— Qu’est-ce t’as, tonton ? demande la petite ignominie vivante.
— Pardon ?
— On direrait qu’ t’as enville d’chialer.
J’ébroue.
— T’es louf, p’tit mec ; est-ce que ça pleure, un homme ?
— Ça chie bien ! objecte le jeune philosophe.
Je demande la note à signer.
Continue ta route, mon vieux Sana, la vie c’est à chaque instant, faut faire avec.
J’espère qu’ils ont mis de la vodka dans le bar de notre chambre. Avec du Coca dans la proportion de fifty-fifty, ça aide à franchir le gué en crue.
Le loupiot s’enroule sur lui-même, kif un hippocampe ou un rollmops ; et s’endort sur-le-champ dans le plumard d’appoint que j’ai fait dresser. C’est fou ce qu’il ressemble à son dabe. Il a eu du bol, Alexandre-Benoît. Avec le contrecarre que lui fait sa grosse vachasse, il aurait dû avoir un chiare qui soit le sosie d’Alfred ou du garçon boucher !
J’appelle en premier le couple de cétacés. Ça carillonne longuement. Pile que ma main est déjà en route pour sectionner la communication, la voix de Berthe module un « Alleu, mouive ? » précieux, aux trois quarts couvert par une musique endiablée que j’identifie : celle du Petit vin blanc.
Comme je tarde à me manifester, l’affable personne déclare :
— Si c’est n’encore toive qui me poursuite de tes acidités, Nanard, j’veuille que tu susses qu’c’est râpé, nous deux. Moive, les bande-mou, j’en ai rien à branler !
Je sens qu’elle va raccrocher, aussi fais-je un effort :
— Ici Antoine !
Elle change d’intonation :
— Oh ! escusez-moive, vu qu’ vous n’causiez pas, j’ai cru qu’ c’tait Nanard, mon masseur. Vous le voireriez, vous croireriez Tarzan, mais quand y déballe son outil, tout c’qu’ y vous propose c’t’une saucisse de cocketelle et qui bande mou pour comb’ d’bonheur. L’aut’ aprème, j’ai escrimé une heure su’ son ninas sans même qu’y en sortasse d’la fumée !
— Très intéressant, coupé-je. Avez-vous fait un bon voyage de retour ?
— Eguescellent, Antoine. Juste un gendarme teigneux dont mon Sandre a dû faire une tête au carré biscotte y lu brisait les couilles. N’a part ça, tout a baigné dans l’huile.
— Dites-moi, chère Berthe, n’auriez-vous rien oublié à l’auberge roumaine ?
Elle exclamationne :
— Vous l’avez trouvé ?
— Très facilement.
— Figurerez-vous qu’ c’est en arrivevant à Paris que j’m’aye aperçue d’la chose. Ça m’a chiffonnée.
— Je comprends, réponds-je d’un ton hostile.
— C’est pas qu’y vale grand-chose, mais j’y tiens. C’est l’seul souv’nir que j’aye d’not’ amour, le Gros et moive. J’veule bien qu’y soye pas en or, mais une fois à mon poignet, qui donc va s’en douter ? Tout est dans la façon d’porter les bijouxes.
Mon ahurissement ressemble à un masque vénitien exprimant la constipation chronique.
— De quoi parlez-vous ? demandé-je.
— D’mon brac’let en cuivre naturel. J’l’aye laissé su’ la tab’ d’nuit.
— Et vous n’avez rien oublié d’autre ?
Un long silence.
— Franch’ment, j’voye pas, Antoine.
— Et Apollon-Jules ! égosillé-je d’un ton surdimensionné.
Re-silence, au fond duquel on sent grouiller des points d’exclamation entremêlés de points d’interrogation.
— Mais bordel à cul ! C’est pourtant vrai qu’y l’était av’c nous là-bas ! glapit cette mère attentive. Qu’est-ce y a pu s’passer ? Faut dire qu’on est partis avec tant d’précipitance…
Je l’entends mugir à la cantonade (et aussi à la cantinière) :
— Sandre ! Figure-toive qu’on a oublié l’gosse n’en Roumanie !
Elle attend, puis me revient :
— C’est pas la peine qu’ j’lu cause : mon homme est plein comm’ un’ outrance. Y s’voit plus les mains, Antoine, si j’vous dirais. Quand j’lu racontererai not’ étourdrie, d’main, y aura pas l’air fin, ce gros veau ! Vous m’escuserez, on a du monde : on fête l’anniversaire d’Apollon-Jules.
29
ELLE EST TOUTE MOITE, BENOÎTE
Sa voix loukoum, c’est kif une plume d’autruche qu’on te passerait sous les testicules. Elle est murmurante, suave, avec des inflexions qui langourent comme quand une adolescente de la bonne société te sollicite de lui pratiquer minette tout en lui faisant « pince de crabe », c’est-à-dire : le pouce dans le frifri et le médius dans l’œil de bronze.
— Je vous réveille, ma Somptueuse ? dis-je en mettant du foutre dans mes inflexions.
— Pas du tout, répond Shéhérazade, et le plus extraordinaire c’est que je pensais à vous.
— D’une manière positive ou négative ?
— Interrogative, répond la belle.
— Vraiment ?
Ce dialogue, c’est ce que j’appelle du blabla, de la parlotine qui donne à chacun des terlocuteurs le temps de caler ses idées avant d’entrer dans le v d s (vif du sujet).
— Où vous trouvez-vous, cher Gheorghiu ?
— Dans ma Roumanie natale, mon aimée.
— Les affaires que vous deviez y traiter se passent bien ?
— Conformes, éludé-je. Aurai-je le grand honneur de pouvoir m’entretenir avec Sa Majesté ?
— Le prince n’est pas joignable pour l’instant.
— Et cet instant risque de perdurer ?
— Je ne puis vous renseigner.
Tu sais comme je soupaulaite facilement ? Républicain jusqu’au gros côlon, je suis mal enclin à subir les caprices d’un monarque à cothurnes.
— Eh bien, s’il en est ainsi, je le rappellerai à la saint-glinglin, qui coïncidera avec le jour où les poules auront des dents, mon adorée. J’ai été fou de bonheur d’entendre votre voix qui fait ressembler un murmure de source au bruit des chutes du Zambèze. Mon vœu le plus ardent c’est de vous retrouver dans une chambrette afin de vous montrer les plans d’un nouveau coït qui vient de sortir et qui est appelé à un grand retentissement. J’appuie ma bouche en feu là où vous estimez qu’il est hérétique de le faire. Bonne nuit !
Je m’apprête à raccrocher. Un cri stoppe mon geste : « Non !!!! ».
— Vous vouliez ajouter quelque chose, ô ma déesse des Mille et Une Nuits ? demandé-je avec l’innocence d’un vieux monsieur qui vient de lester ses genoux arthritiques d’une fillette en culotte « Petit bateau ».
— Dites-moi où vous êtes, Sa Majesté vous rappellera.
— Impossible, ma toison luxurieuse.
— Pourquoi ?
— Parce que là où je suis, je peux émettre, mais pas recevoir ; ce serait trop long à vous expliquer.
— Alors ne quittez pas, je vais dire au serviteur privé du prince de le réveiller.
Je reste seul devant mon Dubonnet. Me sens relaxe. Froid comme la bite d’un Lapon prostatique qui sort pisser par moins quarante.
En moi souffle ce vent qui, après des jours de calme plat, gonfle les voiles d’une goélette en rideau.
Puis, au bout de peu :
— Voilà, on prévient Sa Majesté.
— Merci. Tout va bien, au palais ?
— On a retrouvé le docteur Ti-Pol.
— Il est revenu ?
— Il était mort.
— Vraiment ! Racontez-moi un peu cela, gloire de mon sexe.