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Exactement comme avait fait Moiraine.

— Il existe toujours des choix, Rand al’Thor. Tu en as un, et moi aussi. Le ji’e’toh n’autorise rien d’autre.

Rand eut envie d’exploser, vouant au Ténébreux le ji’e’toh et tous ceux qui y croyaient.

— Sélectionne des Promises, Sulin. J’ignore combien de gens je peux emmener avec moi, mais les Far Dareis Mai auront autant de représentantes que les autres ordres.

Rand passa devant la Promise, qui eut soudain un grand sourire. Pas de soulagement, mais de joie. Le plaisir de savoir qu’elle aurait une chance de mourir. Il aurait dû la laisser dans sa prison de saidin, puis régler le problème une fois qu’il serait revenu de Caemlyn.

Il ouvrit la porte, sortit… et s’immobilisa.

Enaila se tenait à la tête d’une longue file de Promises, toutes tenant trois lances à la main. Du seuil de la poivrière, cette colonne s’étirait jusqu’à l’arche la plus proche et devait continuer bien au-delà, dans les rues de la ville. Une partie des Aiels présents sur les quais regardaient les guerrières avec quelque étonnement. Mais il s’agissait d’une affaire entre le Car’a’carn et les Far Dareis Mai, et aucun autre ordre n’avait à s’en mêler.

Amys et trois ou quatre autres Matriarches qui avaient jadis porté les lances regardaient tout ça de plus près. À part quelques types qui essayaient de remettre debout des chariots à grain renversés, tous les citadins avaient jugé plus prudent de s’éclipser.

Enaila avança vers Rand, puis s’arrêta lorsqu’elle vit sortir Sulin. Bien entendu elle sourit – pas de soulagement, mais de joie. Toutes les autres Promises l’imitèrent, ainsi que le petit groupe de Matriarches. Amys hocha brièvement la tête, comme si elle se réjouissait que Rand ait enfin cessé de se comporter comme un sale gosse.

— J’ai cru qu’elles allaient entrer une à une, fit Mat, histoire de mettre fin à tes tourments par un baiser.

Appuyé à sa lance, son chapeau sur le crâne, le jeune flambeur affichait un grand sourire.

— Comment peux-tu être si guilleret ? grogna Rand.

L’odeur de chair brûlée planait encore dans l’air, et on entendait les gémissements des blessés, hommes comme femmes, que les Matriarches tentaient de soulager.

— Parce que je suis vivant, mon vieux ! Tu voudrais que je pleure ? (Mat haussa les épaules.) Selon Amys, Egwene sera rétablie dans quelques jours. (Il regarda autour de lui comme un homme qui ne veut surtout pas voir la vérité en face.) Bon, si on doit agir, agissons ! Dovie’andi se tovya sagain.

— Pardon ?

— Je viens de dire qu’il est temps de lancer les dés. Sulin t’a bouché les oreilles ?

— Temps de lancer les dés…, répéta Rand.

Dans la cheminée d’Air, les flammes s’étaient éteintes, mais la fumée blanche s’élevait toujours comme si le ter’angreal continuait de se consumer.

Moiraine…

Il aurait dû… Non, ces dés-là avaient déjà été jetés !

Les Promises se massaient autour de Sulin, emplissant les quais.

Ce qui était fait était fait, et il devrait vivre avec. À ce compte-là, il pressentait que la mort serait une délivrance, lorsqu’elle viendrait.

— Alors, agissons !

54

Vers Caemlyn

Menées par Sulin, cinq cents Promises accompagnèrent Rand jusqu’au palais royal, où Bael se tenait dans la cour d’honneur avec des Marche-Tonnerre, des Yeux Noirs, des Sourciers et des membres de tous les autres ordres de guerriers. Une telle multitude d’Aiels qu’ils en emplissaient la cour et débordaient dans le complexe par toutes les entrées, y compris les plus petites portes de service. Regardant par les fenêtres du rez-de-chaussée, des dizaines de braves attendaient avec impatience leur tour de sortir. En revanche, tous les balcons de pierre qui entouraient la cour étaient vides. Sur tout le périmètre, un seul homme, parmi ceux qui se pressaient les uns contre les autres, n’était pas un Aiel. Quand les guerriers du désert se réunissaient, les Teariens et les Cairhieniens – et plus encore ces derniers – s’arrangeaient pour ne pas traîner dans les environs. La seule exception à cette règle était Pevin. Campé sur une marche du grand escalier, au-dessus de celle qu’occupait Bael, il brandissait l’étendard rouge – qui pendait mollement au bout de sa hampe – et restait aussi impassible, parmi tant d’Aiels, qu’en toute autre circonstance.

Montée en croupe derrière Rand, Aviendha s’accrochait à lui, la poitrine serrée contre son dos, et elle ne le lâcha pas avant qu’il mette pied à terre. Sur les quais, la jeune Aielle avait eu avec certaines Matriarches une conversation qu’il n’aurait pas été censé entendre, mais qu’il avait surprise quand même.

— Que la Lumière t’accompagne, avait dit Amys en posant les doigts sur le visage d’Aviendha. Et surtout, veille bien sur lui. Tu sais que presque tout dépend de lui.

— Presque tout dépend de vous deux, avait ajouté Bair.

Quasiment en même temps, Melaine avait lancé d’un ton irrité :

— Tout serait plus facile si tu avais déjà réussi.

— De mon temps, s’était moquée Sorilea, même les Promises savaient s’y prendre avec les hommes.

— Elle a bien mieux réussi que vous le pensez, avait dit Amys à ses compagnes.

Aviendha avait secoué la tête puis levé la main afin de protester, son bracelet d’ivoire sculpté de roses et d’épines glissant le long de son bras, mais Amys n’avait pas tenu compte de son intervention.

— J’attendais qu’elle nous le dise elle-même, mais comme elle ne semble pas se décider…

Avisant Rand à moins de dix pas de là, les rênes de Jeade’en dans les mains, Amys s’était interrompue brusquement. Tournant la tête pour voir ce que regardait la Matriarche, Aviendha s’était empourprée dès qu’elle avait aperçu le jeune homme. Puis elle avait blêmi, sa peau devenant si blanche que ses cheveux blonds, par contraste, en paraissaient presque sombres.

Les quatre Matriarches avaient dévisagé Rand avec leur regard froid habituel.

Tenant leur monture par la bride, Asmodean et Mat s’étaient approchés de Rand.

— Tu crois que les femmes apprennent dès le berceau à tirer cette tête-là ? avait lancé le jeune flambeur. C’est un truc que leur mère leur enseigne ? Si le puissant Car’a’carn ne va pas très vite voir ailleurs si elles y sont, j’ai peur qu’il ait très chaud aux oreilles.

Revenant au présent, Rand tendit les bras, saisit Aviendha par la taille et la souleva du dos de l’étalon. Un moment, il continua à la tenir, les yeux plongés dans les siens. Elle ne détourna pas la tête, son expression ne changea pas, mais elle serra lentement les avant-bras du jeune homme.

Qu’avait-elle été censée réussir ? Au début, il avait pensé qu’elle était chargée de l’espionner pour le compte des Matriarches. Mais quand elle lui posait une question sur ce qu’il leur cachait, justement, elle ne faisait pas mystère de la fureur que son comportement lui inspirait. Une espionne aurait été plus subtile, cherchant à lui arracher des informations. Aviendha, elle, l’avait toujours attaqué ouvertement. Un moment, il avait envisagé la possibilité qu’elle soit l’équivalent d’une des séductrices de dame Colavaere, mais il avait très vite écarté cette possibilité. La jeune Aielle n’était pas du genre à se laisser utiliser ainsi. Et même s’il se trompait sur son compte, lui permettre de goûter au fruit défendu, puis ne même plus lui accorder un baiser ne semblait pas une tactique très efficace. Sans parler de la façon dont elle l’avait forcé à la poursuivre jusqu’au bout du monde… Bien sûr, elle n’avait aucun problème à se montrer nue devant lui, mais les coutumes aielles étaient très particulières. Et si elle se réjouissait de le voir tout dépité, dans ces circonstances, c’était sans doute parce qu’elle trouvait très drôle de le « taquiner » ainsi. Bref, il ne savait toujours pas ce qu’elle aurait dû réussir.