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Elayne eut un des fameux soupirs, mais elle parvint à parler d’un ton dégagé :

— Ne te mets donc pas martel en tête ! Nous avons une autre sœur, toi et moi. Tu ne l’as jamais rencontrée, mais Aviendha garde l’œil et le bon sur Rand, et il ne peut pas faire dix pas sans son escorte de Promises de la Lance.

Une Cairhienienne ? Au moins, Elayne connaissait Berelain. Sur elle, elle avait des informations, et… Non, elle n’allait pas se ronger les sangs comme une gamine idiote ! Une adulte prenait le monde comme il était et en tirait le meilleur.

Mais qui était-ce donc ?

Les deux femmes arrivèrent dans une cour à ciel ouvert au sol couvert de cendres froides. De grands chaudrons à la couleur passée, là où on avait enlevé la rouille, étaient disposés tout au long du mur circulaire défoncé en plusieurs endroits par les arbres qui poussaient à l’extérieur. Alors qu’on n’y voyait presque plus, deux chaudrons continuaient à reposer au-dessus d’un feu et trois novices, les cheveux poisseux de sueur et les jupes relevées, étaient encore penchées sur des planches à laver immergées dans de grands baquets d’eau savonneuse.

Elayne jeta un coup d’œil aux chemises pliées sur le bras de Min, puis elle s’unit au saidar.

— Laisse-moi te donner un coup de main.

Canaliser le Pouvoir quand on avait écopé d’une corvée était interdit – les bienfaits de l’effort physique, affirmaient les Aes Sedai – mais cette règle ne s’appliquait pas en l’occurrence. Si Elayne tordait et retordait les chemises dans l’eau comme il le fallait, pourquoi Min aurait-elle dû se mouiller les mains ?

— Raconte-moi tout. Siuan et Leane ont-elles tant changé que ça ? Et comment es-tu arrivée ici ? Logain y est-il pour de bon ? Et que signifie cette histoire de blanchisseuse ? Je veux tout savoir.

Min parut ravie de pouvoir changer de sujet.

— Pour ça, il faudrait une semaine… Mais je vais essayer. Pour commencer, j’ai aidé Siuan et Leane à s’évader de la cellule où Elaida les avait fait enfermer. Ensuite…

Non sans émettre les exclamations requises aux moments idoines du récit de Min, Elayne recourut à un tissage d’Air pour faire léviter un des chaudrons encore posés sur des flammes. Habituée à accomplir des exploits que certaines Aes Sedai auraient été incapables d’imiter, elle ne remarqua même pas le regard stupéfié des novices.

Qui était la troisième femme ? Aviendha avait sacrément intérêt à être vigilante !

51

Des nouvelles arrivent à Cairhien

Alors qu’un filet de fumée bleue montait du fourneau de son brûle-gueule des plus ordinaires, Rand, une main posée sur la balustrade de pierre, contemplait le jardin, au-dessous du balcon. Tandis que les ombres s’allongeaient, le soleil ressemblait à une boule rougeoyante sombrant dans un ciel sans nuages. Après dix jours passés à Cairhien, c’était en dehors du sommeil le premier moment de tranquillité de Rand. Selande se tenait près de lui, les yeux levés pour le regarder, car elle se fichait du jardin. Bien que sa coiffure fût moins élaborée que celle des dames de plus haut rang, elle la grandissait quand même d’une bonne tête.

Rand s’efforçait d’ignorer la jeune femme. Mais ce n’était pas facile, quand la personne en question insistait pour presser contre son bras sa poitrine remarquablement ferme. La réunion s’éternisant, il avait résolu de prendre une petite pause. Une erreur grossière, avait-il compris en voyant que Selande le suivait dehors.

— Je connais un étang très tranquille où nous pourrions avoir moins chaud, dit-elle. Un coin isolé où personne ne nous dérangera…

La musique de la harpe d’Asmodean montait des arches carrées, derrière eux. Un morceau léger et doux, pour une fois.

Rand tira un peu plus fort sur son brûle-gueule. La chaleur… Rien de comparable au désert des Aiels, mais… L’automne aurait dû être là, pourtant, cette fin d’après-midi était hautement estivale. Un été sans orages… Dans le jardin, des hommes en bras de chemise arrosaient les plantes, choisissant cette heure déjà tardive pour limiter l’évaporation de l’eau. Mais pas grand-chose n’y faisait, et tous les végétaux crevaient. Ce climat ne pouvait pas être naturel. En fait, le soleil brûlant narguait Rand. Moiraine et Asmodean partageaient cette opinion, mais aucun des deux ne savait que faire. Comme lui… En revanche, concernant Sammael, il avait sa petite idée.

— De l’eau fraîche, murmura Selande, et nous deux, enfin seuls…

Bien que ça parût difficilement possible, elle se serra encore plus contre lui.

Le jeune homme se demanda quand viendrait la prochaine provocation de Sammael. Quoi qu’il fasse, pas question de réagir sur un coup de tête. En revanche, lorsqu’il en aurait terminé avec son rassemblement méthodique, à Tear, il déchaînerait la foudre. Une frappe dévastatrice, pour en finir avec le Rejeté et ajouter l’Illian dans son escarcelle par la même occasion. Avec l’Illian, le pays de Tear, le Cairhien et une armée d’Aiels capable de conquérir n’importe quelle nation en quelques semaines, il…

— Vous n’aimeriez pas nager un peu ? demanda Selande. Moi, je me débrouille assez mal, mais vous pourriez m’apprendre.

Rand soupira. Un instant, il regretta qu’Aviendha ne soit pas là. Mais non, il aurait détesté que Selande, couverte de horions, s’enfuie en courant, ses vêtements déchirés…

Les yeux mi-clos, Rand baissa les yeux sur la jeune femme et parla sans retirer de sa bouche le tuyau du brûle-gueule :

— Je peux canaliser le Pouvoir…

Selande cilla et recula sans pourtant bouger un muscle. Les gens ne comprenaient jamais pourquoi il parlait de ça. Pour eux, c’était un sujet à occulter autant que possible.

— Il paraît que je vais devenir fou. Mais ce n’est pas encore fait. Enfin, je crois.

Rand gloussa un peu bêtement, puis il reprit son sérieux, le visage de marbre.

— T’apprendre à nager ? Je te ferai flotter avec le Pouvoir. Mais le saidin est souillé, sais-tu ? L’œuvre du Ténébreux ! Son contact… Tu ne t’en apercevras pas, cela dit. Ce sera tout autour de toi, mais tu ne sentiras rien.

Cette fois, Rand se fendit d’un ricanement sifflant. Les yeux ronds comme des soucoupes, Selande arborait désormais un rictus en guise de sourire.

— Plus tard, alors… Pour l’instant, je veux être seul pour penser à…

Rand se pencha comme s’il voulait embrasser sa compagne. Avec un petit cri, celle-ci se fendit d’une révérence si soudaine qu’il pensa d’abord que ses genoux s’étaient dérobés sous elle.

La jeune femme recula, s’inclinant à chaque pas, assura d’un ton proche de l’hystérie que le servir était un honneur – et son plus cher désir – et finit par se cogner le dos contre une des arches. Sur une dernière et hâtive génuflexion, elle battit en retraite à l’intérieur du bâtiment et disparut de la vue du jeune homme.

Avec une grimace, Rand se retourna vers la balustrade. Effrayer des femmes… Mais s’il lui avait simplement demandé de le laisser seul, Selande aurait pensé qu’il voulait seulement différer le moment de… Pour s’en débarrasser il aurait dû lui ordonner de rester à jamais hors de sa vue – et encore… Cette fois, l’histoire finirait peut-être par circuler. Il allait devoir mieux contrôler ses émotions. Ces derniers temps, il leur cédait un peu trop facilement les rênes. Ce devait être à cause de cette sécheresse contre laquelle il ne pouvait rien – de toute façon, partout où il regardait, les problèmes poussaient comme du chiendent. Allons, il allait s’accorder quelques instants de plus à tirer sur son brûle-gueule. Quel idiot accepterait de diriger une nation alors qu’il pouvait s’adonner à une occupation plus facile ? Par exemple, transporter de l’eau au sommet d’une colline avec une passoire.