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Lorsque la grosse automobile atteignit le sommet de cette rampe, le palais apparut, immense, dans les tons ocre. Cette construction devait mesurer au moins quinze mille mètres de superficie. Malgré sa masse imposante, elle restait harmonieuse à cause de son style andalou, de ses décrochements souples, d’une certaine symétrie répétitive de sa façade qui aurait dû paraître interminable mais qui donnait une impression de grâce et d’équilibre.

Quelques voitures étaient rangées sur le terre-plein : une autre Rolls, plus récente, une Ferrari 456 GT, deux Range-Rover et un véhicule électrique pour green de golf, découvert et pourvu d’un caisson spécial réservé aux cannes.

Howard stoppa au bas du perron. Un domestique espagnol, en gilet rayé, dévala celui-ci et vint ouvrir la portière à Tiarko. Le pilote sortit sans se hâter du véhicule. Il se retourna pour se saisir de son « commandant case », mais le valet lui fit signe qu’il s’en chargeait.

Blint adressa un sourire ironique à l’arrivant.

— L’endroit vous convient ?

— Il faut voir, répondit celui-ci.

Ses cicérones l’encadrèrent pour gravir le perron aux marches basses qui ne devaient pas mesurer les dix-sept centimètres de hauteur traditionnels. Ils pénétrèrent dans un hall où prenaient plusieurs escaliers.

L’endroit avait quelque chose de théâtral, à cause probablement des douzes bras de lumière qui brandissaient des lanternes de verre. Des canapés pompeux, de style vaguement Louis XIV, offraient des haltes aux visiteurs. Tiarko songea que l’ensemble faisait un peu « Musée de l’Ermitage ». Il continua de suivre ses deux mentors foulant une succession de tapis aux dimensions stupéfiantes. Ce qui surprenait, incommodait, même, c’était le silence absolu régnant dans le palais.

Parvenus à l’extrémité ouest de la galerie, ses guides prirent un couloir sur la droite. Des portes en bois précieux se succédaient.

Blint stoppa devant la troisième et l’ouvrit.

— Chez vous ! fit-il à Tiarko d’un ton laconique.

La chambre qui se proposait devait dépasser les soixante-dix mètres carrés. Elle était tapissée de velours frappé dans les tons vieux bleu. Deux portes-fenêtres donnaient sur un vaste patio ceinturé de murs terre de Sienne. Une petite piscine privée, deux palmiers aux pieds desquels foisonnaient des couronnes de fleurettes roses, une fontaine en carreaux sévillans et quelques meubles de jardin au fer forgé romantique faisaient de ce coin privé un endroit de rêve.

Tiarko revint à la chambre, enregistra d’un regard sagace le vaste lit à baldaquin, la commode espagnole peinte, les fauteuils à oreilles garnis de tapisserie en point de Hongrie, les tableaux XVIe siècle hollandais, l’énorme poste de télévision, le petit bureau Mazarin, et se dit que l’on avait réuni dans cette chambre des pièces rares mais qui ne se « correspondaient » pas fatalement. La porte de la salle de bains était ouverte et il fut charmé par l’univers de marbre blond et d’appareils vert Nil qu’il apercevait.

— Correct ? lui demanda Howard qui suivait son inspection du regard.

— Je me contente de peu, plaisanta Tiarko.

Le valet vint déposer les bagages au pied du lit. Il dit quelque chose en espagnol. Blint crut bon de traduire pour l’arrivant :

— Il demande s’il doit vous aider à ranger vos effets.

— Je ne suis pas une cocotte ! répondit Tiarko.

Howard intervint :

— On vous laisse à votre installation ; quelqu’un prendra contact avec vous plus tard. Je vous signale qu’il y a un réfrigérateur dans la penderie de la salle d’eau, avec les trucs essentiels.

— Merci du tuyau, il peut me servir.

Les trois hommes se retirèrent. Tiarko les escorta jusqu’à la porte dont il mit le verrou. Il se sentait l’esprit vide et retourna dans le patio. Le glouglou de la fontaine était un bruit bienfaisant qui, confusément, le charma. Il commença par prendre place dans un fauteuil aux lamelles d’acier élastiques. Au-dessus de lui se découpait un grand rectangle de ciel bleu. Tiarko estima qu’un petit nuage blanc aurait fait bien dans le tableau.

2

FAIS PAS LA GRIMACE, IGNACE

Cela ressemblait un peu à du sommeil mais n’en était pas. Il s’était allongé nu sur le matelas pneumatique qui errait à la surface de la piscine au gré des souffles d’air. Ses jambes et ses avant-bras trempaient dans l’eau tiède. Une espèce de détente, voisine de l’assoupissement, l’avait gagné car le ciel, trop lumineux, l’obligeait à fermer les yeux. Ne dormant pas vraiment, il ne pouvait rêver, tout au plus faire la part belle à des fantasmes. Le soleil qui chauffait son corps le mettait dans un état d’excitation languissante.

Soudain, il eut la sensation d’une présence et souleva ses paupières.

A l’envers, il vit une femme debout au bord de l’eau. Il ressentit cette arrivée comme une violation et, d’instinct, plaça ses deux mains en conques sur son sexe.

Quand il eut quelque peu surmonté sa gêne, il se laissa basculer dans l’eau, confiant à celle-ci le soin de dissimuler sa complète nudité. Puis il fit front à la visiteuse : une femme brune, à la peau ambrée et aux lèvres écarlates, que drapait un sari de couleur safran.

— Je croyais avoir fermé ma porte à clé ! fit-il d’une voix sèche.

— Dans cette maison, les verrous sont illusoires, répliqua la visiteuse.

Elle parlait l’anglais d’une voix suave et accompagna sa réplique d’un sourire qui aurait « commotionné » plus d’un mâle. Mais Tiarko y fut insensible.

— Vous auriez pu frapper ! dit le pilote.

— Je l’ai fait, mais vous ne répondiez pas. Vous voulez bien passer un peignoir et me suivre à l’infirmerie ? Le docteur Ti-Pol va vous examiner.

— Je me porte bien ! bougonna l’invité.

— Ce n’est pas suffisant, assura-t-elle. Attendez, je vais chercher une sortie de bain dans votre salle d’eau.

Oubliant toute pudeur, Tiarko jaillit de la piscine et rentra dans son appartement en laissant une traînée humide derrière soi.

Il réapparut rapidement, serrant la ceinture d’une robe de chambre en tissu-éponge. Il avait l’impression de se trouver dans un établissement de cure.

Son réflexe fut d’aller vérifier le verrou de sa porte. Il ne mit pas longtemps à réaliser que la gâche fixée au mur coulissait, ce qui en libérait le pêne. Il regarda sa visiteuse.

— Astucieux, fit-il.

— Ici, il n’est pas d’intimité possible, révéla la fille. Toutes les précautions chargées de la garantir sont fallacieuses ; ainsi l’a voulu Monseigneur.

Tiarko demeura impassible, ne fit aucun commentaire et ne réagit pas davantage au sourire sensuel de la femme au sari.

Elle l’entraîna dans le couloir et s’arrêta devant une porte qu’il prit pour celle d’une chambre mais qui, en réalité, ouvrait sur la cabine d’un ascenseur dont la cage était tapissée de peau ivoire agrémentée de filets dorés.

— Vous ai-je dit que je m’appelais Shéhérazade ? demanda-t-elle en pressant le bouton du bas.

— C’est un nom indiqué quand on habite le palais des Mille et Une Nuits, riposta l’arrivant.

La cabine sembla rester immobile, mais lorsque sa porte se rouvrit, il vit qu’ils étaient arrivés dans un vaste local uniquement éclairé à l’électricité. L’endroit était peint à l’huile de couleur beige. Des armoires métalliques, des appareils hospitaliers, deux fauteuils d’auscultation le meublaient. Quelque part, des baffles invisibles diffusaient une musique extrême-orientale douce et crispante.