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— Que voulez-vous boire, cher Tiarko ?

— Je m’alcoolise peu, ce qui est préférable dans mon métier, néanmoins j’accepterais volontiers un whisky sur de la glace, Monseigneur.

Il fut servi en un temps record.

— Et toi ? demanda l’Arabe à son compagnon nu.

— Whisky également, mais avec du Coca, dit l’interpellé.

Contrairement à ce qu’on pouvait attendre, il possédait une voix grave. Quand il fut servi, il s’assit pour boire. Son sexe à demi dressé dodelinait entre ses cuisses musclées. Le prince ne prit rien. Il marquait fréquemment des espèces de temps morts, comme si sa vie se déroulait en pointillé et qu’il dût s’interrompre d’agir et de parler pour se consacrer à la réflexion.

Il demanda enfin :

— Lorsque Ceauşescu vous a ordonné de venir le chercher, il vous a également demandé de prendre deux valises.

— Exact.

— Que contenaient-elles ?

— Des dollars.

— Vous le saviez ?

— Oui.

— Où se trouvaient-elles entreposées ?

— Dans une cache pratiquée dans la maison d’un parent infirme de la femme Ceauşescu auquel elle rendait parfois visite.

— Ce parent était au courant ?

— Non.

— Et vous ?

— C’est moi qui avais aménagé la cache en compagnie d’un ouvrier maçon qui mourut d’accident, ce travail achevé.

Le prince hocha la tête d’un air amusé.

— Il est des travaux qui portent malheur, n’est-ce pas ?

— On se le demande, admit Tiarko.

Le maître des lieux donna soudain une claque sur la cuisse de son éphèbe.

— Laisse-nous, Boby !

Ce dernier se montra d’une soumission absolue et quitta la pièce en emportant son whisky.

— Il a un beau sexe, n’est-ce pas ? demanda le prince.

— Je n’y ai pas prêté attention, avoua Tiarko. J’aurais dû ?

— Les garçons ne vous tentent pas ?

— Sexuellement, pas du tout, et les femmes non plus.

— Impuissant ?

— Ça y ressemble : j’ai fait de graves crises de diabète et vous devez connaître les effets de cette maladie ?

— Je vous plains.

— Merci de votre compassion, Monseigneur, mais elle ne se justifie pas. On n’éprouve aucune difficulté à jeûner quand on n’a pas faim.

L’Arabe sourit.

— Peut-être, mais je souffrirais énormément si j’étais à votre place. Rien n’est plus beau que d’être en proie à un désir et de l’assouvir. Maintenant, parlons sérieusement : ayant été un familier des Ceauşescu, vous avez dû entendre parler de leur trésor. Quelque chose de bien plus considérable que deux valises bourrées de billets de banque.

Tiarko réfléchit, puis haussa les épaules.

— Des on-dit, finit-il par déclarer ; on prête beaucoup aux riches.

— Certes, convint son vis-à-vis, et savez-vous pourquoi ? Parce que les riches ont beaucoup. Vous connaissez le trésor Izmir ?

— Plus ou moins…

— Eh bien moi, je vais vous en dire plus, mon cher. Lorsque le shah d’Iran, mon ami, s’est exilé, il a emporté différentes petites caisses marquées « Affaires personnelles », lesquelles contenaient en réalité quelques-uns des plus beaux et des plus précieux joyaux du monde appartenant en propre à Reza Pahlavi : le trésor Izmir.

« Or, figurez-vous que pendant ses pérégrinations, il fut volé à ce cher monarque. J’ignore tout des circonstances de ce forfait. Mais ce que je sais, c’est qu’en fin de compte, et après pas mal de tribulations, il entra en possession du couple de dictateurs roumains. »

Une haine bestiale faisait briller les yeux d’onyx du prince. Le pilote en fut impressionné.

— Je suppose, Monseigneur, que si vous affirmez la chose avec tant d’assurance, c’est parce que vous avez la preuve de ce que vous avancez ?

— Vous supposez juste, bougonna son interlocuteur.

C’était un être irascible qui ne tolérait que l’obséquiosité ; peu de gens, à ce jour, avaient dû lui tenir tête.

Tiarko attendit la suite, figé. Il n’osait même pas porter son verre à ses lèvres.

— Par quels louches brigandages ces gemmes impériales tombèrent-elles entre les sales pattes d’un dictateur rouge, je l’ignore, fit le prince ; mais les faits sont là.

Il se leva et Tiarko constata avec surprise que son hôte était de petite taille ; il ne devait guère mesurer plus d’un mètre soixante.

Le prince accomplit une sorte de ronde nerveuse dans la vaste pièce. Il avait un tic qui retroussait la partie gauche de sa bouche en un rictus pour film de série B.

Soudain calmé, il revint auprès de son invité.

— Ces infâmes Ceauşescu ont dû trouver un endroit sûr où cacher ce trésor, fit-il d’un ton rêveur. Est-ce en Roumanie ? Est-ce à l’étranger ? Je pencherais pour la seconde hypothèse. C’est la poire idéale pour la soif de dictateurs déchus.

Un long silence suivit ; un de ces brusques silences crispés dont l’Arabe paraissait avoir besoin pour rythmer sa pensée.

Comme chaque fois, il le rompit avec brusquerie :

— Naturellement, j’ai pensé à un coffre en Suisse. J’ai payé une fortune des détectives privés de classe internationale, pour qu’ils enquêtent dans ce sens. Sans leur révéler, bien sûr, la nature du dépôt éventuel. Leurs investigations n’ont absolument rien donné. J’ai donc abandonné cette hypothèse, les Ceauşescu n’auraient pu accomplir personnellement les formalités nécessaires sans s’assurer le concours d’un homme de paille. Mais existe-t-il dans l’entourage d’un dictateur quelqu’un de suffisamment fiable pour assumer une telle opération ? Prenons votre exemple : quand les choses ont mal tourné, vous n’avez pas hésité à laisser tomber ces misérables !

Il n’y avait aucune acrimonie dans sa dernière phrase, il étayait simplement un argument.

Tiarko ne broncha pas. Il s’enhardit seulement à boire une forte gorgée de scotch.

— Vous devez vous demander ce que j’attends de vous, monsieur Tiarko ? ajouta le prince.

— Je pense que je représente votre ultime espoir ? fit le Roumain avec calme. J’étais un familier des Ceauşescu, je connaissais leurs caractères, leurs penchants ; mieux, leurs habitudes.

Le visage de son vis-à-vis s’éclaira.

— Vous avez tout saisi. Quelque chose me dit qu’en vous faisant contacter j’ai frappé à la bonne porte. Je vais jouer cartes sur table, mon ami : si vous acceptez de vous atteler à cette recherche, je vous fournirai tous les moyens d’action que vous jugerez utiles. Tous, m’entendez-vous ? En cas de réussite, je vous verserai un million de dollars. En cas d’insuccès, je vous en donnerai vingt-cinq mille à titre de défraiement. Cette proposition vous paraît-elle valable ?

Tiarko considéra son hôte en dissimulant sa curiosité. Le prince devait follement tenir à ce trésor. D’en parler le plongeait dans un état de surexcitation qu’il parvenait mal à dominer. Depuis plusieurs années, il ne vivait plus qu’avec la perspective de mettre la main sur les joyaux du défunt monarque iranien.

— J’accepte votre proposition, Monseigneur ! fit l’ancien pilote des dictateurs abattus.

— J’en suis ravi. Pour la bonne règle, je dois préciser encore, monsieur Tiarko, que si, par chance extrême vous retrouviez le trésor Izmir, ne cherchez pas à me faire à moi le coup des valises car vous ne survivriez pas longtemps.

4

TU REGARDES LE FIRMAMENT, ARMAND ?

Ciel étoilé. Le plus beau spectacle de l’univers. Tout mec non con biche les chocottes. Je te prends la galaxie d’Andromède… Elle se trouve à deux millions d’années-lumière, et pourtant tu la vois briller. Tu sais ce que ça représente, deux millions d’années-lumière, técolle ? Trois cent mille kilbus à la seconde ; multiplié par soixante pour obtenir la distance par minute. Soit dix-huit millions de kilbus. A quoi bon pousser plus loin ? La distance, en une plombe, n’est déjà plus récitable pour un pékin de ma sorte. Eh bien essaie de commensurer ce que peuvent donner deux millions d’années ! C’est plus un vertige qui te biche, mais la trouille verdâtre. Tu glaglates, t’as envie de crier pouce, tu voudrais te réfugier quelque part. Seulement y a pas de « quelque part ». On est coinçaga dans la ronde, Raymonde. On nébulise de la coiffe. On peut même pas prier, tellement qu’on est pris de doute devant une telle effarance. Une balle dans le gadin ? Et après ? C’est plus une fuite quand on sait ce que je sais. On l’a dans l’œuf parce qu’ON EST DANS L’ŒUF !