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J'ay laissé envieillir et mourir en moy, de mort naturelle, des rheumes, defluxions goutteuses; relaxation; battement de coeur; micraines; et autres accidens, que j'ay perdu, quand je m'estois à demy formé à les nourrir. On les conjure mieux par courtoisie, que par braverie. Il faut souffrir doucement les loix de nostre condition: Nous sommes pour vieillir, pour affoiblir, pour estre malades, en despit de toute medecine. C'est la premiere leçon, que les Mexicains font à leurs enfans; quand au partir du ventre des meres, ils les vont saluant, ainsin: Enfant, tu és venu au monde pour endurer: endure, souffre, et tais toy.

C'est injustice de se douloir qu'il soit advenu à quelqu'un, ce qui peut advenir à chacun. Indignare si quid in te iniquè propriè constitutum est. Voyez un vieillart, qui demande à Dieu qu'il luy maintienne sa santé entiere et vigoureuse; c'est à dire qu'il le remette en jeunesse:

Stulte quid hæc frustra votis puerilibus optas?

N'est-ce pas folie? sa condition ne le porte pas. La goutte, la gravelle, l'indigestion, sont symptomes des longues années; comme des longs voyages, la chaleur, les pluyes, et les vents. Platon ne croit pas, qu'Æsculape se mist en peine, de prouvoir par regimes, à faire durer la vie, en un corps gasté et imbecille: inutile à son pays, inutile à sa vacation: et à produire des enfants sains et robustes: et ne trouve pas, ce soing convenable à la justice et prudence divine, qui doit conduire toutes choses à l'utilité. Mon bon homme, c'est faict: on ne vous sçauroit redresser: on vous plastrera pour le plus, et estançonnera un peu, et allongera-lon de quelque heure vostre misere.

Non secus instantem cupiens fulcire ruinam,

Diversis contrà nititur obicibus,

Donec certa dies omni compage soluta,

Ipsum cum rebus subruat auxilium.

Il faut apprendre à souffrir, ce qu'on ne peut eviter. Nostre vie est composée, comme l'harmonie du monde, de choses contraires, aussi de divers tons, doux et aspres, aigus et plats, mols et graves: Le Musicien qui n'en aymeroit que les uns, que voudroit il dire? Il faut qu'il s'en sçache servir en commun, et les mesler. Et nous aussi, les biens et les maux, qui sont consubstantiels à nostre vie. Nostre estre ne peut sans ce meslange; et y est l'une bande non moins necessaire que l'autre. D'essayer à regimber contre la necessité naturelle, c'est representer la folie de Ctesiphon, qui entreprenoit de faire à coups de pied avec sa mule.

Je consulte peu, des alterations, que je sens; Car ces gens icy sont avantageux, quand ils vous tiennent à leur misericorde. Ils vous gourmandent les oreilles, de leurs prognostiques; et me surprenant autrefois affoibly du mal, m'ont injurieusement traicté de leurs dogmes, et troigne magistrale: me menassent tantost de grandes douleurs, tantost de mort prochaine: Je n'en estois abbatu, ny deslogé de ma place, mais j'en estois heurté et poussé: Si mon jugement n'en est ny changé, ny troublé: au moins il en estoit empesché. C'est tousjours agitation et combat.

Or je traicte mon imagination le plus doucement que je puis; et la deschargerois si je pouvois, de toute peine et contestation. Il la faut secourir, et flatter, et pipper qui peut. Mon esprit est propre à cet office. Il n'a point faute d'apparences par tout. S'il persuadoit, comme il presche, il me secourroit heureusement.

Vous en plaist-il un exemple? Il dict, que c'est pour mon mieux, que j'ay la gravele. Que les bastimens de mon aage, ont naturellement à souffrir quelque gouttiere. Il est temps qu'ils commencent à se lascher et desmentir: C'est une commune necessité: Et n'eust on pas faict pour moy, un nouveau miracle. Je paye par là, le loyer deu à la vieillesse; et ne sçaurois en avoir meilleur comte. Que la compagnie me doit consoler; estant tombé en l'accident le plus ordinaire des hommes de mon temps. J'en vois par tout d'affligez de mesme nature de mal. Et m'en est la societé honorable, d'autant qu'il se prend plus volontiers aux grands: son essence a de la noblesse et de la dignité. Que des hommes qui en sont frappez, il en est peu de quittes à meilleure raison: et si, il leur couste la peine d'un facheux regime, et la prise ennuieuse, et quotidienne, des drogues medecinales: Là où, je le doy purement à ma bonne fortune. Car quelques bouillons communs de l'eringium, et herbe du Turc, que deux ou trois fois j'ay avalé, en faveur des dames, qui plus gracieusement que mon mal n'est aigre, m'en offroyent la moitié du leur: m'ont semblé esgalement faciles à prendre, et inutiles en operation. Ils ont à payer mille voeux à Æsculape, et autant d'escus à leur medecin, de la profluvion de sable aisée et abondante, que je reçoy souvent par le benefice de nature. La decence mesme de ma contenance en compagnie, n'en est pas troublée: et porte mon eau dix heures, et aussi long temps qu'un sain.

La crainte de ce mal, dit-il, t'effrayoit autresfois, quand il t'estoit incogneu: Les cris et le desespoir, de ceux qui l'aigrissent par leur impatience, t'en engendroient l'horreur. C'est un mal, qui te bat les membres, par lesquels tu as le plus failly: Tu és homme de conscience:

Quæ venit indignè pæna, dolenda venit.

Regarde ce chastiement; il est bien doux au prix d'autres, et d'une faveur paternelle. Regarde sa tardifveté: il n'incommode et occupe, que la saison de ta vie, qui ainsi comme ainsin est mes-huy perdue et sterile; ayant faict place à la licence et plaisirs de ta jeunesse, comme par composition. La crainte et pitié, que le peuple a de ce mal, te sert de matiere de gloire. Qualité, de laquelle si tu as le jugement purgé, et en as guery ton discours, tes amis pourtant en recognoissent encore quelque teinture en ta complexion. Il y a plaisir à ouyr dire de soy: Voyla bien de la force: voila bien de la patience. On te voit suer d'ahan, pallir, rougir, trembler, vomir jusques au sang, souffrir des contractions et convulsions estranges, degoutter par fois de grosses larmes des yeux, rendre les urines espesses, noires, et effroyables, ou les avoir arrestées par quelque pierre espineuse et herissée qui te poinct, et escorche cruellement le col de la verge, entretenant cependant les assistans, d'une contenance commune; bouffonant à pauses avec tes gens: tenant ta partie en un discours tendu: excusant de parolle ta douleur, et rabbatant de ta souffrance.

Te souvient-il, de ces gens du temps passé, qui recherchoyent les maux avec si grand faim, pour tenir leur vertu en haleine, et en exercice? mets le cas que nature te porte, et te pousse à cette glorieuse escole, en laquelle tu ne fusses jamais entré de ton gré. Si tu me dis, que c'est un mal dangereux et morteclass="underline" Quels autres ne le sont? Car c'est une pipperie medecinale, d'en excepter aucuns; qu'ils disent n'aller point de droict fil à la mort: Qu'importe, s'ils y vont par accident; et s'ils glissent, et gauchissent aisément, vers la voye qui nous y meine? Mais tu ne meurs pas de ce que tu es malade: tu meurs de ce que tu es vivant. La mort te tue bien, sans le secours de la maladie. Et à d'aucuns, les maladies ont esloigné la mort: qui ont plus vescu, de ce qu'il leur sembloit s'en aller mourants. Joint qu'il est, comme des playes, aussi des maladies medecinales et salutaires. La colique est souvent non moins vivace que vous. Il se voit des hommes, ausquels elle a continué depuis leur enfance jusques à leur extreme vieillesse; et s'ils ne luy eussent failly de compagnie, elle estoit pour les assister plus outre. Vous la tuez plus souvent qu'elle ne vous tue. Et quand elle te presenteroit l'image de la mort voisine, seroit-ce pas un bon office, à un homme de tel aage, de le ramener aux cogitations de sa fin? Et qui pis est, tu n'as plus pour quoy guerir: Ainsi comme ainsin, au premier jour la commune necessité t'appelle. Considere combien artificielement et doucement, elle te desgouste de la vie, et desprend du monde: non te forçant, d'une subjection tyrannique, comme tant d'autres maux, que tu vois aux vieillards, qui les tiennent continuellement entravez, et sans relasche de foiblesses et douleurs: mais par advertissemens, et instructions reprises à intervalles; entremeslant des longues pauses de repos, comme pour te donner moyen de mediter et repeter sa leçon à ton aise. Pour te donner moyen de juger sainement, et prendre party en homme de coeur, elle te presente l'estat de ta condition entiere, et en bien et en mal; et en mesme jour, une vie tres-alegre tantost, tantost insupportable. Si tu n'accoles la mort, au moins tu luy touches en paume, une fois le mois. Par où tu as de plus à esperer, qu'elle t'attrappera un jour sans menace. Et qu'estant si souvent conduit jusques au port: te fiant d'estre encore aux termes accoustumez, on t'aura et ta fiance, passé l'eau un matin, inopinément. On n'a point à se plaindre des maladies, qui partagent loyallement le temps avec la santé.