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Je suis obligé à la fortune, dequoi elle m'assaut si souvent de mesme sorte d'armes: Elle m'y façonne, et m'y dresse par usage, m'y durcit et habitue: je sçay à peu pres mes-huy, en quoy j'en dois estre quitte. A faute de memoire naturelle, j'en forge de papier. Et comme quelque nouveau symptome survient à mon mal, je l'escris: d'où il advient, qu'à cette heure, estant quasi passé par toute sorte d'exemples: si quelque estonnement me menace: feuilletant ces petits brevets descousus, comme des feuilles Sybillines, je ne faux plus de trouver où me consoler, de quelque prognostique favorable, en mon experience passée. Me sert aussi l'accoustumance, à mieux esperer pour l'advenir. Car la conduicte de ce vuidange, ayant continué si long temps; il est à croire, que nature ne changera point ce train, et n'en adviendra autre pire accident, que celuy que je sens. En outre; la condition de cette maladie n'est point mal advenante à ma complexion prompte et soudaine. Quand elle m'assault mollement, elle me faict peur, car c'est pour long temps: Mais naturellement, elle a des excez vigoureux et gaillarts. Elle me secouë à outrance, pour un jour ou deux. Mes reins ont duré un aage, sans alteration; il y en a tantost un autre, qu'ils ont changé d'estat. Les maux ont leur periode comme les biens: à l'advanture est cet accident à sa fin. L'aage affoiblit la chaleur de mon estomach; sa digestion en estant moins parfaicte, il renvoye cette matiere cruë à mes reins. Pourquoy ne pourra estre à certaine revolution, affoiblie pareillement la chaleur de mes reins; si qu'ils ne puissent plus petrifier mon flegme; et nature s'acheminer à prendre quelque autre voye de purgation? Les ans m'ont evidemment faict tarir aucuns rheumes; Pourquoy non ces excremens, qui fournissent de matiere à la grave?

Mais est-il rien doux, au prix de cette soudaine mutation; quand d'une douleur extreme, je viens par le vuidange de ma pierre, à recouvrer, comme d'un esclair, la belle lumiere de la santé: si libre, et si pleine: comme il advient en noz soudaines et plus aspres coliques? Y a il rien en cette douleur soufferte, qu'on puisse contrepoiser au plaisir d'un si prompt amendement? De combien la santé me semble plus belle apres la maladie, si voisine et si contigue, que je les puis recognoistre en presence l'une de l'autre, en leur plus hault appareiclass="underline" où elles se mettent à l'envy, comme pour se faire teste et contrecarre! Tout ainsi que les Stoïciens disent, que les vices sont utilement introduicts, pour donner prix et faire espaule à la vertu: nous pouvons dire, avec meilleure raison, et conjecture moins hardie, que nature nous a presté la douleur, pour l'honneur et service de la volupté et indolence. Lors que Socrates apres qu'on l'eust deschargé de ses fers, sentit la friandise de cette demangeaison, que leur pesanteur avoit causé en ses jambes: il se resjouit, à considerer l'estroitte alliance de la douleur à la volupté: comme elles sont associées d'une liaison necessaire: si qu'à tours, elles se suyvent, et entr'engendrent: Et s'escrioit au bon Esope, qu'il deust avoir pris, de cette consideration, un corps propre à une belle fable.

Le pis que je voye aux autres maladies, c'est qu'elles ne sont pas si griefves en leur effect, comme elles sont en leur yssue. On est un an à se ravoir, tousjours plein de foiblesse, et de crainte. Il y a tant de hazard, et tant de degrez, à se reconduire à sauveté, que ce n'est jamais faict. Avant qu'on vous aye deffublé d'un couvrechef, et puis d'une calote, avant qu'on vous aye rendu l'usage de l'air, et du vin, et de vostre femme, et des melons, c'est grand cas si vous n'estes recheu en quelque nouvelle misere. Cette-cy a ce privilege, qu'elle s'emporte tout net. Là où les autres laissent tousjours quelque impression, et alteration, qui rend le corps susceptible de nouveau mal, et se prestent la main les uns aux autres. Ceux la sont excusables, qui se contentent de leur possession sur nous, sans l'estendre, et sans introduire leur sequele: Mais courtois et gratieux sont ceux, de qui le passage nous apporte quelque utile consequence. Depuis ma colique, je me trouve deschargé d'autres accidens: plus ce me semble que je n'estois auparavant, et n'ay point eu de fiebvre depuis. J'argumente, que les vomissemens extremes et frequents que je souffre, me purgent: et d'autre costé, mes degoustemens, et les jeusnes estranges, que je passe, digerent mes humeurs peccantes: et nature vuide en ces pierres, ce qu'elle a de superflu et nuysible. Qu'on ne me die point, que c'est une medecine trop cher vendue. Car quoy tant de puans breuvages, cauteres, incisions, suées, sedons, dietes, et tant de formes de guarir, qui nous apportent souvent la mort, pour ne pouvoir soustenir leur violence, et importunité? Par ainsi, quand je suis attaint, je le prens à medecine: quand je suis exempt, je le prens à constante et entiere delivrance.

Voicy encore une faveur de mon mal, particuliere. C'est qu'à peu pres, il faict son jeu à part, et me laisse faire le mien; où il ne tient qu'à faute de courage: En sa plus grande esmotion, je l'ay tenu dix heures à chevaclass="underline" Souffrez seulement, vous n'avez que faire d'autre regime: Jouez, disnez, courez, faictes cecy, et faictes encore cela, si vous pouvez; vostre desbauche y servira plus, qu'elle n'y nuira. Dictes en autant à un verolé, à un goutteux, à un hernieux. Les autres maladies, ont des obligations plus universelles; gehennent bien autrement noz actions; troublent tout nostre ordre, et engagent à leur consideration, tout l'estat de la vie. Cette-cy ne faict que pinser la peau; elle vous laisse l'entendement, et la volonté en vostre disposition, et la langue, et les pieds, et les mains. Elle vous esveille pustost qu'elle ne vous assoupit. L'ame est frapée de l'ardeur d'une fiebvre, et atterrée d'une epilepsie, et disloquée par une aspre micraine, et en fin estonnée par toutes les maladies qui blessent la masse, et les plus nobles parties: Icy, on ne l'attaque point. S'il luy va mal, à sa coulpe: Elle se trahit elle mesme, s'abandonne, et se desmonte. Il n'y a que les fols qui se laissent persuader, que ce corps dur et massif, qui se cuyt en noz rognons, se puisse dissoudre par breuvages. Parquoy depuis qu'il est esbranlé, il n'est que de luy donner passage, aussi bien le prendra-il.