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— Mais ça ne vous suffit pas, dit Campbell.

— Non. Parce qu’au vu des apparences, on pourrait croire que le parti a fait le ménage en ce qui concerne McKenna et Adamkus, et qu’il est tout à son avantage de tenir la police pour responsable de la mort de Caffola. On sait que Caffola n’était pas partisan de l’option politique, surtout à cause du soutien accordé à la police. Le parti ne tolère pas les dissidents, et il lui est déjà arrivé d’éliminer un des siens en rejetant la faute sur les forces de sécurité ou sur les loyalistes. Donc, c’est une hypothèse envisageable. Mais il y a quelque chose qui cloche.

— Et vous voulez que je mette un peu de lumière dans tout ça ? » Campbell se laissa aller en arrière contre le dossier de la banquette en s’efforçant de contenir la joyeuse impatience qu’il sentait monter en lui.

Le Diplômé se tourna vers l’agent avec un sourire condescendant et déclara d’une voix onctueuse : « Vous disiez qu’il était intelligent… » Il pivota contre l’appuie-tête pour regarder Campbell. « Retournez à Belfast. Vous raconterez que vous avez quitté les dissidents et que vous voulez réintégrer le mouvement. Renseignez-vous sur Fegan. S’il est derrière tout ça, réglez l’affaire. Ou bien donnez le tuyau au parti et laissez-lui l’honneur.

— Je vais me faire jeter, dit Campbell. Ils savent que je me suis rapproché de McSorley, à Dundalk. Ça ne plaira pas à McGinty. Vous ne pouvez pas trouver quelqu’un d’autre ? »

Il connaissait déjà la réponse.

« Nous n’avons personne qui soit aussi proche que vous de McGinty. Notre contact vous ouvrira la voie. Du reste, si je ne me trompe pas, McGinty vous doit un sacré renvoi d’ascenseur. Vous serez accueilli les bras ouverts. Faites-moi confiance.

— Sûrement pas », dit Campbell.

Le Diplômé le regarda sans ciller. « Vous serez largement récompensé, bien sûr. Quinze mille à l’acceptation. Et quinze mille supplémentaires si vous parvenez à une issue satisfaisante. »

Campbell regarda tour à tour l’agent et le Diplômé. « Vingt-cinq mille d’avance, vingt-cinq mille de solde. Plus ce qu’on me doit pour Dundalk. Ce n’est pas moi qui ai choisi d’y aller. »

Le Diplômé sourit. « Vous ne pensez qu’à l’argent, hein ? Très bien. Je ne doute pas que vous agirez à la hauteur de votre salaire.

— Au penny près », répondit Campbell. Il chassa de son esprit le visage de Gerry Fegan, le sang, et les cadavres à ses pieds.

13

Debout entre les tombes, Fegan sentait les coulées de sa sueur qui lui rafraîchissaient le dos. Il ne se rappelait pas avoir connu un mois de mai aussi chaud. Les flancs rocheux de la Black Mountain se découpaient dans la lumière éclatante. Outre les paroles que le père Coulter marmonnait devant la fosse, on entendait des toussotements polis et quelques pleurs étouffés.

Fegan examina la foule rassemblée dans le cimetière. Une centaine de personnes. Suffisamment pour rendre un hommage approprié au défunt, mais il s’était attendu à trouver plus de monde. Certains avaient préféré s’abstenir, provoquant murmures et chuchotements parmi ceux qui prenaient leur défection comme une insulte. Les politiciens n’étaient pas venus présenter leurs visages solennels auprès du cercueil, et cette absence ravivait les blessures.

Fegan chercha une chevelure blonde, une silhouette longue et mince. Elle était là, quelque part, mais se tenait à l’écart. Et qu’en avait-il donc à faire ?

« Va savoir », murmura-t-il.

Il sortit un mouchoir de sa poche pour s’essuyer le front et la nuque. Il avait les yeux secs, les paupières lourdes. La tête comme emplie de coton. Les flics l’avaient retenu jusqu’à neuf heures du matin et il n’avait dormi que deux heures. En paix. Mais ce soulagement fut de courte durée.

Déjà, la douleur s’accrochait à ses tempes. Des ombres passèrent dans le brouillard qui lui envahissait les yeux. Il les chassa. Bien sûr, parmi tous les vivants regroupés ici, les spectres viendraient désigner quelqu’un. Combien de temps réussirait-il à les refouler ?

Jusque-là, il avait eu de la chance. Comme toujours, d’ailleurs, quand il s’agissait de tuer. C’était un talent naturel chez lui. L’émeute de la veille lui avait fourni une occasion en or, au point qu’on pourrait même croire à un accident. Après avoir caché la brique au fond d’une poubelle, à quelques rues de là, il tomba sur le stock de cocktails Molotov et vida une bouteille pour brûler ses gants.

Puis il regagna Springfield Road. Il voulait être vu, loin du corps de Caffola. McGinty entamait déjà les pourparlers avec un officier de police, devant les caméras, en se présentant une fois de plus comme l’homme qui ramenait la paix. Mais pas pour longtemps. Quand les flics qui cherchaient la réserve de munitions eurent retrouvé le cadavre de Caffola, ce fut la panique.

Fegan passa le reste de la nuit au commissariat. On le soumit à un interrogatoire de pure forme, sans excès de zèle. La mort de Caffola ne dérangeait personne et l’enquête serait sans doute menée au plus vite. Il partit le matin, lavé de tout soupçon.

À cet instant, dans le cimetière balayé par le vent, il se couvrit la bouche pour réprimer un bâillement. Sa tête lui faisait de plus en plus mal. Sentant son équilibre instable, il se déplaça d’un pied sur l’autre et serra les bras sur son ventre.

Une fois les oraisons du père Coulter terminées, vint l’heure de la politique. Sur une estrade dressée à côté de la tombe, deux hommes brandirent une bannière sur laquelle était écrit Construire la paix, Construire l’avenir. Quelqu’un d’autre apporta un ampli relié à un micro. Devinant ce qui allait suivre, Fegan fut pris d’une nausée.

Paul McGinty, cinquante-cinq ans, grand et séduisant, monta sur le podium. Des chuchotements se répandirent dans la foule endeuillée ; pourquoi n’y avait-il aucun chef du parti pour faire l’éloge du défunt ? McGinty se tint face à l’assemblée, arborant une mine sombre, les cheveux ébouriffés par la brise tandis qu’il attendait la fin des applaudissements. On approcha un micro.

Il parla en irlandais, comme le voulait la coutume. Certains le comprenaient, d’autres non. Fegan, lui, n’attachait guère d’importance aux mots, qu’ils fussent en irlandais ou en anglais.

Après une introduction en bonne et due forme, McGinty commença son discours.

« Camarades, dit-il, en adoptant volontairement l’accent des quartiers ouest de Belfast. En ce jour de tristesse, nous sommes d’autant plus accablés par la nouvelle qui nous est parvenue hier soir. Vincent Caffola, fervent défenseur de la cause et membre du parti, est mort. Mais malgré tout ce que j’aimerais lui exprimer, je me dois d’abord de rendre hommage à l’homme que nous enterrons aujourd’hui.

« Michael McKenna était un homme remarquable. » McGinty marqua une pause en parcourant de ses yeux bleus les gens qui applaudissaient et lâchaient quelques acclamations çà et là. « Parce qu’il croyait à la lutte pour la justice et pour l’égalité sur notre île, et parce qu’il se battait chaque jour pour la justice et pour l’égalité. Tous ceux qui le connaissaient éprouvent durement cette tragédie, sachant qu’il était près d’atteindre son but quand on lui a ôté la vie. »

Une douleur fulgurante explosa sous le crâne de Fegan. « Non », lâcha-t-il entre ses dents.

Des têtes se tournèrent vers lui. Il n’y prêta pas attention.

Les ombres envahissaient son champ de vision. À nouveau, la douleur, plus intense encore.