Je me hasarde hors de la chambre. Faut bien la « libérer », comme on dit puis dans les hôtels, pour que les larbins fourbisseurs viennent lui redonner l’éclat du neuf. Je m’emporte en direction du hall éblouissant de lumière.
Des esclaves en gilet rayé passent l’appareil à rendre clean les sols carrelés, avec des allures de détecteurs de mines. Je marche le long des fenêtres, pas perturber leur dangereuse activité, et sors sur le pet rond que n’importe quelle littérateuse aux prises avec sa salpingite déclarerait « inondé de soleil ».
Féerique !
Un parc immense sillonné d’allées roses, des pelouses dont l’herbe est égalisée aux ciseaux de brodeuse, des arbres aux essences rarissimes. Des massifs dont les fleurs sublimes te donnent envie de faire pipi tant tellement elles sont belles ! Un temple d’amour en richepin de la Saint-Jean. Qu’on aperçoit même, dans les lointains, un hameau, façon Marie-en-Toilette[5], avec des fausses vaches pour décorer. La classe sur toute la ligne !
Je vais, au gré de ma fantaisie, l’air vibrionne d’insectes délimités de qualité supérieure. Marche jusqu’aux tennis (quatre courts, siouplaît), déserts à cette heure chaude de la journée, et installe sur un banc cette partie de moi-même qui pourrait me servir à faire de l’équitation si je ne nourrissais une grande aversion pour le cheval, qu’il soit de course ou en steaks. La tête offerte au bourguignon, les paupières baissées, je déguste la qualité de l’instant.
C’est à une telle relaxation, ponctuant un moment périlleux de sa vie, que tu reconnaîtras l’homme fort. Est maître de son destin, celui qui l’est de ses nerfs. Je respire les capiteuses odeurs de miel et de jasmin. O nature, comment peut-on s’éloigner de toi pour s’aller enfermer sous la coupole du quai Conti, dans le silence capitonné d’une banque ou encore dans les remugles d’huile chaude d’une usine ? Ici tout est beauté, machinchouette et volupté, a écrit LE poète qui s’y croyait.
— Vous n’avez pas peur du soleil ? murmure à promiscuité une voix féminine.
Je dépone mes falots.
« Vache ! La jolie personne ! » m’exclamé-je en apartheid. La trente-cinquaine. Le regard bleu. » Une blondeur à nulle autre pareille », dirait un éboueur maghrébin de mes relations. Une exquise poitrine dont le décolleté carré de sa robe de lin blanc ne fait pas grand mystère. Un bronzage délicat… L’enchantement vivant de cette journée, si tu voudrais mon avis ! De la personne D.Q.S. Qu’est-ce qui peut justifier sa présence dans ce palais des mille et un ennuis ?
Je lui décerne le sourire du siècle, comme il n’y en eut jamais en Andalousie depuis l’invasion arbie. Car enfin, cette femme si claire ne saurait être la parente du prince oriental, non plus que sa souris, vu qu’il est pédoque.
Je note que son anglais est moins performant que celui de la duchesse de Kent. Je la situerais du nord de l’Europe, ou de l’est ; un truc comme ça. N’en tout cas, je continue d’en morfler plein les mirettes. Ce qui me bouleverse le plus, c’est son air plein de grâce, de joliesse et de tout ce que voudras pourvu que ça humecte le bout du gland.
Elle se tient à deux pas de moi, debout. Est-ce elle qui sent si bon, ou bien la nature exaltée par sa présence ?
— Je n’ai que cette moitié de banc à vous proposer, lui dis-je. Si le cœur vous chante…
Elle avance et se dépose à mon côté. Quand elle est assise, j’ai une vue de premier plan sur ses loloches ! Jolie poitrinaire. C’est pas la super-laiterie de coopérative, mais elle en possède deux chouettes en compagnie desquels je passerais volontiers les vacances pascales.
— Vous habitez le palais ? je questionne, simplement pour amorcer un brin de converse de manière classique et cohérente.
— Pour le moment, oui.
— Vous êtes une amie du prince ?
— C’est un terme excessif, bien qu’il me témoigne de la sympathie, répond-elle. Je l’aide à rédiger ses mémoires.
Ça m’échappe :
— Il en a ?
Elle amorce un joli sourire que je lui mangerais extrêmement volontiers tout cru.
— Il en a, assure-t-elle, et d’intéressants ; le prince mène une vie mouvementée.
— Si je vous disais que j’ignore son nom ?
Elle me défrime d’un œil indécis, se demandant si je me paie son minois ou si Descartes se faisait sucer par la princesse Elisabeth.
— Mais à quel titre vous trouvez-vous dans ce palais ? ne peut-elle s’empêcher de questionner.
— En qualité d’enquêteur pour une affaire d’ordre privé. J’ai été engagé par quelqu’un qui n’a jamais mentionné que je dusse œuvrer pour un monarque. On ne m’a parlé de « prince » qu’à mon arrivée, sans user d’un autre vocable. Quel est le nom de celui-ci ?
— Soliman Draggor. Il règne sur l’émirat de Razmamoul.
— Ça sent bon le pétrole.
— Détrompez-vous, ses gisements se tarissent.
— Il lui en reste suffisamment pour faire le plein de sa Rolls, j’espère ?
— Sans doute.
— Cette fastueuse demeure le donnerait à penser ; à moins qu’il ne la loue pour ses vacances ?
— Non, non : elle est bien à lui, ainsi que nombre d’autres propriétés disséminées sur la planète.
— Vous n’êtes pas britannique ?
— Non.
— Scandinave ?
— Non plus.
— Attendez, fais-je en fermant les yeux. Parlez encore, je vais trouver ; habituellement, je mets dans le mille.
— Que faut-il vous dire ?
— N’importe le sujet, par exemple me trouvez-vous à votre convenance ?
— C’est le genre de question qui, loin de me faire parler, m’inciterait plutôt au silence, assure-t-elle avec un rire que, si j’écrivais classique, je qualifierais de cristallin.
— Je sais ! exulté-je. Vous êtes polonaise !
— Vous avez gagné.
On cause.
Elle m’explique comme quoi son father était diplomate. Elle a vécu sa jeunesse dans des ambassades polacks (pas les plus huppées) en Hongrie, au Danemark et en Angleterre. Ses diplômes ramassés, elle a gratté pour un journal londonien, puis à la B.B.C. C’est là qu’elle a fait la connaissance du prince Draggor venu participer à une émission sur les pays du Golfe. Il a été emballé par elle et l’a conviée à dîner.
— Je vois bien que votre charme est très puissant, fais-je-t-il ; la preuve est qu’il opère sur un homo !
Ça lui échappe :
— Il n’est pas qu’homosexuel.
Et puis elle rougit, ce qui m’incite à considérer que ce monarque de mes magnifiques bourses doit se la respirer entre deux transports homosexuens.
Je gronde :
— J’ose espérer que si vous avez des bontés pour le gars Soliman, vous prenez d’élémentaires précautions.
Sa rougeur s’accentue.
— Vous vous méprenez, il…
— Il quoi, mon petit cœur ?
Elle se ferme comme une huître que tu regardes trop longtemps les yeux dans les yeux.
— Rien ! J’aimerais changer de sujet.
— A votre disposition. Vous pourriez m’indiquer votre prénom, par exemple ? Moi, c’est Gheorghiu.
— Je m’appelle Krystyna.
— Je suis preneur.
On se tait en voyant, là-bas, déboucher Sa Majesté sur le perron. Il est escorté de son giton, lequel tient en laisse un de ces horribles chiens qui paraissent n’avoir ni commencement ni fin et dont Jean-Paul Belmondo se sert comme moufle.
Blint et Howard les attendent près de la Rosse-Roll et leur ouvrent les portières. N’après que le couple y a pris place, le carrosse à pédales s’ébranle, si j’ose m’exprimer trivialement, et roule pesamment jusqu’au portail automatique.