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Torean la remplaça et prêta serment en suant comme un porc. Ce fut ensuite le tour du seigneur Dobraine, ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites toujours aux aguets. Parmi les hommes d’âge mûr, c’était un des rares à s’être rasé le devant du crâne.

Puis Aracome avança et…

Rand faillit perdre patience tandis que la procession continuait, des Teariens succédant à des Cairhieniens qui succédaient eux-mêmes à des Teariens, ainsi qu’il l’avait ordonné. Cette cérémonie était indispensable, avait dit Moiraine – avec le soutien, dans la tête de Rand, d’une voix qu’il savait être celle de Lews Therin – mais ça ne l’empêchait pas d’avoir le sentiment de perdre son temps. Pourtant, il devait être sûr de la loyauté – au moins théorique – de ces nobles avant de commencer à pacifier le pays. Car ce processus devait être au minimum enclenché avant qu’il puisse se tourner vers Sammael.

Et je n’y manquerai pas ! J’ai trop à faire pour le laisser se cacher dans les buissons et me flanquer des coups de couteau dans les chevilles. Il va voir ce qu’on gagne lorsqu’on suscite le courroux du Dragon.

Revenant à l’instant présent, Rand ne comprit pas pourquoi ses vassaux, luisant de sueur, récitaient à présent le serment d’une voix tremblante, comme s’ils crevaient de peur. Mais bien entendu, contrairement à eux, il ne pouvait pas voir la lueur de détermination glaciale qui brillait dans ses yeux…

47

Le prix d’un bateau

Quand elle eut terminé ses ablutions matinales, Nynaeve se sécha soigneusement, puis elle enfila une combinaison de soie propre – à contrecœur, car la soie était beaucoup moins fraîche que le lin. Même si tôt, la chaleur qui régnait dans la roulotte présageait d’une journée étouffante. Pour ne rien arranger, la combinaison était tellement échancrée qu’elle redoutait de la voir tomber sur ses chevilles si elle respirait un peu trop fort. Mais elle n’était pas empoissée de sueur nocturne, contrairement à celle qu’elle venait de retirer.

Des cauchemars avaient peuplé sa nuit, ceux où figurait Moghedien la réveillant parfois en sursaut – ce n’étaient pas les pires, cependant – tandis que d’autres la mettaient de nouveau face à Birgitte et son arc, mais sans que l’héroïne tire sur elle, cette fois. L’ancienne Sage-Dame avait également rêvé que des disciples du Prophète saccageaient la ménagerie, qu’elle était à jamais coincée à Samara faute de bateau ou qu’elle atteignait Salidar pour découvrir qu’Elaida y était aussi aux commandes. Voire que Moghedien l’y attendait. Et de ce songe-là, elle s’était réveillée en pleurant.

Des angoisses légitimes, bien entendu, et parfaitement naturelles. Trois nuits passées ici sans qu’un navire se montre, trois jours à se tenir contre ce morceau de bois, un bandeau sur les yeux… N’importe qui aurait été sur les nerfs, même sans ajouter les inquiétudes au sujet de Moghedien, qui se rapprochait sans doute de plus en plus de ses proies. Encore que… Savoir qu’elles étaient dans une ménagerie ne signifiait pas qu’elle les localiserait à Samara. Après tout, ce n’était pas la seule ville qui attirait des troupes itinérantes. Hélas, trouver des raisons de ne pas s’en faire était beaucoup plus facile que d’arrêter d’avoir peur.

Mais pourquoi devrais-je me faire du souci pour Egwene ?

Nynaeve plongea une petite baguette fendue dans une solution de sel et de bicarbonate de soude, puis elle entreprit de se laver les dents. Egwene était présente dans pratiquement chacun de ses rêves, la sermonnant vivement, mais elle ne voyait pas très bien ce qu’elle était venue y faire.

En toute franchise, l’angoisse et le manque de sommeil, après une si mauvaise nuit, expliquaient seulement en partie son humeur détestable. Les autres raisons étaient plutôt mineures, mais pourtant bel et bien réelles. Avoir un caillou dans sa chaussure n’était rien, comparé à se faire décapiter, mais quand on avait mal en marchant alors que la hache du bourreau n’était qu’une éventualité…

Malgré tous ses efforts, Nynaeve ne parvint pas à éviter de voir son reflet, avec ses cheveux défaits qui pendaient sur ses épaules au lieu d’être nattés comme il convenait, leur éclatante couleur rousse continuant à lui retourner l’estomac. Histoire de la contrarier un peu plus, une robe bleue attendait son bon vouloir sur sa couchette. Et quel bleu ! De quoi faire cligner des yeux une Zingara ! En plus de tout, aussi décolletée que la robe écarlate présentement accrochée à une patère. Voilà pourquoi elle avait dû mettre cette combinaison si… précairement accrochée à son torse. Selon Valan Luca, une seule robe de scène ne suffisait pas. En conséquence, Clarine travaillait sur deux modèles jaunes, et on murmurait qu’il y aurait même une version à rayures. De celle-là, Nynaeve ne voulait même pas en entendre parler !

Au moins, Luca pourrait me laisser choisir les couleurs, pensa la jeune femme tout en se brossant vigoureusement les dents. Ou confier cette tâche à Clarine. Mais non ! Le bougre avait des idées bien arrêtées, et il ne consultait personne. Parfois, ses goûts en matière de couleurs étaient encore pires que ses exigences au sujet du décolleté.

Je devrais lui jeter cette robe à la figure !

Peut-être, mais elle ne le ferait pas… Birgitte acceptait de revêtir ces tenues sans même que ses joues rosissent. Vraiment, elle ne correspondait pas à ce que les récits pouvaient laisser penser d’elle. Bien sûr, Nynaeve n’allait pas se plier aux quatre volontés de Luca sous prétexte que l’héroïne ne protestait pas. Entre elles deux, il n’y avait aucune forme de compétition ni de rivalité. C’était juste que…

— Quand on doit faire quelque chose, marmonna Nynaeve avec la baguette entre les dents, autant s’y habituer.

— Qu’est-ce que tu dis ? demanda Elayne. Si tu veux me parler, sors ce truc de ta bouche. Avec, tu produis des borborygmes répugnants.

Nynaeve s’essuya le menton et regarda derrière elle. Assise en tailleur sur sa couchette, la Fille-Héritière était en train de natter ses cheveux teints en noir. Elle portait déjà ses collants blancs à paillettes et un chemisier de la même couleur au col de dentelle que n’importe qui aurait jugé trop révélateur. À côté d’elle reposait sa veste blanche également à paillettes. Comme Nynaeve, elle disposait de deux tenues de scène et une troisième était en fabrication. Mais au moins, dans son cas, le blanc était de rigueur, à défaut de la décence…

— Si tu t’habilles de cette façon, Elayne, tu ne devrais pas être assise ainsi. C’est impudique.

La Fille-Héritière se rembrunit, mais elle consentit cependant à déplier ses jambes et à poser les pieds par terre.

— Je pense que je vais faire un tour en ville, ce matin, dit-elle en pointant le menton, à la fois hautaine et détachée. Dans cette roulotte, je me sens en prison.

Nynaeve se rinça la bouche et cracha dans une cuvette. Sans chercher à ne pas faire de bruit. De jour en jour, la roulotte devenait de fait de plus en plus petite. Se montrer le moins possible était peut-être une bonne idée – d’autant qu’elle venait de Nynaeve, qui commençait à regretter son initiative – mais là, ça tournait au ridicule. Ces trois jours passés enfermée avec Elayne, sauf quand elles allaient faire leur numéro, avaient tendance à ressembler à trois semaines. Ou à trois mois. Jusque-là, Nynaeve n’avait jamais mesuré à quel point la langue de la Fille-Héritière pouvait être acérée. Il fallait qu’un bateau arrive. N’importe lequel ! Pour qu’il y en ait un aujourd’hui, l’ancienne Sage-Dame aurait donné toutes les pièces cachées dans le poêle, et les bijoux avec.

— C’est sûr, tu n’attirerais pas l’attention… Mais un peu d’exercice ne ferait pas de mal à ta cellulite. À moins que ces collants soient un peu trop moulants, au contraire…