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— Là n’est pas l’objet de ma visite, répondit Joanna en regardant Kit ouvrir le frigo. Je voulais simplement savoir ce qu’il est advenu du Club des Femmes.

Kit, plantée devant le réfrigérateur éclairé, tournait le dos à Joanna.

— Le Club des Femmes ! s’exclama-t-elle. Mon Dieu, que c’est vieux ! Il s’est dispersé, figurez-vous.

— Pourquoi ? demanda Joanna.

Kit referma la porte du réfrigérateur et ouvrit un tiroir.

— Les unes sont parties vivre ailleurs.

Après avoir refermé le tiroir, elle se retourna pour poser une cuiller dans la soucoupe.

— Quant aux autres, elles y ont tout bonnement perdu intérêt. C’est mon cas.

Elle revint vers la table, les yeux fixés sur la tasse.

— On n’y faisait rien d’utile, expliqua-t-elle. Les réunions sont très vite devenues monotones.

Elle posa sa tasse et sa soucoupe sur la table et les poussa en face de Joanna.

— Vous avez assez de lait ?

— Oui, c’est parfait. Merci. Mais comment se fait-il que l’autre fois, vous ne m’en ayez rien dit ?

Kit sourit de toutes ses fossettes.

— Vous ne m’avez posé aucune question, expliqua-t-elle. Sinon, je vous en aurais parlé. Ce n’est pas un mystère. Voulez-vous un bout de gâteau ou des biscuits ?

— Rien, merci.

— Maintenant, je vais plier ce linge, dit Kit en quittant la table.

Sous les yeux de Joanna, elle ferma la porte du séchoir et attrapa un vêtement blanc qui, défroissé d’une secousse, se révéla être un T-shirt.

— Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez Bill McCormick pour qu’il ne soit pas fichu de faire marcher une machine à laver. Moi qui le prenais pour un de nos cracks de l’aérospatial.

— Il soigne Madge, répondit Kit en pliant le T-shirt. Que dites-vous de la blancheur de ma lessive ? demanda-t-elle toute fière de ranger le jersey aux plis impeccables dans le panier à linge.

Telle une actrice de bande publicitaire.

En fait, elle l’était, comprit brusquement Joanna. Elles l’étaient toutes, sans exception, ces femmes de Stepford. Des actrices de bande publicitaire, ravies de leur choix en matière de lessive, cire et produits de nettoyage ; de leurs shampooings comme de leurs désodorisants. De jolies actrices, fortes de poitrine mais faibles de talent, qui jouaient sans conviction les ménagères de banlieue, trop chochottes pour être vraies.

— Kit ! s’écria-t-elle.

Kit la regarda.

— Vous deviez être très jeune quand vous étiez la présidente du Club. J’en conclus que vous êtes intelligente, et que vous ne manquez pas de dynamisme. Maintenant, est-ce que vous êtes heureuse ? Dites-moi la vérité. Êtes-vous satisfaite de la vie que vous menez ? Vous paraît-elle enrichissante ?

Kit hocha la tête avec conviction.

— Oui, je suis heureuse. Je sens que je vis pleinement. Herb a de lourdes responsabilités que, sans moi, il n’assumerait pas aussi bien. Nous formons un bloc et, à nous deux, nous élevons une famille et procédons à des recherches en optique ; grâce à nos efforts, notre maison est nette et confortable, et enfin nous participons à la vie de la communauté.

— Par le truchement du Club des Hommes.

— Oui.

— Les séances du Club des Femmes étaient-elles plus ennuyeuses que les travaux domestiques ?

Kit parut réfléchir.

— Non. Mais elles étaient moins utiles. Vous ne buvez pas votre café. Il ne vous inspire pas ?

— Au contraire, mais j’attendais qu’il refroidisse, ajouta Joanna en saisissant sa tasse.

— Ah bon ! dit Kit dont le visage s’éclaira et qui se retourna vers sa lessive pour se mettre à plier le premier vêtement venu.

Joanna l’observait. Ne devrait-elle pas lui demander les noms des autres participantes. Non, celles-ci réagiraient comme Kit ; et au fond, qu’est-ce que cela changerait. Elle avala une gorgée. Le café était délicieusement savoureux, le meilleur même qu’elle ait bu depuis longtemps.

— Comment vont les enfants ? demanda Kit.

— Très bien.

Sur le point de s’enquérir de la marque du café, elle se retint et préféra vider sa tasse.

* * *

Les carreaux de la quincaillerie auraient peut-être brouillé de façon intéressante le reflet de la lune, mais vu les positions respectives de l’astre et de la devanture, il était impossible de le vérifier. C’est la vie ! Elle traîna un peu dans les parages pour s’imprégner de l’atmosphère nocturne de cette rue désormais déserte, bordée d’un côté par la rangée de boutiques blanches, et de l’autre par le flanc de la colline au pied de laquelle se dressaient la bibliothèque et le cottage qui abritait la Société d’Émulation. Elle gâcha quelques pellicules sur les réverbères et les corbeilles à papier – conventionnel en diable – et après tout, merde, ce n’était que du noir et blanc. Un chat, gris argent, précédé de l’ombre de ses pattes, descendit en trottinant l’allée qui menait à la bibliothèque ; il traversa la rue en direction du parking du centre commercial. Non, merci, les clichés de chat n’ont rien d’excitant.

Elle disposa son trépied sur le gazon de la bibliothèque et photographia les devantures en utilisant des lentilles de 50 millimètres et des temps de pose de dix, douze et quatorze secondes.

Une bizarre odeur de sûri, à relents médicinaux, flottait dans l’air – apportée derrière elle par la brise. Elle lui rappelait vaguement un souvenir d’enfance impossible à préciser. Un sirop qu’on lui avait administré ? Un jouet qu’on lui avait donné ?

À la lueur de la lune, elle chargea de nouveau son appareil, replia son trépied et traversa de nouveau la rue à la recherche d’un angle favorable d’où prendre la bibliothèque. L’endroit idéal trouvé, elle s’y installa. Sous l’éclairage vertical du clair de lune, les bardeaux blancs du flanc de l’édifice semblaient ourlés de noir. Les fenêtres laissaient voir, dans la salle faiblement éclairée, des murs tapissés de rayonnages de livres. Après avoir effectué sa mise au point avec un soin extrême, elle utilisa des temps de pose qui passèrent graduellement de huit jusqu’à dix-huit secondes. Un cliché, au moins, enregistrerait les rayonnages intérieurs sans surexposer le mur externe.

Elle retourna à la voiture prendre son chandail, puis, au retour, réexamina les lieux, son appareil à la main. Le cottage de la Société d’Émulation ? Non, il était trop ombragé par les arbres et, en tout cas, trop banal. Mais, là-haut sur la colline, le local du Club des Hommes lui parut d’un comique incongru. Cette bâtisse du XIXe siècle, trapue et symétrique, était en effet coiffée en bataille d’une antenne de télé étincelante. Les quatre hautes fenêtres du premier étage étaient grandes ouvertes et des silhouettes mouvantes y apparaissaient en ombre chinoise.

Elle était en train de remplacer ses lentilles de 50 par des 145, lorsque des faisceaux de phare balayèrent la chaussée. Leur éclat se fit de plus en plus brillant. Elle se retourna et fut aveuglée par un projecteur. Elle dut fermer presque les yeux pour terminer l’opération, puis portant sa main à hauteur de ses sourcils, elle plissa les paupières pour mieux voir de quoi il s’agissait.

La voiture s’arrêta, le rayon lumineux se déplaça et ne fut bientôt qu’un point orange. Joanna cligna plusieurs fois des yeux, encore éblouie par l’éclairage intense.

C’était une voiture de police, immobilisée à trente mètres d’elle environ, de l’autre côté de la rue, et à l’intérieur de laquelle une voix d’homme se livrait à un bavardage continu.

Joanna attendit.