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— Trois…, répondit Anaiya, hésitante. Trois sceaux résistent encore. S’il ne nous manque pas des informations. Prions pour que ce soit le cas, et pour que trois soient suffisants.

— Et pour que ces trois-là soient plus solides que celui-ci, marmonna Morvrin. Le cuendillar ne peut pas se briser ainsi – non, il ne peut pas être du cuendillar et se casser !

— Nous en parlerons le moment venu, dit Sheriam. Après avoir évoqué des sujets plus terre à terre sur lesquels nous avons une influence. (Elle prit à Beonin le carré de tissu blanc et le reposa sur le sceau.) Siuan et Leane, nous avons arrêté une décision concernant… (Elle se tut, se retourna et avisa les deux Acceptées.) Que fichez-vous encore ici ?

Malgré son calme apparent, qu’elle ait oublié la présence des deux jeunes femmes montrait à quel point Sheriam était troublée.

Se fendant d’une nouvelle révérence, Nynaeve bafouilla un « à vos ordres, Aes Sedai » et se précipita vers la sortie. Sans broncher, les sœurs, Leane et Siuan la regardèrent s’en aller, Elayne sur les talons – elle aussi pressée de filer, mais en prenant quand même le temps de jeter un dernier coup d’œil à l’a’dam.

Quand Nynaeve eut refermé la porte, s’adossant au battant pour plus de sécurité, un coffret doré serré contre sa poitrine, elle respira librement pour la première fois depuis qu’elle était entrée dans l’auberge devenue le quartier général des Aes Sedai. Elle refusait de penser au sceau brisé. Un autre sceau brisé. Non, elle ne devait pas y penser…

Les Aes Sedai auraient pu tondre des moutons simplement en les regardant. Si elle n’avait pas eu la certitude qu’elle serait au milieu, Nynaeve aurait attendu avec impatience la première rencontre entre ces sœurs et les Matriarches.

Quand elle était arrivée à la tour, prendre l’habitude d’obéir, voire de courber l’échine, n’avait pas été facile. Après de longs mois passés à donner des ordres – non sans avoir consulté Elayne, la plupart du temps – elle ne voyait pas comment elle allait pouvoir recommencer à jouer les carpettes devant les sœurs.

Avec son plafond replâtré à la hâte et ses cheminées éteintes menaçant de s’écrouler, la salle commune de l’auberge restait une ruche grouillante d’activité, comme lorsqu’elle l’avait traversée pour gagner la pièce du fond. Personne ne lui accordant la moindre attention, l’ancienne Sage-Dame rendit la pareille à tous ces braves gens.

Une petite foule les attendait, Elayne et elle. Assis sur un banc et adossés au mur effrité, Thom et Juilin étaient en grande conversation avec Uno, qui s’était accroupi devant eux, la longue poignée de son épée dépassant de ses épaules. Étonnées par tout ce qu’elles voyaient mais s’efforçant de ne pas le montrer, Areina et Nicola occupaient un autre banc avec Marigan, qui regardait Birgitte, occupée à tenter de dérider Jaril et Seve en jonglant très maladroitement avec trois des balles de couleur de Thom. Agenouillée derrière les petits garçons, Min les chatouillait et leur murmurait à l’oreille, mais ils restaient de marbre, regardant le monde avec des yeux bien trop grands pour leur âge.

À part les deux Acceptées et leurs compagnons, deux personnes seulement ne couraient pas en tous sens. À quelques pas des bancs, deux des trois Champions de Myrelle, adossés au mur près de la porte donnant sur les cuisines, conversaient sereinement. Il s’agissait de Croi Makin, un jeune colosse blond d’Andor au profil parfait de statue, et d’Avar Hachami, un type au menton carré et au nez aquilin arborant une moustache en tablier de sapeur. Avant même que son regard noir ne se soit posé sur lui, le faisant frissonner, pas un seul être pensant au monde n’aurait qualifié ce gaillard de « beau ».

Bien entendu, les deux Champions semblaient ne pas être conscients de la présence d’Uno, de Thom ou de quiconque d’autre pouvant être suspect. Par le plus grand des hasards, ils n’avaient rien à faire – eux seuls dans tout le village – et ils avaient choisi cet endroit précis pour se prélasser. Ben voyons !

Quand elle vit Nynaeve et Elayne, Birgitte laissa échapper une de ses balles.

— Que leur avez-vous dit ? demanda-t-elle en baissant brièvement les yeux sur la flèche d’argent que brandissait Elayne.

L’héroïne portait son carquois à la ceinture, mais son arc était appuyé contre le mur.

En approchant, Nynaeve prit soin de ne jamais tourner la tête vers Makin et Hachami. Puis elle baissa la voix, et dit calmement :

— Nous avons répondu à toutes leurs questions.

— Elles savent que tu es une bonne amie à nous qui nous as aidées, dit Elayne en serrant le bras de l’archère. Tu es la bienvenue ici, tout comme Areina, Nicola et Marigan.

Voyant Birgitte se détendre un peu, Nynaeve mesura à quel point elle avait dû être angoissée. Se penchant pour ramasser la balle jaune qu’elle avait laissée tomber, l’héroïne lança ensuite les trois à Thom, qui les réceptionna d’une seule main et les fit disparaître en un éclair.

Birgitte s’autorisa un petit sourire de soulagement.

— Je ne saurais vous dire à quel point je suis contente de vous revoir, toutes les deux ! lança Min pour la quatrième ou cinquième fois.

Formant toujours une sorte de bonnet noir autour de sa tête, ses cheveux étaient plus longs que naguère, et elle avait changé d’une manière que Nynaeve ne parvenait pas à définir, même si elle l’avait remarquée du premier coup d’œil. Détail surprenant, des fleurs récemment brodées décoraient les revers de sa veste.

— Les visages amicaux sont plutôt rares, par ici… (Min jeta un regard furtif aux deux Champions.) Nous devrions trouver un coin tranquille et discuter un peu. J’ai hâte de savoir ce que vous avez fait depuis votre départ de Tar Valon.

Et de raconter ce qu’elle avait fait de son côté, devina Nynaeve.

— J’aimerais aussi beaucoup te parler, dit Elayne d’un ton grave.

Min la regarda, soupira et acquiesça, mais avec moins d’enthousiasme qu’une minute auparavant.

Thom, Juilin et Uno vinrent se camper derrière Min et Birgitte. Affichant l’expression typique des hommes s’apprêtant à dire quelque chose qu’une femme, selon eux, détesterait entendre, ils n’eurent pas le temps d’ouvrir la bouche, car une Acceptée aux cheveux bouclés passa entre le pisteur de voleurs et le vétéran du Shienar, en les foudroyant du regard, et s’immobilisa devant Nynaeve.

Si elle portait bien sept bandes de couleur à l’ourlet, pour symboliser les Ajah, la robe de Faolain ne gardait qu’un très vague souvenir de sa blancheur originelle, et la jeune femme au teint foncé semblait dans de mauvaises dispositions.

— Tu fais toujours cailler le lait pour t’amuser, Faolain ? demanda Elayne, caustique.

Nynaeve conserva une expression bienveillante. Enfin, à peu près… En deux occasions, à la tour, Faolain avait été désignée pour lui enseigner quelque chose. En réalité, pour la remettre à sa place, car même quand l’élève et l’enseignante étaient des Acceptées, la seconde bénéficiait de l’autorité d’une Aes Sedai – et Faolain ne s’était pas privée d’en jouer. Après huit années de noviciat et cinq dans la peau d’une Acceptée, elle n’avait pas apprécié du tout que Nynaeve ait « sauté » le noviciat, tout simplement, et qu’Elayne soit passée au niveau supérieur en moins d’un an. Les deux leçons s’étaient soldées pour Nynaeve par un passage dans le bureau de Sheriam afin de répondre des accusations d’insubordination, de mauvaise humeur délibérée, de… bref, une liste longue comme le bras de transgressions.

— J’ai entendu dire que Siuan et Leane ont été maltraitées par quelques personnes, fit Nynaeve d’un ton presque joyeux. Et je crois que Sheriam a l’intention de faire un exemple afin de mettre un terme à ces débordements.