Выбрать главу

À la sortie de la ruelle, ils traversèrent un terrain vague pour gagner les rues de l’autre côté. Caffola partit dans une direction, mais Fegan le retint et l’attira vers un passage entre deux pâtés de maisons. « Non, par là », suggéra-t-il.

Caffola le suivit. Une fois parvenus au fond de l’impasse, ils s’arrêtèrent. Caffola se pencha en avant et lâcha un long gémissement.

« J’ai plus la forme, dit-il en tentant désespérément de reprendre son souffle.

— Moi non plus », haleta Fegan. Une brûlure atroce lui déchirait les côtes et il s’appuya contre le mur, saisi d’un étourdissement. Il lui sembla que son crâne allait éclater, tant la pression était forte derrière ses yeux. Paumes appuyées contre ses tempes, il respira en serrant les dents.

Caffola se tint le ventre d’une main, s’accrochant de l’autre à une poubelle.

« Nom de Dieu. » Sa bouche s’ouvrit tout grand et Fegan entendit le jet de son vomissement. Dans l’odeur nauséabonde qui le rattrapait, il se couvrit le nez et la bouche.

Il ferma très fort les yeux. La douleur lui martelait le front. Même s’il ne les voyait pas, il les sentait tous les onze. Ils essayaient de pénétrer sa conscience. Sans savoir pourquoi, il inspira profondément et les laissa entrer. Un dernier éclair s’alluma dans sa tête, et la souffrance disparut. Il s’abandonna un moment au vertige que lui procurait ce brusque soulagement, puis ouvrit les yeux en se demandant ce qu’il allait découvrir.

Les Suiveurs rassemblés dans la ruelle obscure se tenaient à distance, observant la scène. Les soldats de l’UDR s’avancèrent. La haine flambait sur leurs visages, doublée d’un plaisir sauvage.

Fegan regarda Caffola qui vomissait toujours. Les premières gouttes de pluie lui rafraîchirent le front. Il se tourna de nouveau vers les deux UDR. Leurs yeux luisaient dans la nuit tombante. Ils souriaient de leurs bouches édentées, aux chairs mises à vif, tandis que derrière eux, les autres glissaient entre les ombres.

Fegan referma les yeux. Si seulement il pouvait y avoir un autre moyen. Une autre vie, loin de tout ça. Un sommeil paisible et des mains qui ne seraient pas tachées de sang.

Si seulement.

Il soupira, ouvrit les yeux, et sortit une paire de gants en latex de sa poche. Tout en les enfilant, il demanda : « Tu te souviens des deux soldats de l’UDR, à Lurgan ?

— Hein ? » Caffola se redressa en s’essuyant la bouche du revers de la main.

« À Lurgan. Ce devait être en 87 ou en 88. Tu te rappelles ? Pendant que tu les torturais, il y en a un qui s’est levé. Tu es tombé sur le cul et c’est moi qui ai dû les achever à ta place.

— Oui, je me rappelle », dit Caffola en esquissant un sourire, le souffle court. Il toussa et cracha. « Ils beuglaient comme des porcs. » Puis il fronça les sourcils en avisant les mains de Fegan. « C’est pour quoi faire, ça ? »

La pluie tombait plus fort à présent. Les deux UDR s’approchèrent, épargnés par les gouttes.

« Ils veulent ta peau, dit Fegan.

— Qu’est-ce que tu racontes, Gerry ? » Caffola s’appuya contre le mur.

« Les soldats de l’UDR. » Dans l’obscurité, Fegan s’accroupit et promena sa main à tâtons sur le sol mouillé. « Ils veulent ta peau. »

Caffola s’avança d’un pas. « Qu’est-ce qui se passe ? »

Fegan trouva ce qu’il cherchait et se releva. « Désolé », dit-il en se demandant s’il présentait ses excuses aux deux UDR ou à Caffola. Peut-être aux deux… Il s’approcha.

Caffola recula, mains levées. « Qu’est-ce que tu fais, Gerry ?

— Ce qui aurait dû être fait depuis longtemps. »

Ayant reculé tout au fond de l’impasse, Caffola ne pouvait aller plus loin. « C’est toi qui as descendu McKenna.

— Oui », répondit Fegan en levant la brique. Dans les dernières lueurs du crépuscule, il vit aux yeux de Caffola que celui-ci avait compris. Il n’eut pas le temps d’abattre la brique. Caffola se projeta en avant et le heurta en pleine poitrine.

Les deux hommes roulèrent à terre, Caffola sur Fegan qui en eut le souffle coupé. La brique lui échappa. Malgré leurs jambes emmêlées, Caffola tenta de se relever mais s’écroula, cette fois sur le côté. Fegan le saisit par sa veste pour l’immobiliser. Il entendit le tissu se déchirer. Caffola lui envoya son coude dans la joue et réussit à se dégager. Il était déjà debout quand Fegan l’attrapa par les chevilles.

En essayant d’amortir sa chute, Caffola retomba sur le poignet. On entendit le claquement sec de l’os qui se brisait. Il poussa un hurlement qui se répercuta dans l’étroite ruelle. Fegan le retourna à plat ventre, s’assit sur lui à califourchon, retrouva la brique et la brandit à nouveau. Caffola cria une dernière fois avant que le coup ne s’abatte sur sa tempe.

À présent que Caffola ne bougeait plus entre ses jambes, Fegan jeta la brique vers les Suiveurs. Ils s’écartèrent pour la laisser rouler plus loin. Les deux soldats de l’UDR vinrent se pencher sur Caffola, à la hauteur de Fegan, et le visèrent à la tête. Caffola avait les yeux vitreux. Un filet de sang s’échappait de sa blessure à la tempe. Il gémit.

« J’ai compris », dit Fegan. Pinçant le nez de Caffola entre ses doigts, il lui couvrit la bouche et pesa sur lui tout le temps que durèrent les soubresauts. Dans sa main gantée se répandit un liquide chaud. Il maintint la pression tandis que Caffola vomissait encore. Enfin, il sentit que la vie s’échappait du corps emprisonné sous le sien.

Il ferma les yeux et palpa le cœur de sa victime, cherchant en même temps un sens à ce qu’il venait de faire. Il ne trouva qu’un vide glacé, seule réponse à ses espoirs.

Ôtant sa main, qui couvrait la bouche de Caffola, il laissa le vomi se répandre sur le sol. L’odeur acide et la chaleur qu’il percevait sur sa paume lui retournaient l’estomac. N’écoute pas, ne dis rien. Il se tourna vers les Suiveurs. La femme s’avança vers lui, son bébé dans les bras, vêtue de sa jolie robe à fleurs qu’on distinguait encore dans l’obscurité. Elle hocha la tête et sourit à Fegan, de son sourire las et triste.

Les deux soldats de l’UDR avaient disparu. Il restait neuf Suiveurs.

« À qui le tour ? » demanda Fegan.

NEUF

12

Les yeux au plafond, le cœur battant à tout rompre, Campbell se demanda ce qui l’avait réveillé. Il avait le sommeil léger — par nécessité — et réagissait au moindre mouvement. En entendant la sonnerie de son portable, il comprit ce qui l’avait alerté. Il tendit le bras vers la table de nuit, attrapa l’appareil et scruta le cadran. Numéro masqué. Son cœur cognait dans sa poitrine.

Il appuya sur la touche verte et approcha le téléphone de son oreille. « Oui ?

— Ramène-toi, dit un homme qui parlait avec un accent anglais.

— Tout de suite ? demanda Campbell sans laisser percer l’espoir dans sa voix. Je viens à peine d’arriver.

— Changement de programme. C’est urgent… Top priorité.

— Où je vais ?

— À Armagh. Il y a un parking devant une église, en face de la mairie. Tu vois ?

— Oui, je connais. » Campbell s’assit sur le bord du lit en frottant ses joues à la barbe rugueuse. « C’est bourré de caméras, là-bas.

— Elles seront détournées.