Soudain, de voir disparaître le quatuor, me met en euphorie.
Tu sais ? Ce goût de la malfaisance qu’éprouvent les enfants brusquement livrés à eux-mêmes.
— Il commence à faire très chaud, dis-je, pourquoi n’irions-nous pas prendre un bain ? Je dispose d’une piscinette dont l’eau est presque aussi limpide que votre regard.
Krystyna ne se fait pas prier, preuve qu’elle est nullement bégueule.
Elle me rejoint, drapée dans un peignoir de bain et chaussée de spartiates.
On fait trempette.
Elle a un corps qui damnerait un saint castré. Jeux d’eau. Eclaboussage mutin ! Petits rires ! Glousseries ! Cette gosse me cause un effet que je réprime de mon mieux, car la liaison que je lui suppose avec le prince m’inquiète. Par les temps qui cavalent, il n’est pas sain de mouiller sa biscotte dans la tasse dont se sert un aficionado de l’œil de bronze. N’empêche (comme dit Melba), que je me coltine un chibraque qui me ferait passer pour un hallebardier si je me toquais en garde pontifical.
L’idée que cette adorable petite Polack a probablement épongé Sa Princerie pédalante me transforme le mental en désastre de Pavie. Alors je lui propose un bain de soleil.
Nous voici allongés sur deux fauteuils contigus. Ma dextre incorrigible ne peut s’empêcher de caresser sa chicorée frisée à travers son maillot.
— Vous ne devriez pas me faire ça, balbutie la chaste jeune femme d’un ton prêt aux délires fous.
Que pour toute réponse, j’écarquille l’étoffe pour établir une communication plus harmonieuse entre mon médius et mon index unis et sa figounette juteuse.
Elle me parle soudain à voix basse :
— Je ne veux pas que vous vous mépreniez : nous n’avons aucun rapport sexuel, le prince et moi. Simplement, il me demande de le fouetter pendant qu’il copule avec son ami.
— Si on ne se rendait pas ce genre de menu service de temps en temps, l’existence deviendrait rapidement insipide, fais-je.
Elle saisit mon poignet afin de démotter ma paluche friponne.
— Je devine combien un tel aveu doit vous choquer, fait-elle. Si je vous disais que j’y ai été contrainte, me croiriez-vous ?
— Racontez !
— Soliman Draggor est un tyran à ses heures.
— Je n’ai pas besoin de me forcer pour vous croire.
— Il sait être gentil, voire d’une générosité folle, seulement il a des caprices qu’il assume coûte que coûte.
— Vous voulez dire : qu’il contraint les autres à assumer ?
— Quand il exige quelque chose, il faut qu’il l’obtienne, sinon il deviendrait dangereux.
— Et vous vivez chez un homme pareil !
Elle hausse les épaules. Quelque chose qui ressemble à des larmes retenues voile son regard pervenche.
— Les conditions financières qu’il me consent sont inespérées ; or mon père vit en milieu hospitalier à la suite d’une hémiplégie. Depuis le changement de régime, ils sont sans ressources, ma mère et lui.
Bon, ça tourne à L’Hirondelle du Faubourg mâtinée Porteuse de pain, son histoire, à la gentille Polack.
— Je comprends, brisé-je là.
Ce que je vois dans son aventure, c’est qu’elle n’a pas de raisons particulières de propager le méchant virus, cette Ophélie des Carpates.
Je vais pour lui fureter l’entre-deux, mais le charme est rompu pour elle. Les nières, c’est commak. Suffit d’une mouche à merde pour leur cisailler l’ambiance. J’insiste pas. Quand une frangine rétice pour la tringlette, inutile de vouloir la chambrer avant d’avoir rétabli le contact. Ce sont des maniérées de la moulasse.
Elle rêvasse un bout puis, soudain :
— Vous n’entendez rien, la nuit ?
— Je ne suis ici que depuis hier ; pourquoi cette question ?
— Parce que très souvent, je crois percevoir des gémissements.
— Le giton du prince qui subit ses assauts ? suggéré-je.
J’ajoute pas que l’Arbi doit être chibré féroce et déchirer les paupières sud de son éphèbe par trop de fougue bestiale.
Elle ne semble pas adopter mon hypothèse et hoche la tête (ce ne serait pas correct qu’elle branlât le chef).
— Les appartements de Monseigneur sont très loin de ma chambre.
Je mords illico l’embellie :
— J’aimerais me rendre compte par moi-même. Me permettez-vous d’aller écouter cette nuit, depuis chez vous ?
Elle n’hésite pas :
— Volontiers, car la chose m’intrigue et même m’inquiète. Mais inutile de venir avant une heure, ces plaintes sont très tardives.
— Votre heure sera la mienne, ma belle âme.
— Soyez discret.
Promis, juré.
Krystyna paraît ignorer qu’un système de téloche intérieur rend compte des déplacements dans le palais.
Elle se retire bientôt, légère comme la conscience professionnelle d’un marchand de voitures d’occasion.
8
ELLE A DE LA VEINE, GERMAINE
Le soir venu, dîner aux chandelles en compagnie du prince, de son minouchet, de Krystyna et de Shéhérazade. Ces dadames sont loquées en robe du soir. La blonde porte une robe fourreau en soie sauvage noire, la brune un bustier perlé et une jupe en voile transparent, l’ensemble dans les dominantes roses. Le maître de céans et sa frappe portent le smok. N’ayant pas été averti que j’aurais à participer à des repas « habillés », je n’ai à me cloquer sur le fion qu’un bleu croisé ; mais avec une limouille blanche et une cravetouze marine, j’en vois la farce !
Le repas est gai (et gay). Sa Majesté plaisante beaucoup, avec assez d’humour. Au menu, y a des grosses huîtres d’Espagne, servies sur un lit de caviar et accompagnées de blinis à la crème (bonjour les dégâts pondéraux), avec, pour suivre, des pigeons à la menthe ; le dessert se compose d’un édifice coloré, bourré de miel, de frangipane et autres fruits confits. Le gazier qui se farcit deux fois par jour d’aussi riches nourritures est certain d’obtenir en un temps record des taux historiques de cholestérol. J’admire les deux gonzesses, stoïques, qui s’enquillent cette boufferie sans broncher. M’est avis qu’elles doivent cavaler au refile tout de suite après le repas.
L’Arabe que j’ai impétueusement dégustée ne m’accorde pas le moindre regard. Cette garce est plutôt particulière dans son genre. Elle me viole pratiquement et, sitôt son panard chopé, nous pique une crise de conscience sans merci. Faut dire que c’est ma pratique de la minette chantée qui l’a révulsée ; une fois partie à dame, emportée par ses sens, la donzelle m’a voué une haine qui ne s’éteindra qu’après mon décès (auquel elle pense jusqu’à l’obnubilation).
A table, on boit du champagne pour tout breuvage ; comme il est délicieux, je me laisse aller à l’euphorie malgré ma dilection pour le vin rouge.
Pendant une partie du repas, la converse roule sur la Formule I et, pour la première fois, le minet du prince tient le crachoir. Un passionné ! Il sait tout des marques, des équipes, des coureurs.
— J’aime quand tu t’animes, lui déclare Sa Majesté, attendrie ; tu deviens alors suprêmement beau, mon doux chérubin. Suce-moi !
Le gars a de la carrure et une belle gueule. Sans hésiter, il recule son siège et se laisse couler sous la table. Le maître des lieux se dégrafe avec prestesse afin de faciliter l’accès de son pénis à ce cher jeune homme. Aussitôt, il reprend la conversation de son ton urbain et orbain sans marquer la moindre émotion. La manœuvre sous-tablesque ne semble pas le gêner le moins du monde. Sa conversation n’en est nullement altérée.