— Oui, monsieur Swetzla.
— Seigneur ! fait-il simplement.
Ses énormes lampions se gélatinent de larmes, comme l’écrit si joliment M. Maurice Schumann dans son livre qui lui a valu d’entrer à l’Académie française.
Il parvient à dominer son émotion.
— Je le savais, murmure-t-il. Je lui avais dit que cette affaire me paraissait folle ! Mais à vivre en compagnie de cette canaille de Ceauşescu, il a perdu toute mesure !
Nouveau silence. La réceptionniste à dents entre pour faire signer une pièce urgente au boss. Je découvre qu’elle a des yeux par-dessous ses cheveux d’incendie survolté. Deux yeux clairs striés de légères sanguinolences qui achèvent de lui donner l’aspect d’une affiche pour le défunt Grand-Guignol.
Son regard de femme en rut se plante dans le mien, brillant comme un nœud qui vient de donner de l’agrément à une dame.
Non, Sana, t’as pas le droit de louper une telle expérience. Pas toi !
34
PLEIN LA POIRE, MAGLOIRE
Fornication Street se trouve dans la banlieue est de London. Il s’agit d’une grande rue un peu tristounette où les immeubles sont noirs et les passants gris foncé. Une voie ferrée la borde sur un côté, ajoutant à la joie ambiante. Tu te trouves plongé dans un de ces décors dont mon cher Marcel Carné avait le secret. Les amours doivent y être désespérées, soit parce qu’elles sont sans lendemain, soit au contraire parce qu’elles ont des lendemains qui n’en finissent pas et font chier tout le monde.
La belle secrétaire du tonton crèche au sixième étage d’une maison qui porte encore sur sa façade des traces de la dernière guerre. Comme elle est sans ascenseur, tu te prends les pinceaux dans ta menteuse avant de parviendre à destinance.
La superbe Mary m’attendait, je présume, car la porte s’ouvre avant que mon index n’entre en contact avec son bouton de sonnette ; je le mets donc en réserve pour son autre, plus intime.
Madoué, quelle apparition !
Mary Wood (qui n’est pas de bois) a remonté sa rouquinante tignasse (de Loyola[19]) en torsades, lesquelles finissent par composer sur sa tronche une espèce de tiare. Son visage étroit étant dégagé révèle à quel point il héberge des taches de rousseur. Une véritable pléiade ! Ce masque pain-brûlé met en valeur son regard d’aigue-marine. Je note l’extrême largeur de la bouche, ce qui m’est un sujet de satisfaction car j’aime mon confort. Malheureusement, la dimension de sa denture empêche ses lèvres de se joindre, d’où ma perplexité.
Elle porte une robe légère d’un vert qui sied à sa peau ; ladite robe est tellement échancrée que ses nichebabes font songer à deux fruits jumeaux dont l’ampleur a fait éclater la cosse qui les emprisonnait. Là, vraiment, la réussite est complète !
J’adore qu’une baiseuse planture de l’avant-scène. T’as des politiques qui raffolent des bains de foule, moi c’est des bains de seins. Plus y en a, davantage c’est goinfrant car, que tu le veuilles ou pas, l’homme est AUSSI sur cette planète pour s’assouvir.
— Entrez vite ! qu’elle m’enjoint.
Son impatience est si vive qu’elle me rabote le fouinozoff avec la lourde en la refermant. Puis se jette sur moi, me noue ses beaux bras marqués de roux autour du cou et, séance tenante, m’enquille dans la trappe une menteuse qui ferait crever de jalousie un caméléon. C’est too much ! D’autant qu’elle a bouffé un truc à l’oignon ! Or, tu le sais, cette plante à bulbe constitue un de mes cauchemars ; c’est ce qui me débecte le plus au monde après la connerie et le dégueulis de vieillard hépatique. Tant qu’à faire, je préfère lui groumer la voie royale.
Je l’allonge sur un canapé un tantisoit débriffé et lui dégage le tunnel sous la Manche. Madoué ! sa cressonnière luxuriante est de couleur acajou. Je vais avoir la sensation de bouffer le bonnet d’un horse-guard, méziguche ! Déjà pour lui déblayer le terrier à bites faut de la patience, tellement que la région est inextricable ! Je m’attelle à la tâche en débrouissaillant de mes deux mains râteleuses cette chatte buissonnière.
Juste comme je commence à déboucher de la forêt, le bigophone retentit. Une fois seulement. Je vais pour me remettre au turbin quand la sonnerie remet ça. Deux fois !
La môme me refoule avec ennui.
— Excusez-moi, darling, mais ça va recommencer.
— C’est un code ? je lui fais en homme qui connaît à peu près toutes les astuces usuelles de la vie.
Elle sourit :
— Oui : un vieux copain qui me demande de le rappeler.
Probable que son mironton doit être affublé d’une vieille peau caractérielle qui l’oblige à ruser.
— J’en ai pour une minute, fait la rouquinette en s’esbignant dans la pièce voisine dont elle referme la lourde.
Si je te disais que j’ai envie de me casser ? Décidément, cette greluse me débecte davantage qu’elle ne m’attire. On est bizarres, nous autres, les gandins !
Mais avant de jouer rip, j’ai un réflexe de poulet : je décroche l’appareil qui se trouve dans le living, me disant que cet apparte modeste n’est sûrement pas équipé de deux lignes et que le poste de la chambre et celui du salon restent en liaison. Je plaque ma main sur l’émetteur et porte le combiné à mon oreille (où voudrais-tu que je le mette ?).
Illico dare-dare, j’identifie la voix de l’oncle garagiste à son accent roumain :
— … Oui, l’homme qui est venu en fin de journée… Le Français… C’est un homme dangereux.
Là, une exclamance de Mary qui ressemble assez à une plainte.
— Mon Dieu !
Mais tonton n’en a cure.
— Demain matin à sept heures, trouvez-vous à l’aéro-club de Bigbrak. Un petit Jet vous y attendra, piloté par un gars à moi. Il vous conduira en Irlande, à Bigbitoune ; je lui remets la clé d’un coffre de la Mekhouil Bank avec mes instructions, ainsi qu’une procuration authentifiée. Vous retirerez une valise assez lourde se trouvant dans le coffre et vous vous ferez conduire à l’hostellerie Justelittle sur les rives du lac O’Dam. Une fois là-bas, attendez-moi. Vous m’avez bien compris ?
— Yes, boss !
Presto, je raccroche et fonce me vautrer sur le canapé qui doit servir d’aérodrome à zobs. En deux machins trois choses, je tombe ma vestouse et mon bénoche.
Lorsque la greluse revient, elle me trouve seulement vêtu de mes chaussettes italiennes (l’une de mes coquetteries), avec la membrane à coulisse qui fait la belle, toute rouge et luisante comme la bouille de M. Monory.
Je lui tends les bras de la passion.
Au lieu de s’y précipiter, elle reste immobile et murmure :
— Je… je suis navrée (en anglais I am sorry).
Je chique au bandeur qui reçoit des coups de badine sur le chauve à col roulé :
— Qu’y a-t-il, belle chérie ? Une mauvaise nouvelle ?
Elle se cramponne à la perche que je lui tends comme un morpion à demi noyé dans un bidet s’agrippe à un poil de cul providentiel.
— Ma mère…, qu’elle bredouille.
— Quoi, belle chérie ?
— Un accident. Elle est tombée dans son escalier. Il faut que j’aille à l’hôpital.
— Voulez-vous que je vous y conduise ?
— Non, merci, j’ai ma voiture ; je ne sais pas à quelle heure j’en ressortirai.
Là, je lui place le petit couplet de la compassion, lui mets mon joufflu dans la main, qu’elle mesure de tastu ce qu’elle perd.
Malgré la défiance que je dois doré de l’avant lui inspirer, elle me pétrit la durite en soufflant fort du tarbouif, se disant, la pauvrette, qu’un paf de flic (si j’en suis un) vaut n’importe quel autre chibre, qu’il soit de manar, de rabbin, de déménageur de pianos ou d’ambassadeur de Sa Majesty Poupette II, laquelle reste si avenante malgré ses chapeaux de cirque et ses bas à varices.