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Le jeune homme entendait être présentable quand il tuerait Rahvin… Rien qu’à penser à cet instant, il sentit une bulle de rage monter de son estomac comme s’il était un chaudron en ébullition. Aussitôt, il se força au calme. Présentable et parfaitement calme, voilà ce qu’il devait être. Très froid, afin de ne pas commettre d’erreur.

Quand il se détourna du miroir au cadre doré, Rand constata qu’Aviendha était assise sur sa paillasse déroulée sous une tapisserie représentant des tours d’une hauteur impossible. Il lui avait proposé de faire installer un deuxième lit dans la chambre, mais les matelas, avait-elle répondu, étaient bien trop mous pour qu’on y dorme agréablement.

Sa combinaison de lin dans une main, la jeune Aielle fixait intensément Rand. Alors qu’il avait délibérément traîné pour se raser, histoire de lui laisser le temps de s’habiller, l’Aielle, à part ses bas blancs, était nue comme un ver.

— Je ne t’humilierai pas devant d’autres hommes, dit-elle soudain.

— M’humilier ? De quoi parles-tu ?

Aviendha se leva souplement. La peau presque laiteuse aux endroits où elle n’était pas exposée au soleil, la jeune femme mince et musclée était dotée de toutes les courbes et toutes les rondeurs requises pour hanter les rêves d’un homme, et ceux de Rand n’échappaient pas à la règle. C’était la première fois qu’il s’autorisait à la regarder ouvertement lorsqu’elle s’exhibait ainsi, et elle ne semblait pas s’en apercevoir. Mais ses grands yeux bleu-vert ne quittaient pas ceux du jeune homme.

— Je n’ai pas demandé à Sulin de choisir Enaila, Somara ou Lamelle, ce premier jour. Et je ne les ai pas priées non plus de garder un œil sur toi ou de faire quoi que ce soit si tu ne tenais pas le coup. Elles ont agi de leur propre initiative.

— Si je comprends bien, tu m’as seulement laissé croire qu’elles me porteraient comme un bébé si je flanchais. Une très mince nuance.

— Qui t’a permis d’être prudent quand ça s’imposait, fit Aviendha, l’ironie de Rand lui passant bien au-dessus de la tête.

— Je vois… Quoi qu’il en soit, merci de ta promesse de ne pas m’humilier.

L’Aielle sourit.

— Tu m’as mal comprise, Rand al’Thor. J’ai dit « pas devant d’autres hommes ». Dans d’autres circonstances, si c’est nécessaire pour ton propre bien…

— Tu as l’intention de venir comme ça ? demanda Rand, agacé, avec un grand geste balayant de la tête aux pieds la jeune femme.

Alors qu’elle n’avait jamais été le moins du monde gênée de se montrer nue devant lui – bien au contraire –, l’Aielle baissa les yeux sur son corps, les releva pour regarder Rand… et rougit comme une pivoine. En un éclair, elle s’enveloppa de laine ocre et d’algode blanc – pour s’habiller à une telle vitesse, songea même Rand, ne fallait-il pas recourir au Pouvoir ?

— As-tu tout mis au point ? demanda Aviendha au milieu de son tourbillon vestimentaire. Es-tu allé parler aux Matriarches ? Hier, tu es venu te coucher tard… Qui d’autre viendra avec toi ? Combien de personnes peux-tu emmener ? Pas de gens des terres mouillées, j’espère… On ne peut pas se fier à eux. Et surtout pas aux tueurs d’arbre. Tu peux vraiment nous transporter à Caemlyn en une heure ? C’est comme ce que j’ai fait la nuit où… ? Je veux dire : comment t’y prendras-tu ? Je n’aime pas confier ma vie à des choses que je ne comprends pas…

— Tout est au point, Aviendha…

Pourquoi jacassait-elle ainsi, évitant à présent de le regarder dans les yeux ? La veille, il avait rencontré Rhuarc et les autres chefs toujours dans le secteur. Sans vraiment aimer son plan, ils l’avaient vu sous l’angle du ji’e’toh et aucun n’avait émis la moindre objection. Après une brève conversation conclue par une approbation générale, ils étaient passés à autre chose. Rien qui eût un rapport avec les Rejetés, l’Illian ou même la guerre. Les femmes, la chasse, les mérites comparés de l’eau-de-vie du Cairhien et de l’oosquai ou du tabac des terres mouillées avec celui qui parvenait à pousser dans le désert. Pendant une heure, Rand avait presque oublié ce qui l’attendait.

Vraiment, il espérait que la Prophétie de Rhuidean se trompait et qu’il n’aurait pas à détruire ces hommes.

Bien entendu, alertée par Aviendha en personne, une délégation de plus de cinquante Matriarches – conduite par Amys, Melaine et Bair, ou peut-être plutôt par Sorilea – était venue le voir. Avec ces femmes, il n’était jamais simple de déterminer qui commandait qui. N’étant pas là pour tenter de le dissuader d’agir – le ji’e’toh, encore et toujours –, elles avaient tenu à s’assurer qu’il était conscient que ses obligations envers Elayne ne primaient pas ses engagements envers les Aiels. Avec leur ténacité habituelle, elles ne l’avaient pas lâché avant d’être satisfaites. Et s’il avait voulu briser là, Rand aurait dû les écarter une à une pour se frayer un chemin jusqu’à la porte. Quand elles l’avaient décidé, ces Aielles étaient aussi fortes pour ignorer les cris qu’Egwene, devenue une experte en la matière.

— Quand j’essaierai, nous verrons bien combien de gens je peux emmener. Que des Aiels, rassure-toi.

Avec un peu de chance, Meilan, Maringil et les autres ne s’apercevraient pas de son départ avant qu’il soit loin d’ici. Si la Tour Blanche avait des agents à Cairhien, rien n’empêchait que les Rejetés en aient aussi. De plus, comment aurait-il pu se fier à des gens qui ne pouvaient pas voir le soleil se lever, chaque matin, sans se demander si ça n’était pas susceptible de jouer en leur faveur dans la grande bataille du Daes Dae’mar ?

Le temps qu’il ait enfilé une veste rouge brodée de fil d’or – de la pure laine très adaptée à un palais royal, que ce soit à Caemlyn ou à Cairhien, une idée somme toute assez amusante, d’une assez sinistre façon –, Aviendha eut quasiment fini de se préparer. Comment pouvait-elle se vêtir si vite et être quand même tirée à quatre épingles ? Un mystère pour Rand.

— Au fait, une femme est venue hier pendant que tu étais absent.

Par la Lumière !

Rand avait complètement oublié dame Colavaere.

— Et qu’as-tu fait ?

Aviendha foudroya le jeune homme du regard, mais elle répondit d’un ton égal :

— Je l’ai raccompagnée dans sa chambre, où nous avons eu une longue conversation. Plus aucune garce de tueuse d’arbre ne viendra gratter au rabat de ta tente, Rand al’Thor.

— C’était exactement mon objectif. Mais que lui as-tu fait ? Aviendha, tu ne peux pas continuer à tabasser des dames. Ces gens m’ennuient assez sans que tu leur fournisses d’autres motifs.

L’Aielle haussa les épaules.

— Des dames ! Une femme est une femme, Rand al’Thor ! Sauf s’il s’agit d’une Matriarche… (Une précision judicieuse.) Celle-là aura du mal à s’asseoir, aujourd’hui, mais ses contusions sont faciles à cacher, et après une bonne journée de repos, elle pourra sans doute quitter la chambre. Et maintenant, elle sait à quoi s’en tenir. Si elle te fait encore le moindre ennui, j’ai promis de revenir « parler » avec elle. Beaucoup plus longtemps. Elle t’obéira et servira d’exemple aux autres. Les tueurs d’arbre ont besoin qu’on leur enfonce les idées dans le crâne.

Rand eut un soupir fataliste. Il n’aurait pas recouru à une telle méthode, mais ça pouvait fonctionner. Ou inciter dame Colavaere et tous les autres à se montrer encore plus sournois. Aviendha ne s’inquiétait sans doute pas des conséquences que ça pouvait avoir pour elle – en fait, il aurait été surpris qu’elle y ait même pensé – mais une Haute Chaire d’une maison puissante n’était pas la même chose qu’une jeune noble d’un rang bien inférieur. Quoi qu’il se passe pour lui, Aviendha risquait de se faire coincer dans un couloir obscur et de subir en dix fois pire ce qu’elle avait infligé à dame Colavaere – si les choses n’allaient pas encore plus loin.