Un bref instant, je songe qu’il va me falloir y aller du palonnier, et puis non : la raison l’emporte et cette survoltée de la houppe abandonne ma hallebarde.
Je me reloque en la suppliant de « quant-est-ce-qu’on-se-revoye ? ».
Elle me dit « Bientôt ». Je lui assure que j’attends déjà ce moment béni et que j’ai plein de projets dans lesquels sont impliqués : sa bouche, ses nichebabes, sa fente avant et même, au cas où elle aimerait prendre du rond, son oigne moleté.
Ça la touche. Je pressens qu’elle va se calmer les nerfs avec son mortier à aïoli lorsque j’aurai mis les adjas.
Elle m’offre ses lèvres qui fouettent toujours l’oignon. Si au moins elle pouvait commencer une cure de désintoxication, se rabattre sur l’ail et l’échalote, histoire de pas être trop brutalement en manque !
Un petit coup de main ouverte dans sa toison de cuivre et je la plante (à genêt) pour foncer à mon hôtel où, je crois que tu le devines, j’ai pas mal de coups de turlu à passer à des gens qui ont toute ma confiance.
35
SERRE BIEN LES CUISSES, CLARISSE
Je te passe au lendemain, ne voulant point trop abuser de ton temps.
Après quelques téléphones, donnés de voix de maître, je confie mon corps surmené aux draps immaculés de l’hôtel Dorchester. Instant incoercible, comme le dit un promeneur de serpillière albanais de la gare du Nord.
Sommeil franc et massif, en cœur de chêne taillé dans la masse. Une dorme sans escale jusqu’à eight o’clock, heure que j’avais moi-même programmée. Douche nourrie. Loquage du mec, n’ensuite brique-faste dans la salle à croquer du fameux hôtel. Si je n’aimais pas l’Angleterre, j’adorerais tout de même les petits déjes qu’on y savoure.
Je suis toujours fasciné par les victuailles proposées : charcuteries, saucisses et lard grillés, œufs frits, coque ou brouillés, céréales, fromages, confitures (et quelles ! dans tous les bleds où l’on se fait un peu chier, la conf’ est prodigieuse), pâtisseries, fruits.
Sachant que c’est dans ce cher vieux pays le meilleur repas de la journée, je remplis mon garde-manger. Et c’est donc un homme en pleine disposition de ses moyens qui part rejoindre tonton Swetzla à l’aéroport.
Voyage bref et sans incident.
Une fois de plus, c’est l’oncle roumain qui pilote. Une vocation, dans cette famille ! Chemin volant, il me parle de son neveu, choisi par les Ceauşescu à cause de ses qualités professionnelles. Hélas ! il a gagné leur sympathie ! Fâcheux quand c’est un tyran qui t’a à la chouette. Ça rutile tant que celui-ci tient le couteau par le manche, mais ça cacate lorsqu’il l’a planté dans son dos ! Gheorghiu a obtenu des honneurs, des prébendes. Seulement plus duraille est la chute. S’il n’avait eu l’heureuse initiative de jouer cassos avec le coucou affrété pour le dictateur et sa mégère, il aurait été balayé tel un étron par le vent de l’Histoire !
Tout en devisant amitieusement, on se pose comme des fleurs sur la piste équivoque de Kelkonery.
Temps grisâtre, avec des jaspages blancs. La mer n’est pas dans son assiette, aujourd’hui. Le garaco a téléphoné et un taxi nous attend avec sa vieille gueule, sa vieille pipe, sa vieille guimbarde. Une authentique illustration pour un album consacré à l’Irlande. Canadienne exténuée, mal-rasance roussâtre, frime violacée par la Guinness et les embruns. Dans ce pays, question typique, c’est tout bon : la nature, les gens, les choses. Le pittoresque est omniprésent. Gentillesse et soûlographie garanties.
La tire va en brimbalant. M’est avis que sa dernière révision remonte à l’année ou le Président Kennedy et sa rombière sont venus visiter le berceau familial.
Chaque fois que je me trouve en Irlanderie, je suis gagné par le sortilège mélanco de ce pays. Je me dis que j’aimerais y acheter une baraque de pierres sur une lande où paîtraient des moutons noirs aux cornes pareilles à des fossiles de coquillages antédiluviens.
J’irais pêcher la truite et j’acquerrais un cheval blanc pour parcourir les plaines mauves. Et puis, très vite, je me ferais chier façon rat mort. Bien sûr, je trouverais des petites servantes d’auberge dont je coifferais les poils pubiens avec ma menteuse, mais je m’en lasserais vite. Et les blanquettes de m’man n’auraient pas le même goût. Tu sais que je vire vieux garçon, au fil des âges, ma pomme ? Je sens venir le temps des habitudes, cette gangrène.
Cahin, cahotant, on atteint l’aimable petite ville de Bigbitoune. Le bahut nous arrête devant une mignonne banque peinte en noir et vert foncé laqué, avec des lettres d’or au fronton et des vitres dépolies dans lesquelles sont gravés des bioutifoules motifs floraux, genre ajoncs… Tu vois ? Non ? Tant pis, t’es bouché, t’es bouché, quoi, on va pas se mettre à déféquer des pendules !
— Vous venez avec moi ? me demande Carol Swetzla.
— Naturellement ! réponds-je-t-il.
On entre. Quelques guichets en bois blond. Des lampes à abat-jour opalins. Aux murs des vues photographiques de l’Irlande, presque plus belles que l’Irlande elle-même.
Je laisse oncle Vania s’adresser au guicheton. On lui remet une clé plate. N’ensuite nous descendons un escadrin jusqu’au sous-sol.
Hum ! pas terrible la défense des coffiots. On comprend que nous sommes dans un pays pas encore contaminé par la délinquance. Excepté des rixes de pochards, à la rigueur un meurtre commis par un cocu teigneux, tout baigne dans la bière brune ici.
In petto, comme disent les Ritals, je me fends le pébroque. Je regarde tonton engager la clé de la banque dans l’une des deux serrures, puis la sienne propre dans la seconde (c’est le double qu’il a remis à la moche Mary Wood), et cric crac, la forte lourde s’ouvre avec aisance.
Mister Carol joue admirablement son rôle. Il produit un « Hhhhan ! » de bûcheron et demeure immobile.
Je mate l’intérieur du vaste compartiment. Vide !
A mon tour de m’immobiliser ; non pas à la manière d’un gonzier stupéfait, mais en mec qui prend ses distances avec l’événement.
Tonton pivote, face à moi.
— Nous avons été volés ! qu’il balbutie.
— Sûrement, renchéris-je. Par contre, ça, vous ne l’aurez pas volé.
Et je lui place un crochet en ciment armé au bouc. Pas du pain au chiqué, façon cinoche. Oh ! que non ! Le vrai taquet de champion du monde, catégorie poids lourds.
Il encaisse dans un claquement de râtelier et de maxillaire éclatés.
S’abat (chez les juifs s’écrit « sabbat »).
— Vieille ganache ! l’injurié-je.
Qui m’aurait eu, sans le concours du hasard, avec sa frite de brave con.
Je remonte, en frictionnant mes phalanges. J’éprouve l’enchantement que procure le travail accompli. Rien ne vaut la paix du cœur. Je me sens calme, plein d’un courage inexplicable.
C’est à partir de maintenant que ma mission va se jouer !
36
FAIS-TOI POMPER LE NEUTRON, RAYMOND
Je dis au taxi-driver que mon compagnon est retenu à la bank et le prie de me piloter jusqu’au Justelittle Hôtel, ce dont il s’acquitte en moins de temps qu’il ne lui en faut pour tirer sa mémé.
Une qui pousse la frime du siècle en me découvrant dans le couloir de son auberge, c’est la rousse Mary Wood. Ses yeux font des sarabandes kif le cadran d’un juke-box. Elle ne pâlit pas, biscotte les taches de son qui lui criblent la vitrine, mais à son attitude, je devine qu’elle en fait « pipi aux culottes », comme on dit dans la belle Helvétie.