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Galad eut un regard dubitatif pour Thom et ses cheveux blancs. Il parut moins inquiet quand il étudia Juilin – même mal en point, le Tearien semblait assez robuste pour enfoncer des piquets à coups de poing. Enfin, le demi-frère d’Elayne se tourna vers Uno :

— Où est ton ami ? Une épée de plus nous sera utile, jusqu’à ce que nous ayons rejoint mes hommes.

Uno eut un sourire mauvais. À l’évidence, les deux hommes ne s’appréciaient pas davantage que lors de leur première rencontre.

— Il n’est pas loin… Et pas tout seul, je crois… Je conduirai ces femmes au bateau, si tes gars sont capables de le conserver. Et même dans le cas contraire.

Elayne voulut parler mais Nynaeve la devança :

— Arrêtez, tous les deux !

La Fille-Héritière aurait sans doute refait le coup de la douceur. Qui aurait peut-être marché, mais l’ancienne Sage-Dame avait besoin de se défouler un peu.

— Il va falloir faire vite.

Quand elle avait désigné la même cible à deux fous, elle aurait dû deviner ce qui se passerait s’ils l’atteignaient tous les deux.

— Uno, allez chercher vos hommes, et plus vite que ça.

Le vétéran tenta de dire qu’ils attendaient déjà à l’autre bout de la ménagerie, mais Nynaeve lui riva le bec. Deux fous, oui ! Et même plus que ça, car tous les hommes l’étaient !

— Galad, tu…

— Branle-bas de combat ! cria soudain une voix.

C’était Luca, qui boitillait entre les chariots, une méchante ecchymose sur la joue. Sa cape rouge crottée et déchirée témoignait que Thom et Juilin n’étaient pas les seuls à avoir fait un tour en ville.

— Brugh, va dire aux hommes de peine d’attacher les attelages. Il va falloir abandonner le chapiteau. (Un sacrifice qui fit grimacer ce radin invétéré.) Nous devrons être en route dans une heure. Andaya, Kuan, réveillez vos sœurs ! Tirez du lit tous ceux qui dorment encore, et si des gens sont en train de se laver, dites-leur de s’habiller sales ou de rester nus. Vite ! Sauf si vous avez envie de jurer fidélité au Prophète et de fondre sur l’Amadicia avec lui. Chin Akima y a déjà perdu la tête – au sens propre – tout comme la moitié de ses artistes. Sillia Cerano et une dizaine des siens ont été fouettés pour lenteur excessive. On se bouge !

Vu la longueur de la tirade, tout le monde était déjà en mouvement, à part les gens réunis autour de la roulotte de Nynaeve.

Luca ralentit son pas boitillant lorsqu’il aperçut Galad. Et Uno, même s’il l’avait déjà vu deux fois auparavant.

— Nana, je veux te parler en privé.

— Nous n’irons pas avec toi, maître Luca.

— J’ai dit : en privé !

Le patron de la ménagerie prit Nynaeve par le bras et la tira à l’écart.

Se tournant pour dire aux autres de ne pas s’en mêler, l’ancienne Sage-Dame constata qu’ils n’en avaient pas l’intention. Alors qu’Elayne et Birgitte se dirigeaient vers la cloison de toile qui entourait la ménagerie, les quatre hommes, en grande conversation, regardaient à peine Luca et sa « prisonnière ». Digne de ces sacrés bonshommes ! Voir une femme se faire enlever et ne pas broncher !

Nynaeve se dégagea et marcha à côté de Luca, le bruissement rythmé de la robe de soie exprimant son profond déplaisir.

— Tu veux ton argent, puisque nous partons. C’est ça ? Eh bien, tu l’auras. Cent couronnes d’or. Encore que nous mériterions une réduction pour la roulotte et les chevaux que nous te laissons. Plus une prime pour nos contributions. Car nous avons attiré le chaland ! Morelin et Juilin avec leurs voltiges, moi en servant de cible et Thom…

— Tu crois que je veux mes sous, femme ? Si c’était le cas, je les aurais demandés le jour où nous avons traversé le fleuve. L’ai-je fait ? T’es-tu inquiétée de savoir pourquoi ?

Par réflexe, Nynaeve s’arrêta, recula d’un pas et croisa les bras sous sa poitrine – une initiative qu’elle regretta immédiatement, car cette posture mettait encore plus en valeur ce qu’elle ne tenait justement pas à exhiber. Entêtée, elle laissa ses bras où ils étaient. Horriblement gênée, elle n’avait pas la moindre intention de laisser Luca s’en apercevoir. Étonnamment, les yeux de l’homme restèrent rivés dans les siens. Était-il malade ? Jusque-là, il n’avait jamais raté une occasion de lorgner son décolleté. Luca Valan se désintéressant de sa poitrine et des couronnes d’or ?

— Si ce n’est pas l’argent, pourquoi veux-tu me parler ?

— Sur le chemin qui me ramenait de la ville, dit Luca en rejoignant la jeune femme, je n’ai cessé de penser que tu allais partir.

Nynaeve refusa de reculer de nouveau, même quand il fut tout près d’elle, la dominant de toute sa hauteur et le regard étrangement brillant.

— Nana, je ne sais pas ce que tu fuis… Par moments, je suis parvenu à croire à ton histoire. Morelin a quelque chose d’une noble dame, c’est certain. Mais toi, tu n’as jamais été sa servante. Ces derniers jours, je m’attendais presque à vous voir vous crêper le chignon en vous roulant dans la poussière. Avec Maerion pour faire la troisième…

Luca dut voir passer quelque chose sur le visage de Nynaeve, car il se racla la gorge et accéléra le rythme :

— Voici où je veux en venir : quelqu’un d’autre pourra se faire tirer dessus par Maerion. Tu cries si bien qu’on te croirait terrifiée pour de bon, mais…

Luca se racla de nouveau la gorge et recula d’un pas.

— Je voudrais que tu restes, voilà ce que j’essaie de dire. Le monde est vaste, et des milliers de villes attendent des troupes comme la mienne. Si tu es avec moi, tes poursuivants ne te retrouveront pas. Quelques artistes d’Akima et de Sillia – ceux qui n’ont pas été chassés de l’autre côté du fleuve – vont se joindre à moi. Ma ménagerie sera la plus formidable que le monde ait connue.

— Rester ? Pourquoi ferais-je ça ? Je te l’ai dit dès le début, nous voulons atteindre le Ghealdan, et rien n’a changé.

— Pourquoi tu resterais ? Eh bien, pour devenir la mère de mes enfants, pardi ! (Luca prit une main de Nynaeve entre les siennes.) Nana, mon âme se noie dans tes yeux et tes lèvres embrasent mon cœur… Quand je vois tes épaules, je…

— Tu veux m’épouser ? coupa Nynaeve, incrédule.

— T’épouser ? (Luca cligna des yeux.) Eh bien… hum… ça va de soi, non ? (Reprenant de l’assurance, il porta à ses lèvres les doigts de la jeune femme.) Nous nous unirons dans la première ville où ce sera possible. Tu es la première femme dont je demande la main, sais-tu ?

— Je n’arrive pas à y croire… (Non sans peine, Nynaeve se força à libérer sa main.) Je suis très flattée, maître Luca, mais…

— Valan, Nana. Appelle-moi Valan !

— Mais je dois refuser, car je suis engagée avec quelqu’un d’autre.

En un sens, c’était la stricte vérité. Lan Mandragoran pensait peut-être que la chevalière n’était qu’un cadeau, mais elle voyait les choses autrement.

— Et je vais partir.

— Je devrais t’emballer dans de la soie et t’emmener avec moi. (La poussière et les accrocs gâchèrent un peu les effets de cape de Luca.) Avec le temps, tu finirais par oublier mon rival.

— Essaie ça, et Uno, sur ma demande, te fera regretter de ne pas avoir été transformé en chair à saucisse.

Cette menace découragea à peine le crétin romantique. Agacée, Nynaeve lui enfonça un index dans la poitrine.

— Valan Luca, tu ne me connais pas. Et tu ne sais rien de moi. Mes poursuivants, ceux que tu traites par-dessus la jambe, t’écorcheraient vif et feraient danser ton squelette – s’ils se limitaient à ça, tu pourrais t’estimer satisfait. Je dois partir, et je n’ai pas le temps de t’écouter divaguer. Non, plus un mot ! Ma décision est prise, tu ne la changeras pas, alors, économise ta salive.

Luca soupira à pierre fendre.

— Nana, tu es la seule femme qui compte pour moi. Les oies blanches, avec leurs soupirs pudiques, ne sont pas faites pour moi. Quand il s’approche de toi, un homme digne de ce nom sait qu’il va devoir traverser un rideau de flammes et dompter une lionne à mains nues. Chaque jour une nouvelle aventure, et chaque nuit… (Luca eut un sourire qui faillit lui valoir une paire de claques.) Je te retrouverai, Nana, et tu me choisiras. Je le sais au fond de mon cœur. (Pour en témoigner, il se tapa sur le côté gauche de la poitrine.) Et toi aussi, mon adorée, tu le sens au fond de ton être.