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45. J'ai vu, à l'occasion de mes voyages, presque tous les bains les plus fameux de la Chrétienté, et depuis quelques années, j'ai commencé à les utiliser. Car en général, je pense que l'usage des bains est salubre, et je crois que nous courons le risque de troubles de santé sévères pour avoir perdu cette habitude, si largement observée dans les temps anciens chez presque tous les peuples et de nombreux encore aujourd'hui, de se laver le corps tous les jours. Et je ne peux pas imaginer que notre état ne se ressente sérieusement de laisser ainsi nos membres couverts d'une croûte et nos pores bouchés par la crasse. Par ailleurs, en ce qui concerne l'eau que l'on boit dans les « bains », par chance elle n'est pas contraire à mon goût, mais de plus elle est naturelle et simple, donc n'est pas dangereuse, même si elle est peu efficace. J'en veux pour preuve cette quantité de gens de toutes sortes et de toutes constitutions qui s'y rassemblent. Je n'y ai encore décelé aucun effet extraordinaire ou miraculeux ; au contraire, en me renseignant un peu plus en détails qu'on ne le fait d'habitude, j'ai trouvé mal fondés et faux tous les bruits répandus dans ces endroits-là à propos d'effets de ce genre ; mais cependant on y croit : car les gens se laissent aisément berner en entendant ce qu'ils désirent entendre.

46. Et cependant, il est vrai que je n'ai guère vu de personnes dont l'état ait empiré du fait de ces eaux, et on ne peut sans être malhonnête leur dénier certains effets, comme d'ouvrir l'appétit, de faciliter la digestion, de redonner de la vivacité — si on ne vient pas là dans un trop grand état de faiblesse, ce que je déconseille de faire. Elles ne peuvent relever une santé complètement ruinée, mais elles peuvent renforcer une prédisposition légère ou s'opposer à la menace de quelque dégradation. Celui qui n'y vient pas avec assez d'allégresse pour pouvoir jouir du plaisir de la compagnie qu'on y trouve, des promenades et exercices physiques à quoi nous convie la beauté des lieux où sont généralement situés ces établissements, celui-là perd sans doute la partie la meilleure et la plus sûre de leur effet. C'est pourquoi j'ai choisi jusqu'à présent de m'arrêter prendre les eaux dans les endroits où le site était le plus agréable, où l'on trouve les meilleures conditions de logement, de nourriture et de compagnie, comme c'est le cas en France pour les bains de Bagnères773, et à la frontière de l'Allemagne et de la Lorraine, ceux de Plombières774; en Suisse, pour ceux de Baden; en Toscane, pour ceux de Lucques, et notamment ceux de « della Villa », où j'ai fait des séjours le plus souvent, et à divers moments de l'année775.

47. Chaque nation a des idées particulières concernant l'usage des « eaux », les règlements et les façons de les utiliser sont très divers, mais d'après mon expérience, leur effet est à peu près le même. En Allemagne, on ne conçoit pas de les boire. Pour toutes les maladies, ils se baignent, et sont là à grenouiller dans l'eau, presque toute la journée. En Italie, s'ils en boivent pendant neuf jours, ils s'y baignent au moins trente ; et ils y ajoutent couramment d'autres drogues pour renforcer son action. Ici, on vous ordonne de vous promener pour la digérer ; là on vous tient au lit dans lequel on vous l'a fait prendre, jusqu'à ce que vous l'ayez évacuée, en vous réchauffant constamment le ventre et les pieds. Les Allemands ont ceci de particulier qu'ils se font généralement tous poser des ventouses scarifiées dans leur bain. Les Italiens, de leur côté, ont leurs « douches », qui sont des sortes de gouttières amenant l'eau chaude transportée dans des tuyaux ; ils s'en aspergent ainsi la tête ou le ventre, ou toute autre partie du corps qui est à traiter, une heure le matin, et autant après le repas, pendant un mois.

48. Il y a une infinité d'autres différences dans les habitudes, selon les contrées, ou, pour mieux dire, il n'y a presque aucune ressemblance entre les unes et les autres. Voilà comment, cette partie de la médecine, la seule à laquelle je me suis laissé aller, bien qu'elle soit la moins artificielle, a elle aussi sa part de la confusion et de l'incertitude que l'on voit partout ailleurs dans cet art.

49. Les poètes disent tout ce qu'ils veulent, avec plus de recherche et de grâce, comme en témoignent ces deux épigrammes :

Alcon, hier, a touché la statue de Jupiter ;

Et le dieu, pourtant de marbre, subit la vertu médicale :

Voici qu'aujourd'hui, tout dieu qu'il est,

On le tire de son temple et l'enterre.

[Ausone Oeuvres complètes Épigrammes LXXIV]

 

et l'autre :

 

Andragoras s'est baigné et a soupé joyeusement avec nous ;

Et ce matin le voilà mort. Veux-tu savoir, Faustin,

Quelle est la cause d'une mort si soudaine ?

Il avait vu en songe le médecin Hermocrate.

[Martial Épigrammes VI, 53]

 

Et là-dessus, je raconterai deux histoires.

50. Le baron de Caupène en Chalosse776 et moi, avons en commun le droit de patronage777 d'un bénéfice de grande étendue, au pied des montagnes, et qui se nomme Lahontan. Il en était des habitants de cet endroit, à ce qu'on dit, comme de ceux de la vallée d'Angrougne : ils avaient une vie à part, dans leurs façons d'être, leurs vêtements et leurs mœurs. Ils étaient régis par des règles et des coutumes particulières, héritées de père en fils, auxquelles ils se conformaient sans y être contraints le moins du monde, mus par le seul respect dû à l'usage. Ce petit état s'était maintenu depuis la plus haute antiquité dans une situation si heureuse qu'aucun juge voisin n'avait eu à s'inquiéter de leurs affaires, aucun avocat n'avait jamais été sollicité pour donner son avis ni aucun étranger appelé pour éteindre leurs querelles. Et on n'avait jamais vu aucun habitant de ce pays contraint à demander l'aumône. Ils évitaient les mariages et la fréquentation avec le reste du monde pour ne pas altérer la pureté de leur société jusqu'au jour où, comme ils le racontent, du temps de leurs pères, l'un d'entre eux, aiguillonné par une noble ambition, eut l'idée, pour donner du lustre et de la réputation à son nom, s'avisa de faire appeler l'un de ses enfants « Maître Jean » ou « Maître Pierre », et l'ayant fait apprendre à écrire en quelque ville voisine, en fit un beau notaire de village. Devenu grand, celui-ci commença à dédaigner leurs anciennes coutumes et à leur mettre en tête les façons de faire de nos régions. Au premier de ses compagnons à qui on écorna une chèvre, il conseilla d'en demander réparation auprès des juges royaux des environs ; puis il fit de même avec un autre — et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il eût tout abâtardi.

51. À la suite de cette corruption de leurs mœurs, on raconte qu'il s'en produisit très vite une autre, de plus grave conséquence, du fait d'un médecin à qui il prit l'envie d'épouser une de leurs filles, et de s'installer parmi eux. Il commença par leur apprendre le nom des fièvres, des rhumes et des abcès, l'endroit où se trouvent le cœur et les intestins, toutes choses jusqu'alors très éloignées de leurs connaissances. Au lieu de l'ail avec lequel ils avaient appris à combattre toutes sortes de maux, aussi graves et extrêmes qu'ils fussent, il les habitua à prendre, pour une toux ou un rhume, des mixtures étrangères, et commença à faire commerce, non seulement de leur santé, mais aussi de leur mort. Ils prétendent que depuis ce temps-là ils se sont aperçus que le soir qui tombe leur appesantit la tête, que boire quand on a chaud est malsain, et que les vents d'automne sont plus mauvais que ceux du printemps. Et depuis l'usage de cette médecine, les voilà accablés d'une légion de maladies inhabituelles, ils constatent une dégradation générale de leur ancienne vigueur et voient que leurs vies sont raccourcies de moitié. Voilà la première de mes histoires.