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— Nynaeve, as-tu réfléchi à la façon dont on va nous recevoir ?

Étonnée, l’ancienne Sage-Dame se tourna vers Elayne. Ensemble, elles avaient traversé la moitié du monde et vaincu deux fois l’Ajah Noir. Avec un peu d’aide à Tear, mais à Tanchico, tout le mérite leur revenait. En plus, elles apportaient des nouvelles d’Elaida et de la tour que personne ne devait connaître à Salidar. Enfin, et c’était le plus important, elles pouvaient mettre les sœurs en contact avec Rand.

— Je ne suis pas sûre qu’elles nous fassent un triomphe, mais je parie qu’elles nous auront embrassées avant la fin de la journée.

Ne serait-ce que pour l’occasion de contacter Rand…

Alors que deux matelots aux pieds nus avaient plongé dans l’eau pour retenir le canot, Juilin et les cinq guerriers en descendirent. Aussitôt, les deux marins sautèrent dans l’embarcation. Sur l’Anguille, on était déjà en train de remonter l’ancre.

— Ouvrez-nous le chemin, Uno, dit Nynaeve. Je veux être arrivée avant la nuit.

Selon Neres, le village était à trois quarts de lieue de là. Dans une telle forêt, ça impliquait de marcher jusqu’au crépuscule. Si le capitaine ne les avait pas envoyés sur une fausse piste. Une possibilité qui angoissait beaucoup Nynaeve.

50

Enseigner et apprendre

Environ quatre heures plus tard, alors que la sueur ruisselant sur son front n’avait qu’un lointain rapport avec l’écrasante chaleur, Nynaeve en était au contraire à se demander s’il n’aurait pas mieux valu que Neres leur ait menti. Ou qu’il ait refusé de les transporter plus loin que Boannda.

Dans la salle aux fenêtres presque toutes fendues, l’ancienne Sage-Dame serrait nerveusement le devant de sa robe en essayant de ne pas regarder les six Aes Sedai rassemblées autour d’une table massive, près d’un mur. Protégées par un bouclier de saidar, elles conversaient sans que quiconque pût entendre ce qu’elles disaient. Les mains croisées à la hauteur de la taille, Elayne pointait le menton, mais ses yeux et sa bouche légèrement plissés gâchaient une bonne partie de l’effet.

Après qu’une série de mauvais coups eut réduit à néant presque tous ses espoirs, Nynaeve n’était plus très sûre d’avoir envie de savoir ce que se disaient les sœurs. Une surprise désagréable de plus, et elle craignait de se mettre à hurler – pas de rage, mais tout simplement d’énervement.

À l’exception de leurs vêtements, presque toutes les possessions de l’ancienne Sage-Dame et de sa compagne reposaient sur la sinistre table – oui, depuis la flèche d’argent de Birgitte, posée devant Morvrin, jusqu’aux trois ter’angreal que Sheriam était en train d’étudier tandis que Myrelle s’intéressait aux coffrets dorés. Et aucune des six femmes ne semblait bien disposée. Carlinya avait les traits figés comme ceux d’une statue ; Anaiya, d’habitude si maternelle, faisait grise mine ; et Beonin, en plus de son air éternellement étonné, paraissait très nettement contrariée. Et même un peu plus que ça. De temps en temps, elle faisait mine de vouloir toucher le carré de tissu blanc qui recouvrait le sceau en cuendillar, mais elle retirait toujours sa main au dernier moment.

Nynaeve détourna les yeux du morceau de tissu. Elle savait très exactement à quel moment les choses avaient mal tourné. Dans la forêt, les Champions qui les avaient encerclés s’étaient montrés courtois, mais pas amicaux, une fois qu’elle avait ordonné à Uno et à ses hommes de rengainer leur épée. Plus tard, l’accueil de Min avait été franchement chaleureux. Mais les Aes Sedai et les autres personnes qui allaient et venaient dans les rues avaient pressé le pas sans accorder plus d’un regard au petit groupe de nouveaux venus escortés par des Champions.

Salidar était bondé, et des hommes armés s’entraînaient un peu partout. Dans cette atmosphère tendue, la première personne à s’intéresser aux visiteurs, à part les Champions et Min, avait été la mince sœur marron devant laquelle on les avait conduits, dans ce qui était jadis la salle commune de cette auberge.

Nynaeve et Elayne avaient raconté à Phaedrine Sedai l’histoire qu’elles avaient peaufinée ensemble. Enfin, elles avaient essayé. Au bout de cinq minutes, l’Aes Sedai les avait abandonnées avec ordre de ne pas bouger et interdiction de parler, même entre elles. Après dix minutes passées à se regarder avec stupéfaction tandis que s’agitaient autour d’elles des Acceptées, des novices tout de blanc vêtues, des Champions, des serviteurs et des soldats – toute cette activité étant orientée vers les tables où des sœurs étudiaient des documents et criaient des ordres –, Nynaeve et Elayne avaient été escortées dans une pièce attenante à la salle commune, pour comparaître devant Sheriam et les cinq autres – « escortées » si promptement que l’ancienne Sage-Dame n’aurait pas juré que ses pieds étaient encore en contact avec le sol.

L’interrogatoire avait commencé sans autre forme de procès. Un accueil bien plus adapté à des prisonnières qu’à des héroïnes, il fallait bien l’avouer.

Nynaeve se tamponna le visage avec son mouchoir. Dès qu’elle eut fini, sa main revint automatiquement torturer le devant de sa robe.

Elayne et elle n’étaient pas seules à attendre sur le tapis de soie. En robe bleue très ordinaire, Siuan était là aussi. De sa propre volonté ? On aurait pu le penser, à voir son calme souverain, mais Nynaeve n’était pas dupe. Alors que Siuan semblait perdue dans ses pensées, Leane regardait les Aes Sedai, mais elle aussi paraissait sereine et sûre d’elle. En fait, il émanait d’elle plus de confiance que dans le souvenir de l’ancienne Sage-Dame. Et la femme au teint cuivré paraissait aussi plus gracieuse et plus… ondulante. Peut-être à cause de sa tenue scandaleuse. Car si elle n’était pas plus décolletée que celle de Siuan – à savoir, pas du tout – sa robe de soie verte moulante, pas transparente mais pas vraiment opaque non plus, mettait en valeur chacune de ses courbes. Le plus étonnant, cependant, restait le visage de ces deux femmes. Déjà stupéfaite de les découvrir encore en vie, Nynaeve n’en revenait pas de les voir paraître si jeunes – à peine plus vieilles qu’elle de quelques années. À part ça, elles évitaient de se regarder, comme si elles étaient en froid.

Il y avait quelque chose d’autre de nouveau chez elles. Un changement que Nynaeve commençait à peine à identifier. Si tout le monde, y compris Min, avait été vague sur la question, nul n’avait tenté de nier que les deux femmes avaient été calmées. Et on sentait qu’il leur manquait quelque chose. Peut-être parce qu’elle était dans une pièce à part ça remplie de femmes capables de canaliser le Pouvoir, ou au contraire parce qu’elle savait ce qui était arrivé à Siuan et à Leane, Nynaeve, pour la première fois, avait conscience du potentiel d’Elayne et des sœurs présentes. Et de son absence chez Siuan et Leane. Oui, on leur avait arraché quelque chose, et il leur restait une plaie béante. Peut-être la plus grave dont une femme puisse être affligée.

La curiosité prenant le pas sur l’inquiétude, Nynaeve se demanda à quoi ressemblait cette plaie. Et que leur avait-on arraché ? Puisqu’elle avait du temps à perdre, et assez de colère en elle pour canaliser, la jeune femme décida de mener ses propres investigations.

— Quelqu’un t’a autorisée à canaliser le Pouvoir, Acceptée ? lança Sheriam.

Nynaeve sursauta et se coupa aussitôt de la Source Authentique.

Sheriam guida les cinq autres sœurs jusqu’à des chaises installées en demi-cercle d’où on avait une vue imprenable sur les quatre femmes debout au milieu du tapis. Certaines Aes Sedai ayant entre les mains un objet pris sur la table, toutes s’assirent, le regard rivé sur Nynaeve. Bien entendu, aucune ne transpirait ni ne semblait même consciente de la chaleur.