Выбрать главу

Cesse de te comporter comme une idiote ! Ce sceau maintient fermée la prison du Ténébreux. Ne lâche pas la bonde à tes fantaisies !

Nynaeve laissa pourtant tomber la bourse, comme un rat crevé, sur une des robes écarlates que Luca avait fait confectionner. Puis elle l’en enveloppa et noua le tout avec une hâte suspecte. Le paquet de soie trouva sa place au milieu d’un tas de vêtements qu’elle emporterait, sa cape de voyage transformée provisoirement en ballot. La distance, si minime fût-elle, suffit à éliminer la sensation de malaise due au disque. Bizarrement, Nynaeve eut toujours autant envie de se laver les mains. Pour être sereine, il aurait fallu qu’elle ignore la présence de l’artefact. Quelle idiote elle faisait ! Elayne se serait moquée d’elle, tout comme Birgitte. Et à juste titre.

En réalité, ses vêtements tenaient dans deux ballots, et elle regrettait le moindre fil qu’elle était obligée d’abandonner. Même la robe de soie bleue outrageusement décolletée. Non qu’elle ait eu l’intention de porter de nouveau une telle tenue – l’écarlate, elle n’avait plus l’intention de la toucher avant de pouvoir la remettre à une Aes Sedai, à Salidar – mais elle ne pouvait s’empêcher d’additionner le prix des vêtements, des montures et des divers véhicules qu’Elayne et elle avaient laissés en arrière depuis leur départ de Tanchico. Sans parler du tout premier chariot et des tonneaux de teinture. Elayne elle-même aurait fait la moue, si elle avait daigné penser à ce genre de chose. Mais elle considérait que l’argent tombait du ciel, ou que les bourses n’étaient jamais vides quand elle avait besoin d’y puiser de l’argent.

L’ancienne Sage-Dame finissait son second ballot de vêtements lorsque la Fille-Héritière revint et, sans un mot, se débarrassa des paillettes pour enfiler une robe de soie bleue. Sans un mot, certes, mais non sans râler quand il lui fallut se tordre les bras pour fermer une multitude de boutons dans son dos. Nynaeve l’aurait volontiers aidée, si la future reine le lui avait demandé. Comme ce n’était pas le cas, l’ancienne Sage-Dame observa attentivement sa compagne, pendant qu’elle se changeait, en quête de horions ou d’ecchymoses. Un peu plus tôt, entendant un cri, elle s’était demandé si Elayne et Birgitte en étaient enfin venues aux mains.

Constatant que la Fille-Héritière était indemne, Nynaeve ne sut pas trop si elle devait s’en réjouir ou non. En un sens, un bateau était un endroit aussi clos qu’une roulotte, et la croisière n’aurait rien de plaisant si les deux chipies se sautaient tout le temps à la gorge. Une bonne bagarre les aurait au moins calmées pour un moment…

En faisant ses bagages, Elayne ne desserra pas les lèvres, même quand Nynaeve lui demanda – fort aimablement – où elle était partie au pas de course, pressée comme si elle venait de s’asseoir sur des chardons. En revanche, comme si elle occupait déjà le trône de sa mère, la future tête couronnée pointa le menton et gratifia sa compagne d’un regard glacial.

Parfois, les silences d’Elayne en disaient beaucoup plus long que ses discours. Quand elle trouva les trois bourses restantes, elle marqua une pause avant de les prendre, et la température baissa très nettement dans la roulotte. Pourtant, ces bourses étaient tout simplement la part de la Fille-Héritière. Fatiguée de s’entendre critiquer au sujet de sa « radinerie », Nynaeve jubilait à l’idée de voir Elayne blêmir un peu plus chaque fois que l’argent lui coulerait entre les doigts comme du sable. Ainsi, elle finirait peut-être par comprendre que leurs ressources n’étaient pas inépuisables.

Puis Elayne s’aperçut que l’anneau de pierre n’était plus dans la cachette, contrairement à la boîte noire. Soulevant le couvercle, elle fit la moue en étudiant les deux autres ter’angreal qu’elles transportaient depuis leur départ de Tear. Un petit disque de fer portant gravée sur chaque face une spirale très serrée et une plaque étroite d’environ cinq pouces de long, apparemment en ambre mais plus dure que de l’acier, sur laquelle était gravée une femme endormie. Les deux pouvaient servir à entrer dans le Monde des Rêves, mais beaucoup moins aisément qu’en ayant recours à l’anneau de pierre. Car pour les utiliser, il fallait canaliser des flux d’Esprit, le seul des Cinq Pouvoirs qu’il était possible de manier en dormant.

Puisqu’elle se chargeait de l’anneau, Nynaeve estimait équitable de laisser les deux autres ter’angreal à Elayne. Refermant le couvercle, cette dernière rangea la boîte au milieu de ses vêtements, avec la flèche d’argent – sans broncher ni lâcher un mot, mais certains silences avaient quelque chose d’explosif.

Elayne fit aussi deux ballots, mais beaucoup plus gros que ceux de Nynaeve. En fait, elle ne laissa rien, sauf les collants et les vestes à paillettes. L’ancienne Sage-Dame s’abstint de lui faire perfidement remarquer qu’elle avait oublié ces splendides tenues. Considérant la bouderie ambiante, c’eût été de bonne guerre, mais Nynaeve, elle, savait comment ramener l’harmonie entre les êtres. Par exemple, elle se limita à un soupir typiquement féminin lorsque Elayne, très ostensiblement, ajouta l’a’dam à ses affaires. À la réaction de la Fille-Héritière – pour un seul soupir ! – on aurait pu croire que Nynaeve avait passé sa journée à émettre des objections virulentes. En conséquence, quand les deux femmes quittèrent la roulotte, leur silence glacial aurait pu être pilé pour servir à rafraîchir du vin.

Bien entendu, les hommes attendaient, déjà prêts. Et comme de juste, ils marmonnaient entre eux et jetèrent des regards impatients aux deux femmes. Encore un déni de justice ! Pour commencer, Galad et Uno n’avaient rien eu à préparer. Quant à Thom et Juilin, à part ses instruments pour l’un et ses armes pour l’autre, ils transportaient des ballots si minuscules qu’il avait dû leur falloir cinq minutes pour les faire. Ces sacrés bonshommes, parfaitement disposés à porter les mêmes vêtements jusqu’à ce qu’ils aient fini de pourrir sur leur dos !

Cela dit, Birgitte était prête aussi. Son arc à la main, un carquois à la hanche, elle avait posé à ses pieds un ballot à peine plus petit que ceux de la Fille-Héritière. Nynaeve n’aurait pas été surprise que les robes offertes par Luca soient à l’intérieur. En revanche, la tenue de l’héroïne l’étonna beaucoup. L’espèce de jupe-culotte qu’elle portait ressemblait au pantalon bouffant qu’elle arborait dans le Monde des Rêves, n’étaient la couleur – vieil or plutôt que jaune – et les jambes non resserrées sur les chevilles. Et sa veste bleue était également d’une coupe qui rappelait quelque chose à Nynaeve.

D’où venaient ces vêtements ? Le mystère fut résolu quand Clarine arriva au pas de course, s’excusant d’avoir mis si longtemps, avec deux autres jupes et une veste supplémentaire que Birgitte ajouta dans son ballot.

Clarine s’attarda pour dire combien elle était désolée de les voir quitter la troupe. Elle ne fut pas la seule à délaisser un moment les préparatifs du départ pour venir faire ses adieux aux cinq « artistes ».

Après leur avoir offert deux boîtes de ses excentriques « allumettes », ou quel que soit le nom qu’elle leur donnait, Aludra leur souhaita bon voyage avec un accent du Tarabon à couper au couteau.

Avec un soupir, Nynaeve rangea dans son sac de cuir l’embarrassant cadeau. Alors qu’Elayne avait poussé les boîtes précédentes au fond de l’étagère, derrière des sacs de haricots, agissant dans le dos de Nynaeve, cette dernière avait pris garde à les « oublier » quand elle avait inspecté une dernière fois la roulotte.

Faisant mine de ne pas voir l’air inquiet de sa femme, Petra proposa d’escorter le petit groupe jusqu’au fleuve. Les Chavana et les jongleurs, Kin et Bari, offrirent de venir aussi. Mais si Petra se rembrunit quand Nynaeve affirma que ce n’était pas la peine – très vite, car Galad, Thom, Juilin et Uno semblaient disposés à accepter des renforts –, tous les autres eurent du mal à dissimuler leur soulagement.