Nature est un doux guide: Mais non pas plus doux, que prudent et juste. Intrandum est in rerum naturam, et penitus quid ea postulet, pervidendum. Je queste par tout sa piste: nous l'avons confondüe de traces artificielles. Et ce souverain bien Academique, et Peripatetique, qui est vivre selon icelle: devient à ceste cause difficile à borner et expliquer. Et celuy des Stoïciens, voisin à celuy-là, qui est, consentir à nature. Est-ce pas erreur, d'estimer aucunes actions moins dignes de ce qu'elles sont necessaires? Si ne m'osteront-ils pas de la teste, que ce ne soit un tresconvenable mariage, du plaisir avec la necessité, avec laquelle, dit un ancien, les Dieux complottent tousjours. A quoy faire desmembrons nous en divorce, un bastiment tissu d'une si joincte et fraternelle correspondance? Au rebours, renouons le par mutuels offices: que l'esprit esveille et vivifie la pesanteur du corps, le corps arreste la legereté de l'esprit, et la fixe. Qui velut summum bonum, laudat animæ naturam, et tanquam malum, naturam carnis accusat, profecto et animam carnaliter appetit, et carnem carnaliter fugit, quoniam id vanitate sentit humana, non veritate divina. Il n'y a piece indigne de nostre soin, en ce present que Dieu nous a faict: nous en devons comte jusques à un poil. Et n'est pas une commission par acquit à l'homme, de conduire l'homme selon sa condition: Elle est expresse, naïfve et tresprincipale: et nous l'a le Createur donnee serieusement et severement. L'authorité peut seule envers les communs entendemens: et poise plus en langage peregrin. Reschargeons en ce lieu. Stultitiæ proprium quis non dixerit, ignavè et contumaciter facere quæ facienda sunt: et alio corpus impellere, alió animum: distrahique inter diversissimos motus?
Or sus pour voir, faictes vous dire un jour, les amusemens et imaginations, que celuy-là met en sa teste, et pour lesquelles il destourne sa pensee d'un bon repas, et plainct l'heure qu'il employe à se nourrir: vous trouverez qu'il n'y a rien si fade, en tous les mets de vostre table, que ce bel entretien de son ame (le plus souvent il nous vaudroit mieux dormir tout à faict, que de veiller à ce, à quoy nous veillons) et trouverez que son discours et intentions, ne valent pas vostre capirotade. Quand ce seroient les ravissemens d'Archimedes mesme, que seroit-ce? Je ne touche pas icy, et ne mesle point à ceste marmaille d'hommes que nous sommes, et à ceste vanité de desirs et cogitations, qui nous divertissent, ces ames venerables, eslevees par ardeur de devotion et religion, à une constante et conscientieuse meditation des choses divines, lesquelles preoccupans par l'effort d'une vive et vehemente esperance, l'usage de la nourriture eternelle, but final, et dernier arrest des Chrestiens desirs: seul plaisir constant, incorruptible: desdaignent de s'attendre à nos necessiteuses commoditez, fluides et ambigues: et resignent facilement au corps, le soin et l'usage, de la pasture sensuelle et temporelle. C'est un estude privilegé. Entre nous, ce sont choses, que j'ay tousjours veuës de singulier accord: les opinions supercelestes, et les moeurs sousterraines.
Esope ce grand homme vid son maistre qui pissoit en se promenant, Quoy donq, fit-il, nous faudra-il chier en courant? Mesnageons le temps, encore nous en reste-il beaucoup d'oisif, et mal employé. Nostre esprit n'a volontiers pas assez d'autres heures, à faire ses besongnes, sans se desassocier du corps en ce peu d'espace qu'il luy faut pour sa necessité. Ils veulent se mettre hors d'eux, et eschapper à l'homme. C'est folie: au lieu de se transformer en Anges, ils se transforment en bestes: au lieu de se hausser, ils s'abbattent. Ces humeurs transcendentes m'effrayent, comme les lieux hautains et inaccessibles. Et rien ne m'est fascheux à digerer en la vie de Socrates, que ses ecstases et ses demoneries. Rien si humain en Platon, que ce pourquoy ils disent, qu'on l'appelle divin. Et de nos sciences, celles-là me semblent plus terrestres et basses, qui sont les plus haut montees. Et je ne trouve rien si humble et si mortel en la vie d'Alexandre, que ses fantasies autour de son immortalisation. Philotas le mordit plaisamment par sa responce. Il s'estoit conjouy avec luy par lettre, de l'oracle de Jupiter Hammon, qui l'avoit logé entre les Dieux. Pour ta consideration, j'en suis bien ayse: mais il y a dequoy plaindre les hommes, qui auront à vivre avec un homme, et luy obeyr, lequel outrepasse, et ne se contente de la mesure d'un homme. Diis te minorem quod geris, imperas. La gentille inscription, dequoy les Atheniens honnorerent la venue de Pompeius en leur ville, se conforme à mon sens:
D'autant es tu Dieu, comme
Tu te recognois homme.
C'est une absoluë perfection, et comme divine, de sçavoir jouyr loyallement de son estre: Nous cherchons d'autres conditions, pour n'entendre l'usage des nostres: et sortons hors de nous, pour ne sçavoir quel il y faict. Si avons nous beau monter sur des eschasses, car sur des eschasses encores faut-il marcher de nos jambes. Et au plus eslevé throne du monde, si ne sommes nous assis, que sus nostre cul.
Les plus belles vies, sont à mon gré celles, qui se rangent au modelle commun et humain avec ordre: mais sans miracle, sans extravagance. Or la vieillesse a un peu besoin d'estre traictee plus tendrement, Recommandons lá à ce Dieu, protecteur de santé et de sagesse: mais gaye et sociale:
Frui paratis et valido mihi
Latoe dones, et precor integra
Cum mente, nec turpem senectam
Degere, nec Cythara carentem.
Fin du livre III