter le triste sort de son mari. Et Thrasea, son gendre, la supplia de ne pas mettre fin à ses jours, lui disant : « Quoi ? Si mon sort était semblable à celui de Cecinna, voudriez-vous que ma femme votre fille en fît de même ? — Comment donc, si je le voudrais ? répondit Arria ; oui, oui je le voudrais, si elle avait vécu aussi longtemps, et en aussi bon accord avec toi que mon mari et moi. »