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Et il retourna auprès de Pete.

— Dis-moi, tu as drôlement bien travaillé, mon garçon !

Joanna, incapable de détacher les yeux du journal, secoua la tête.

— Je n’arrive pas à y croire. Qui pouvaient être ces femmes ? Elles n’ont quand même pas toutes déménagé depuis.

— Calme-toi, dit Walter. Tu n’as pas encore interrogé toutes les habitantes de la ville.

— Bobbie l’a fait, ou quasi.

Elle plia soigneusement la feuille en quatre pour la ranger dans la caisse de son matériel. Le pinceau gisait toujours à terre.

— As-tu besoin d’un pinceau ?

Walter se retourna brusquement.

— Tu n’as tout de même pas la prétention de me transformer en peintre, par-dessus le marché ?

— Non, non, je l’ai trouvé enveloppé dans le journal.

Elle posa le pinceau et s’accroupit pour ramasser quelques tuiles éparses.

— Comment a-t-elle pu garder le silence, alors qu’elle était la présidente ? s’exclama-t-elle.

* * *

Sitôt Bobbie et Dave montés dans la voiture, elle leur fit part de sa découverte.

— Es-tu sûre qu’il ne s’agit pas d’un de ces gros titres à la gomme qu’on fait imprimer dans les foires, demanda Bobbie. Du genre DAVE MARKOWE BAISE ELISABETH TAYLOR.

— Il s’agit du Sommeil de Stepford, dit Joanna. Le bas de la première page. Regarde toi-même, si tu peux lire.

Elle leur tendit l’exemplaire qu’ils étalèrent sur leurs genoux. Walter alluma le plafonnier.

— Vous auriez gagné gros si vous m’aviez proposé un pari avant de me le montrer, dit Dave.

— Oh ! je n’y ai pas pensé !

— Plus de cinquante membres, murmura Bobbie. Qui diable ça pouvait être ? Que s’est-il passé ?

— C’est ce que je veux savoir, dit Joanna. Et aussi pourquoi Kit Sundersen ne m’a-t-elle rien dit ? Demain, j’irai la trouver.

Arrivés à Eastbridge, ils se joignirent à la queue pour la séance de 9 heures où l’on donnait un film anglais réservé aux adultes. Les autres couples, par groupes de cinq ou six, étaient gais, bavards et bruyants. Ils se retournaient à tout moment pour adresser des petits signes amicaux à des relations moins bien placées. Aucune tête connue, à l’exception d’un couple d’un certain âge que Bobbie identifia pour l’avoir rencontré à la Société d’Émulation. Il y avait aussi le jeune McCormick qui, solennel, la main dans celle d’une petite copine, s’efforçait de faire passer ses dix-sept ans pour les dix-huit exigés.

Après le film qu’ils s’accordèrent à qualifier de « vachement bon », ils se rendirent chez Bobbie. La maison était un chaos : les garçons n’étaient pas encore couchés et se livraient à des cavalcades, du haut en bas de la maison, avec le chien berger. Une fois que Bobbie et Dave eurent liquidé la baby-sitter, les gosses et le clebs, tout le monde s’attabla devant du café et une tarte au fromage blanc dans le salon dévasté par la tornade.

— Je savais bien que je n’étais pas la seule à être irrésistible, constata Joanna en apercevant, glissé dans le cadre du miroir de la cheminée, un croquis de Bobbie par Ike Mazzard.

— Toutes les femmes sont bonnes à dessiner pour Ike Mazzard, tu ne le savais pas ? répondit Bobbie en amarrant soigneusement l’esquisse à l’angle du cadre, avec pour tout résultat de la déséquilibrer encore davantage. Seigneur, qu’est-ce que je ne donnerais pas pour être, serait-ce à moitié, aussi belle qu’il m’a portraiturée.

— Tu me plais telle que tu es, dit Dave debout derrière les jeunes femmes.

— Un amour, hein ? que mon mari, lança Bobbie à Joanna tout en se détournant pour déposer un baiser sur la joue de Dave. N’empêche que demain, dimanche, ce sera ton tour de te lever le premier.

* * *

— Joanna Eberhart, s’écria Kit Sundersen dont le visage s’éclaira. Comment ça va ? Vous entrez ?

— Volontiers, dit Joanna, si vous avez quelques minutes.

— Naturellement, suivez-moi, répondit Kit.

C’était une jolie femme, brune, avec des fossettes au creux des joues, à peine plus mûre par rapport à la photo peu flatteuse de l’Éveil. Dans les trente-trois ans, estima Joanna en pénétrant dans le vestibule. On avait l’impression que, sur le sol de vinyle ivoire, quelque écran de plastique translucide, sorti de la publicité télévisée, venait de se poser. Du salon fusaient des bruits de match de base-ball.

— Herb est enfermé là-dedans avec Gary Claybrook, dit Kit en repoussant la porte d’entrée. Voulez-vous leur dire un petit bonjour ?

Joanna s’approcha de la voûte cintrée du salon et risqua un œil à l’intérieur. Assis sur le canapé, Herb et Gary contemplaient une énorme télé-couleur installée à l’autre extrémité de la pièce. Gary, une moitié de sandwich à la main, mâchonnait. Un plateau de sandwiches et deux boîtes de bière étaient disposés devant eux sur un établi de cordonnier. La pièce de style colonial, immaculée, était beige, marron et vert. Joanna attendit qu’un joueur qui battait retraite attrape la balle.

— Salut, dit-elle enfin.

Herb et Gary se retournèrent et lui sourirent.

— Salut, Joanna, répondirent-ils en chœur. Comment va ? s’enquit Gary. Walter est avec vous ? demanda Herb.

— Très bien, merci. Non, je suis seule. Je suis simplement venue bavarder avec Kit. Vous regardez un beau match ?

Herb détourna d’elle son regard. Gary proféra un « Excellent ! » laconique.

Kit l’avait rejointe, fleurant un parfum que Joanna ne put nommer mais qui était sûrement celui adopté par la mère de Walter.

— Venez, je vous entraîne à la cuisine.

— Amusez-vous bien, dit-elle à Herb et Gary.

Ce dernier, sans s’arrêter de mâchonner sa tartine, lui sourit des yeux derrière ses lunettes, mais Herb se tourna vers elle.

— Merci. Faites-nous confiance.

Elle suivit Kit sur le vinyle plastifié.

— Vous prendrez bien une tasse de café ? proposa Kit.

— Non. Merci.

Elle pénétra dans la cuisine qui embaumait le café. Bien entendu, la pièce était immaculée. À l’exception du séchoir béant sur lequel étaient posés des vêtements et un panier à linge. Derrière le hublot de la machine à laver s’agitait une véritable tempête.

Là aussi le sol était plastifié.

— Le café est au chaud, dit Kit. Ça ne me dérangerait donc absolument pas.

— Dans ce cas, j’accepte.

Joanna s’assit auprès d’une table ronde peinte en vert, pendant que Kit sortait une tasse et une soucoupe d’un placard en ordre impeccable où l’on avait pris soin d’accrocher les tasses et de disposer les assiettes dans des casiers de rangement.

— Que ça fait du bien d’être au calme ! soupira Kit en refermant le placard pour se diriger vers le fourneau (dans sa courte robe bleu ciel, sa silhouette était presque aussi sensationnelle que celle de Charmaine). Les gosses sont chez Gary et Donna pour me permettre de faire la lessive de Mary McCormick. Elle a attrapé un virus quelconque, et aujourd’hui, elle peut à peine bouger.

— Ce n’est pas de chance, dit Joanna.

Kit, après avoir tapoté le couvercle du percolateur, se mit à verser le café.

— Je suis sûre que d’ici un jour ou deux, elle s’en sortira toute gaillarde. Qu’est-ce que je vous mets dans votre café, Joanna ?

— Du lait et pas de sucre, s’il vous plaît.

Kit emporta tasse et soucoupe vers le réfrigérateur.

— Au cas où vous seriez venue pour me reparler de cette fameuse réunion, dit-elle, je m’excuse, mais je suis toujours aussi bousculée.