Выбрать главу

— Y a intérêt. Quand ?

— Dans une heure.

— Je suis à Dundalk. Faut que je fasse mes bagages, que je récupère ma bagnole, et il y a des travaux partout sur les routes…

— Dans une heure. » La communication fut coupée.

« Merde », dit Campbell.

Ses vêtements étaient éparpillés par terre, à l’endroit où il les avait laissés la veille. Il s’habilla rapidement, sans faire de bruit. Dans l’armoire dont les portes déglinguées restaient à demi ouvertes, il prit un sac fourre-tout et y jeta ses maigres effets personnels. Sauf son portable et ses clés, qu’il glissa dans sa poche avant de sortir sur le palier.

Des ronflements sonores lui parvenaient de la chambre voisine. Il poussa la porte et regarda à l’intérieur. Eugene McSorley était étendu sur son lit, tout habillé, tenant encore une cannette de bière à la main.

Campbell se demanda s’il reviendrait un jour finir ce qu’il avait commencé ici. Il lui avait fallu des mois de ruses et de manigances pour se faire accepter dans le gang. Rien à signaler, jusqu’à présent. Mais McSorley pourrait bien devenir un problème si on ne le tenait pas à l’œil.

L’idée lui vint qu’il serait facile de l’éliminer. Il suffisait d’entrer, de poser un genou sur sa poitrine et de lui appliquer une pression suffisante sur la gorge. Campbell prit quelques secondes pour réfléchir.

« Et merde », dit-il en se détournant. Il descendit l’escalier et sortit dans la rue. Le soleil s’élevait à peine au-dessus des maisons quand il s’assit au volant de la Ford Fiesta, dont le moteur fatigué démarra en toussotant. Il prit la direction du port, où sa propre voiture, la vraie, était garée en sécurité.

Cinquante-deux minutes après avoir reçu l’appel, Campbell entrait dans le parking de l’église au volant de sa BMW Z4 Coupé. Il éteignit le moteur en s’arrêtant à côté d’une Ford Mondeo dont les passagers, comme lui, s’abritaient des regards indiscrets derrière des vitres teintées. Il distingua vaguement les silhouettes de deux hommes, assis à l’avant. Son ombre projetée par le soleil s’étirait sur le sol quand il descendit de voiture, et en levant les yeux, il aperçut la cathédrale qui dominait la ville. Le conducteur de la Mondeo se retourna pour ouvrir la portière arrière.

Campbell prit place sur la banquette. « C’est à propos de McKenna, hein ? »

Après avoir échangé un coup d’œil avec son collègue, le conducteur — l’agent — lui tendit un ordinateur de poche affichant une photo de deux hommes, debout au coin d’une rue. Campbell les identifia malgré la qualité médiocre de l’image.

« Tu les connais ? demanda l’agent.

— Oui. » Campbell examina la photo sans trahir aucune émotion. « Gerry Fegan et Vincie Caffola.

— Qu’est-ce que tu peux nous en dire ? »

Campbell réfléchit avant de donner sa réponse. « Gerry Fegan est un héros d’une autre époque, mais tout le monde parlait de lui quand j’étais à Belfast. C’est un sale type. Il a fait douze ans de taule. À ce qu’on raconte, il s’est mis à picoler et parle tout seul quand il est bourré. »

L’agent jeta un regard par-dessus son épaule. « Et Caffola ?

— C’est une brute. Con comme une bite, mais dangereux.

— Plus maintenant. Il est mort. On l’a retrouvé au fond d’une impasse hier soir. Il avait le poignet cassé et une blessure à la tempe, mais ce n’est pas ça qui l’a tué. Apparemment, il se serait étouffé dans son propre vomi. On attend les résultats de l’autopsie aujourd’hui.

— Putain. » Campbell sentit que son calme apparent risquait de se fissurer. Il se ressaisit, respira en pressant ses lèvres l’une contre l’autre.

« Donc, tu es au courant pour Michael McKenna. »

Campbell sourit. « Un si brave gars, c’est terrible. »

L’homme assis à la place du passager prit enfin la parole. « Ce n’est pas à traiter à la légère, dit-il. Nous pourrions en subir les conséquences. »

Un diplômé d’une grande école, pensa Campbell. Représentant du gouvernement, sans doute membre du cabinet ministériel (à la différence de l’agent, qui lui, était un militaire, peut-être même un ancien SAS[9], à en juger par sa coupe de cheveux et par les cicatrices qu’il portait au visage). Un bureaucrate mis là en guise de gestionnaire parce que les autres étaient trop occupés à se battre pour se gérer eux-mêmes. Tous ces fonctionnaires minables, tenant la barre d’un pays qui se noyait dans son propre sang… Mais il n’y en a plus pour longtemps, songea Campbell.

« Inutile de vous dire que nous sommes dans une situation délicate, continua le Diplômé. Le processus politique suit son cours mais il est encore extrêmement fragile. Compte tenu de l’investissement considérable en matière de temps et d’argent, nous ne pouvons tolérer le moindre dérapage. Les relations entre les factions de McGinty et la direction du parti sont déjà très tendues, il faut absolument éviter le conflit. Vous avez regardé les infos ce matin ?

— Non. » Campbell n’avait même pas allumé la radio sur la route, en traversant la frontière.

« Ce n’est pas très encourageant. Dès l’annonce de la mort de Caffola, ce qui avait commencé comme une simple bagarre de rue est devenu une véritable émeute. Les choses se sont calmées il y a quelques heures à peine. La direction souhaite minimiser l’événement, mais McGinty veut dénoncer une action volontaire de la police, même s’il est prouvé que c’était un accident. Il va en faire toute une histoire à l’enterrement de McKenna aujourd’hui, en racontant que Caffola a été battu à mort par des policiers, et il menace de retirer son soutien à la PSNI contre l’avis du parti. Tout cela pour renforcer son image dans la presse et montrer qu’on ne peut pas le maintenir à l’écart. Le problème, c’est que ce genre de discours risque d’effrayer les unionistes. S’ils craignent que le parti se désolidarise de la police, ils pourraient rappeler leurs représentants à Stormont et il faudra dissoudre l’assemblée. Une fois de plus.

— Et vous êtes sûrs que les flics ne sont pas responsables ? demanda Campbell, qui jugeait la question pertinente.

— Nous ne sommes sûrs de rien, répondit le Diplômé.

— Qu’est-ce que Gerry Fegan a à voir là-dedans ? » Campbell revit en esprit l’homme grand et mince qu’il avait rencontré, une seule fois, dans un quartier industriel au nord-ouest de Belfast, au cours d’un épisode sanglant auquel il essayait de penser le moins possible.

« C’est ce que vous allez chercher, répondit l’agent. Fegan est le dernier à avoir vu McKenna en vie. Il semblerait aussi qu’il était avec Caffola juste avant sa mort. Un peu bizarre comme coïncidence, non ?

— Vous n’avez qu’à le cueillir pour savoir.

— Il a été interrogé hier soir. Il a expliqué que Caffola était parti de son côté pendant que tous deux s’enfuyaient devant la police.

— Et il ne ment jamais ? ricana Campbell.

— D’après notre contact, McGinty le croit. Fegan fait profil bas depuis des années. Pourquoi se retournerait-il contre ses amis maintenant ? D’ailleurs, rien ne permet de l’accuser du meurtre de McKenna. Il était chez lui à ce moment-là, soûl comme une bourrique.

— Alors, qui a tué McKenna ? » Campbell se pencha en avant, tel un chien flairant l’odeur du sang.

« McKenna se livrait à un trafic de prostituées avec un Lituanien. Petras Adamkus. Un gars du milieu… La direction du parti l’a appris et a chargé McGinty d’y mettre le holà. Juste avant qu’on lui explose la cervelle sur le pare-brise de sa voiture, McKenna a téléphoné à un barman pour expliquer qu’il avait rendez-vous avec quelqu’un sur les quais, et depuis, Mr. Adamkus est introuvable.

вернуться

9

Special Air Service. Unité de forces spéciales de l’armée britannique, engagées contre les indépendantistes irlandais à partir des années 1970.