Je te l’ai déjà dit : sur notre putain de planète, rien ne se perd, rien ne se crée, seulement tout se transforme. Nous, nous étions autre chose avant de naître et nous deviendrons autre chose après notre mort. Faut se soumettre de bonne grâce. La rébellion, c’est provisoirement dans notre tête, mais peut-être qu’un jour, après de plus amples informations… Je m’attends à tout, tu sais.
Quelques heures plus tard, nous étions en Chiraquie. Mon premier soin a été de lancer un coup de turlu à La Pine. Il nous a assuré que tout baignait. Comme le blessé râlait, il avait branché la téloche pour couvrir ses plaintes.
Je l’ai complimenté et lui ai dit de mettre les adjas à son tour. Nach Dublin. De là il prendrait un vol pour ailleurs, n’importe où, mais le plus rapidement possible.
— Ne t’occupe pas de moi, petit, j’en ai vu d’autres.
C’est ainsi qu’on s’est pris congé.
Les Services spéciaux avaient mis une villa tranquille à notre dispose, dans la région du Vésinet. C’est dans cette coquette cité qu’on a embarqué Draggor et Shéhérazade. Nous y avons installé notre bivouac, Jérémie, Mathias et ton serviteur (mal payé). Des « messieurs tranquilles » assuraient notre protection, bien que ce fût une précaution superfluse. Mathias s’occupait du traitement de Sa Majesté sodomite. Il avait mijoté une thérapie de haut niveau.
Elle produisait son effet. Soliman devenait enjoué, détendu. Je pouvais lui bonnir n’importe quoi, ça le faisait gondoler. Ainsi, un jour, je lui ai déclaré : « Avec ta gueule, quand tu parles, on dirait que tu pètes ! » Eh bien il a rigolé comme un bosco, alors qu’en d’autres temps il m’aurait fait bouffer les testicules par un rat malade !
Pour la fille, c’était une autre thérapie, moins « pointue », assurait Xavier. Un machin à base de cantharide qui l’excitait comme tu peux pas savoir. Elle essayait à tout bout de champ de nous pomper le muscle. Excédé, le Noirpiot l’a tirée sur la table de la cuisine et, un jour que Bérurier nous a rendu visite, il l’a sodomisée, fait unique dans les annales anales, vu le mortier à aïoli du monsieur.
Le temps passait calmos. On attendait la fin « de la cure ». Sa Majesté bouffait beaucoup et repoussait les élans de sa secrétaire. Il était devenu plus eunuque que pédé.
Quatre jours plus tard, c’est Pinuche qui nous a rendu visite. Pas seul : la Mary Wood l’accompagnait. Il en était tombé fou amoureux et se la gardait pour soi. Je l’ai assuré que je n’y voyais pas d’inconvénient. Elle n’avait été qu’une comparse dans l’aventure et on ne peut pas toujours punir les lampistes. Il faut bien que les choses changent, non ?
La donzelle nous assura qu’elle était folle de César, de Paris, des couturiers où il la traînait, de la maison Carita, du restaurant Lasserre, de son élégant appartement de la rue de Chazelles, du cabriolet BMW blanc qu’il venait de lui offrir, ainsi que du joli godemiché en chlorure de vinyle, avec testicules d’argent formant poignée, qu’elle manœuvrait dextéritement pendant les séances de broutage du cher homme.
Nous fûmes ravis de voir s’épanouir cet amour franco-britannique. Comme sont donc mystérieux les desseins de la Providence !
Enfin, après onze jours de cette vie-là (ou de cette villa), Mathias nous déclara que l’expérience, selon lui, pouvait se dérouler.
Je n’attendais que son feu vert.
J’avais aménagé une sorte de studio de cinéma dans une chambre inoccupée du premier étage. Un inspecteur qui avait fait l’I.D.H.E.C. en pensant devenir Henri Verneuil, mais qui avait dû déchanter, servit de cameraman et de chef opérateur. C’est lui qui régla les quatre projos mis à notre disposition, procéda aux essais et exécuta le tournage, tandis que son beauf, avec qui il réalisait de petits films d’amateur, s’occupait du son (d’ailleurs ce type était un âne).
Nous nous disposâmes de la manière suivante : l’objectif fut placé en bout de table, le prince et moi face à face. Ainsi l’opérateur pouvait-il par un simple mouvement d’appareil nous filmer alternativement pour les « questions-réponses ».
Hors de la zone lumineuse, Jérémie Blanc et Xavier Mathias constituaient une sorte de cour allégée. La pénombre dans laquelle il baignait, dérobait le visage du Noirpiot qui n’existait plus que par ses lotos.
Un silence intimidant nous unissait.
J’eus du mal à le rompre.
— Moteur ! demanda le cadreur.
— Ça tourne ! répondit le perchman.
Je me raclis la gargante et demandas à mon vis-à-vis :
— Pouvez-vous décliner votre identité ?
Il le put.
LE GRAND SECRET
DE SOLIMAN DRAGGOR
— Êtes-vous résolu à me confier toute la vérité, Monseigneur ?
— Je le suis.
— Pourquoi avez-vous lutté aussi longtemps et avec tant de pugnacité pour mettre la main sur le trésor Izmir ?
— Parce qu’il possède une valeur inestimable.
— Étaient-ce les pierres en elles-mêmes qui vous intéressaient ou bien la somme colossale qu’elles représentent ?
— La seconde hypothèse est la bonne.
— N’êtes-vous point très riche ?
— Dans l’absolu, je le suis ; mais tout est relatif et mes biens personnels ne pouvaient suffire à assumer le vaste plan que j’ai conçu.
— Quel est-il ?
— Doter ma principauté de la bombe atomique.
Là se place un long blanc exprimant l’émotion de celui qui questionne.
Puis, la voix altérée de San-Antonio reprend :
— Dans quel but ? Votre petit pays n’est pas en danger.
— Non, mais à cause de moi, d’autres l’auraient été.
— C’est cynique.
— J’ai une certaine conception des choses.
— Vous vous serviriez d’une telle arme ?
— Sans hésiter. Lorsque je la posséderai, ma puissance sera telle que je pourrai presque tout exiger de ceux qui ne l’auront pas.
— Où en est ce projet ?
— C’est plus qu’un projet : une réalisation.
— Terminée ?
— Presque, mon cher. L’infrastructure est faite ; j’y ai consacré une grande partie de ma fortune. Seulement mon pays n’a pas l’or noir à sa disposition pour remplir ses caisses, voilà pourquoi j’ai dû trouver un autre moyen de financement.
— D’où cette recherche opiniâtre du trésor Izmir ?
— Vous avez tout compris.
— Quand votre installation atomique sera-t-elle opérationnelle ?
— Lorsque je serai en mesure de payer le plutonium qui me manque. Néanmoins, je possède déjà des « échantillons expérimentaux » non négligeables qui causeraient pas mal de dégâts à qui les subirait.
— Personne jusque-là n’a percé à jour votre dessein ?
— Sans doute, mais peu m’importe car il est impossible de déterminer l’endroit où est situé mon centre de recherches.
— Où se trouve-t-il ?
Question capitale, question culminante. Le vis-à-vis de San-Antonio est-il suffisamment « traité » pour abdiquer et livrer le cœur du secret ?
Sans hésiter, le prince déclare, gonflé d’une imbécile satisfaction :
— J’ai fait bâtir, dans l’oasis de Chock-Koridor, une léproserie, à la suite d’une résurgence de la lèpre dans nos régions. Elle a donné lieu à une inauguration dont les médias du monde entier ont rendu compte et qui m’a valu un nombre impressionnant de décorations étrangères. En vérité, elle était « gonflée » et se limite à quelques lits, inoccupés la plupart du temps. Une fois cette célébration passée, des gens qualifiés se sont mis au travail et y ont bâti mon centre de recherches nucléaires. Génial, non ?