Tu piges ? Non ? Tant mieux pour toi. Ce que j’aimerais être abruti, moi aussi, simplement une journée, pour mettre mon caberluche en vacances. Siroter un Campari en survolant le Figaro. Me faire chatoyer le battant de cloche par une dégusteuse de membrane assermentée. Me laisser dorer les noix au Club Med, tout ça. Juste avoir le souci des impôts et de mon cholestérol. Putain, ce panardin ! Qu’au lieu je m’use la gamberge à fourvoyer du cosmos en évoquant les glandus qui m’ont précédé et ont comporté comme s’il n’existait pas ! Sont morts rassurés, leur destin accompli.
Têtes de nœuds, va ! Béatement, les pinceaux en flèche dans leur boîte à dominos, se croyant éternisés dans le confort de la tombe ! Les branques ! Les mal emmanchés ! Quelques milliards d’années, et zob ! Fini. Plus de planète, plus de nous ! L’happé éternel ! Rien ne se perd, qu’il a prétendu l’autre gus ! Oui, mon chéri ! Attends la suite ! Va chez Lavoisier, je crois qu’il y est !
Je me lève, le corps irrité, avec de la gueule de bois plein le bocal. Salle d’eau. La giclette nocturne pour se dégonfler à fond la vessie. J’ouvre le réfrigérateur. Un jus de quoi, je m’offre ? Ça a beau être fresco, dix secondes après t’as resoif. J’opte pour un Coke. Au moins on sait où ça va. Y a un décapsuleur incorporé à la lourde. Goulou goulou. Fusée volante inévitable ! Les wagons sont accrochés ! En voiture ! Faut retourner te « toyer », Antoine. Un mot de ma grand-mère, ça : « se toyer » (pour se coucher).
Leur piqûouze de merde m’a chancetiqué le physiologique. J’avais beau, en prévision, avoir pris des trucs machins préventifs, cette seringuée de leur drogue salope m’a tout de même éprouvé.
Dis, je suis pas un cobaye !
Malgré les rideaux, le clair de lune andalou craque de partout et glisse dans l’immense piaule des traînées blafardes.
Le silence est vaguement troublé par un chuchotement d’eau provenant de la piscaille ; quand tu te mets à lui prêter l’oreille t’entends plus que ça. On est vachement perméables, les hommes : à la lumière, à l’eau, au bruit, aux odeurs. Poreux, je me sens. J’ai l’air d’un bloc, d’un monolithe ; mais tout l’univers me viole insidieusement. C’est entrée libre dans la carcasse à Sana !
J’aurais dû rester devant mon verre d’Yquem. Mais non : toujours à me mettre en avant, à risquer mes os pour la peau (si j’ose ainsi exprimer). La gloriole, tu dis ? Le besoin de chiquer les Bayard parce que je suis dauphinois, tu crois ? N’empêche que ce glandu est clamsé à quarante-huit piges à trop vouloir s’offrir six lignes dans le Larousse ! Le seul mec dont on n’a jamais pu enrayer le hoquet ! Évidemment : il n’avait pas peur !
J’ai pas fini de me récriminer. Mais quoi, en agissant comme j’agis, j’obéis à ma nature impulsive, à la prodigieuse détente de l’instant ! Y a ceux qui tournent sept fois leur menteuse dans leur clape avant de jacter, et puis y a moi, qui donne mille balles avant qu’on me les ait demandées. Deux races opposées. Inutile d’essayer de changer : pour ce qui reste, je finirai en l’état !
Je cherche une odeur dans la chambre, y en a pas. Si : le neuf ! Le rien ! L’ensemblier !
Le lit a la dureté des plumards qui n’ont pas encore servi. Un lit, bordel, faut que des gens y dorment pendant des mois, y copulent à tout-va. Ça se culotte. Essaye d’aller pieuter dans une vitrine à M. Lévitan, tu m’en donneras des nouvelles !
Je m’y allonge à plat ventre et les bras en croix afin d’utiliser tout le champ de tir.
Allons : un petit come-back du sommeil, plize ! Il n’est que onze plombes ; la noye sera encore longuette.
Je file ma pipe sous l’oreiller, des fois ça me réussit. On a tous ses petites recettes de grand-père !
Des images m’affluent ; mafflues quand elles concernent Béru. Je revois notre brasserie où parfois, l’été surtout, on va se dilater l’estom’ à la pression, avec les potes. Je revois un endroit de notre jardin de Saint-Cloud où les orties se la donnent belle. Avant on avait un Polack qui s’en occupait. Et puis il s’est fraisé la gueule à l’usine, le pauvre. J’ai alors déclaré à m’man que, doré de l’avant, on se prenait plus personne et que c’est Bibi qui allais chiquer les Le Nôtre. Mais tu sais ce que c’est ? Oui, tu sais ? Bon, alors je la boucle ! Ma chère vieille enlève le plus gros, plante quelques salades dans le coin potager, de la romaine, c’est son régal. Mais le reste du terrain part en friche allègrement. C’est décidé : quand je vais rentrer at home, je me mettrai en quête d’un jardinier, d’un vrai, et on aura des espaliers, des massifs, tout le circus que la nature t’offre gratos, mais qui vaut des fagots, réalisé par un pro de la binette. Priez pour eux, pauvres bêcheurs !
Ma gamberge fait le toton. Elle turbine en produisant un léger sifflement centrifuge. C’est leur merderie d’injection qui m’empêche d’en concasser, je suis sûr. Le corps humain, faut bien gaffer ce qu’on y met dedans : du pinard, du boudin, des entrecôtes, c’est banco. Mais les chiasseries pharmacopeuses, Achtung ! Il déjante.
Je repousse toutes les penseries qui me cernent, veulent m’assaillir. Faut se méfier des idées horizontales. La seule gambergence possible concerne la baise. Là, oui, tu peux donner libre cours. C’est même dans la touffeur d’un plumzingue qu’on échafaude les plus subtiles combinaisons. Des trucs, auxquels tu ne penses pas toujours dans la frénésie de la copule, t’affluent au cigare. T’en décèles la portée, les gracieuses implications.
Par exemple, tu prends un thème et l’exploites bien. Là, j’opte pour une chaise. Je prospective tout ce qu’un couple en délire peut perpétrer avec un tel siège. Les manières plaisantes de l’utiliser dans une séance de tringlette.
A mes débuts casanovesques, j’ai bénéficié de la technique d’une femme d’expérience qui avait l’âge d’être ma tante (j’aime pas mêler le saint nom de « mère » à des baisouillances). Sa spécialité, Mme Larchaix, c’était le steeple-chaise. C’est dingue, ce qu’elle a pu m’enseigner sur une simple chaise de cuisine, la grosse chérie. On croit que ça ne va pas loin, détrompe-toi, Lucien ! Depuis « debout, avec elle mettant un pied sur le siège », en passant par « moi assis, et elle me chevauchant de face et de fesses », pour continuer par des plaisanceries comportant la mère Larchaix agenouillée dévotement tandis que j’y allais d’un « emplâtrage cosaque du Petit Chose », sans te causer de plusieurs autres figures ingénieuses dont la liste, non exhaustive, serait interminable.
On peut pas se figurer, quand on est un moudu, simple trempe-biscuit dans le régiment des cornards, ce que des frénétiques de la tringle sont inventifs. Le combien elles leur arrivent en droite ligne des glandes, leurs inventions. Ils sauront jamais, les pauvrets du manche, vu le champ de manœuvres immense que l’amour développe à perte de vulve.