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Le garage (en anglais : garage) du tonton se situe à l’extrémité de cette voie paisible. C’est un établissement important, pimpant, que jouxte un parc à voitures où sont présentées des Mercedes d’occase dont le prix est écrit en grand (et en livres) sur le pare-brise. L’atelier est vaste. Il comprend plusieurs ponts destinés à soulever les guindes, des trousses à outils roulantes, des appareils modernes qu’on se demande à quoi-que-ça-sert.

Près de l’entrée à la double porte coulissante se trouvent les bureaux vitrés. Le premier est celui de la réception. Y sévit un râtelier à perruque acajou, appelé Mary, si l’on en croit la plaque noire, aux lettres dorées, placée devant un ordinateur.

L’énorme dentier me demande ce que je désire, avec une amabilité qui doit mettre en fuite les colporteurs.

Je réponds à cette mâchoire que je souhaite rencontrer mister Swetzla, de la part de son neveu Gheorghiu.

L’exquise hôtesse me déclare à travers la grille de ses quarante ratiches (elle a beaucoup plus de trente-deux chailles, avec une usine à croque pareille) que son garaco de patron est occupé avec un client et que je dois attendre.

Justement : y a un fauteuil de cuir pile en face de son burlingue. Une fois naufragé là-dedans, t’as deux possibilités : t’endormir ou mater l’entrejambe de la réceptionniste. Etant d’une nature curieuse, j’opte pour la seconde proposition.

La perruque rousse à mâchoires Samson ne tarde pas à découvrir l’objet de ma contemplation. Un imperceptible sourire détend sa boîte de dominos. Avec gentillesse, elle desserre ses gambilles, ce qui me livre illico une vue éblouissante sur un slip rose bordé de fine dentelle blanche. De part et d’autre foisonnent des broussailles incendiées. Les cuisses précédant ces merveilles sont cuivrées par des constellations de taches rousses.

Je me dis, devant une telle splendeur, que l’existence est bien étrange, qui fait s’entremêler excitation et répulsion de manière si subtile.

— Juste encore un peu ! murmuré-je.

Elle referme ses cannes.

— Oh ! please ! imploré-je-t-il d’une voix qui saurait débiter du Shakespeare.

Aussitôt, elle les rouvre. On dit, l’Angleterre, mais elle sait se montrer généreuse parfois, quand ça ne lui coûte rien.

Ma forte connaissance des femmes me porte à penser que cette tarderie doit être une affure carabinée dans les transports urbains. Le point périlleux c’est de l’escorter à l’Hôtel du Morpion Fantasque car tu dois essuyer nombre de regards stupéfaits. Tu penses : un beau zig comme moi avec ce masque de carnaval ! Quoique, dans ce pays, si l’on y trouve les plus belles filles d’Europe, de temps à autre, ce sont surtout des sujets pour musée des horreurs que tu y croises.

— Vous êtes mariée ? je questionne.

— Divorcée.

Œuf corse, il a dû enfourcher la première cavale qui passait à sa portée, son milord ! Au moment que j’écris ça, il continue de piquer des deux à travers les landes d’Ecosse, Johnny Guitare.

— Vous habitez seule ?

Soupir de la mâchoire, long comme les sanglots des violons de l’automne.

— Eh oui !

— Je peux vous demander votre prénom ?

— Mary.

— J’adore.

Là, je morfle en pleine poire l’éclat de ses ratiches titanesques fourbies à l’Émail Diamant britiche.

Elle a ouvert ses jambons aussi largement que le lui permet l’écartement du burlingue. C’est davantage qu’une invite, c’est une convocation.

— Vous me donneriez votre nom et votre adresse si je vous les demandais ?

— Mary Wood, 4 Fornication Street, répond-elle spontanément.

— Supposez que je sonne à votre porte ce soir, sur le coup de neuf heures, comment réagiriez-vous, Mary ?

Son sourire est intense comme le faisceau d’un projecteur de D.C.A.

— Ma foi, je vous ouvrirais.

— Ça part d’un bon sentiment, darling ; mais je veux en avoir le cœur net et je tenterai l’expérience.

— Hmmm hmmm ! elle fait, car les Britanniques ont un sens inné de la conversation.

Et puis voilà que la porte du burlingue directorial s’écarte et le tonton en sort, escortant un grand con habillé de maigre qu’on verrait mieux derrière un corbillard qu’à la foire du Trône.

Mister Garagiste, lui, est un homme très brun, avec une brioche de quinquagénaire qui bouffe à sa faim, un début de calvitie et un gros tarbouif d’où jaillissent des gerbes de poils frissonnant au gré de sa respiration. La frime du brave homme ! Il doit garagister comme tous ses confrères et éponger gentiment le clille en s’efforçant de lui donner satisfaction. La fossette qui lui troue le menton fait penser à un anus de bébé.

Son anglais est chantant, ce qui ne gâte rien. J’aime son regard clair car je crois y déceler quelque chose qui ressemble à de la gentillesse.

Lorsqu’il a shakhandé son visiteur, il se tourne vers moi.

— Yes, sir ? il fait.

— Je crois savoir que presque tous les Roumains parlent français ? lui fais-je-t-il.

Ses gros lampions s’éclairent. Il me tend une bonne main qui fut longtemps manarde.

— En effet. Qu’y a-t-il pour votre service ?

Il parle avec un accent proche de l’italien, mais c’est du Canada Dry.

Je tire de ma profonde la babille de son neveu. Il sort, quant à lui, ses lunettes de sa poche-poitrine et prend connaissance du poulet. Ce texte paraît lui causer un certain mécontentement. Pourtant, il reste aussi hermétique que le morlingue d’un Écossais ou encore la porte d’entrée d’un sous-marin en plongée.

— Je ne comprends pas, déclare cet homme exquis.

— Gheorghiu fait allusion au trésor Izmir, monsieur Swetzla, l’éclairé-je-t-il avec le sourire charmeur d’un bijoutier turc qui essaie de te fourguer une topaze fabriquée par son beau-frère ferblantier.

Comme il reste de marbre (de bronze ou de bois collerait également), je reprends :

— Les joyaux vous ont été remis à l’aéro-club de Nyvapa proche de Zagreb par votre neveu, lequel a repris aussitôt son vol en direction de l’Italie. Vous, vous vous êtes dirigé sur l’Irlande et vous êtes posé sur le petit terrain de Kelkonery, d’où vous avez rallié la ville de Bigbitoune. Une fois là, vous avez loué un grand coffre à la Mekhouil Bank et y avez déposé le trésor. Par la suite, lorsque notre brave Gheorghiu a eu gagné l’Angleterre, vous êtes retourné tous deux dans le Connemara afin de régulariser la situation relativement à la signature conjointe du C. F. Mon cher ami Gheorghiu y a prélevé quelques pierres point trop tapageuses, mais qui lui ont suffi pourtant à créer sa petite compagnie d’avions-taxis.

Un silence.

J’ajoute, le plus simplement du monde :

— Et voilà !

Lui souris avec innocence.

Son gros regard bleu est plein de détresse. Des chiées de questions se pressent au portillon de sa gamberge.

Il m’en lâche une :

— Où est Gheorghiu ?

— Il se cache dans le midi de la France.

— Pour quelle raison ?

— Devinez.

— Je ne vois pas…

— Voyons, vous devez bien penser que le Savama, c’est-à-dire les services secrets iraniens, depuis la fuite de la famille impériale, est à la recherche du trésor Izmir. Ce sont des gens tenaces qui le dirigent ; les années qui s’écoulent ne les découragent pas.

— Ils sont sur la trace de mon Gheo ? demande le brave bonhomme d’une voix enrouée.