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Des complots partout autour de lui… Tous les gens étaient-ils impliqués dans des machinations ?

Dans les yeux d’Aviendha, Rand vit le reflet de son propre visage. Qui lui avait offert le collier d’argent ?

— Je n’ai rien contre les manifestations de tendresse, marmonna Mat, mais ne crois-tu pas qu’il y a un peu trop de spectateurs ?

Rand lâcha la taille d’Aviendha et s’écarta d’elle, mais très lentement, tout comme la jeune femme. Baissant la tête, elle tira sur sa robe en marmonnant que chevaucher l’avait toute froissée. Mais Rand avait eu le temps de voir le rouge lui monter aux joues. Pourtant, à aucun moment il n’avait eu l’intention de l’embarrasser…

Après avoir regardé autour de lui, il lâcha :

— Bael, je t’ai dit que je ne sais pas combien de gens je peux emmener…

Avec l’arrivée des Promises – et certaines attendaient encore de pouvoir entrer dans la cour – il ne restait plus de place pour bouger. Cinq cents guerriers par ordre, ça faisait en tout six mille personnes. Dans le bâtiment, les couloirs devaient être bondés.

Bael haussa les épaules. Comme tous les autres Aiels présents, il portait son shoufa, prêt à se voiler en un éclair. En revanche, il n’arborait pas de bandeau rouge, contrairement à une bonne moitié au moins des guerriers, qui portaient sur le front le disque noir et blanc sur fond écarlate.

— Chaque guerrier qui pourra te suivre… te suivra, dit Bael. Les deux Aes Sedai vont arriver bientôt ?

— Non.

Rand songea qu’Aviendha avait eu raison de tenir parole et de ne plus le laisser la toucher. Si Lanfear avait tenté de les tuer, Egwene et elle, c’était parce qu’elle ignorait laquelle était Aviendha. Comment Kadere avait-il découvert la vérité, puisque c’était sûrement lui qui avait vendu la mèche ? Aucune importance ! Quoi qu’il en soit, Lan avait raison. Les femmes qui l’approchaient attiraient sur elles le malheur… ou la mort.

— Elles ne viendront pas, Bael.

— On dit qu’il y aurait eu des… problèmes… sur les quais ?

— Non, une grande victoire, mon ami, répondit Rand avec une infinie lassitude. Avec beaucoup d’honneur à la clé.

Mais pas pour moi…

Toujours aussi inexpressif, Pevin descendit deux marches pour venir se placer près de Rand, son étendard fièrement brandi.

— Le palais entier est donc au courant ? demanda le jeune homme.

— J’ai entendu dire…, commença Pevin.

Sa mâchoire tressaillit, comme s’il luttait pour chercher d’autres mots. Sur la nouvelle veste que Rand lui avait dégottée en remplacement des lambeaux qu’il portait sur le dos, le réfugié avait fait broder des dragons – un de chaque côté de sa poitrine.

— … Entendu dire que vous partiez… Quelque part.

Rand acquiesça. Au palais, les rumeurs poussaient comme des champignons à l’ombre d’un arbre. Mais tant que Rahvin ne savait rien… Sur les toits et au sommet des tours, il n’y avait pas l’ombre d’un corbeau. Même si certains hommes en avaient tué, d’après ce qu’on disait, il n’en avait plus vu depuis pas mal de temps. Peut-être parce que ces maudits oiseaux l’évitaient, désormais.

— Préparez-vous !

Rand entra en contact avec le saidin et se retrouva dans son cocon de Vide.

D’abord sous la forme d’une ligne brillante qui semblait tourner sur elle-même, puis qui se déploya pour devenir une ouverture d’une dizaine de pieds de large, le portail apparut au pied des marches. Bien entendu, pas un murmure ne s’éleva de la foule d’Aiels.

Les guerriers placés de l’autre côté de l’ouverture devaient avoir l’impression de voir leur Car’a’carn à travers une sorte de vitre fumée. Mais s’ils avaient voulu traverser cet obstacle, ils auraient eu autant de succès qu’en essayant avec les murs du palais. Quand on était sur le côté, on ne voyait rien, sauf quand on était assez près pour distinguer ce qui semblait être un très long fil de la Vierge en suspension dans l’air.

Quant à la largeur, Rand ne pouvait pas faire mieux. Selon Asmodean, tout homme avait ses limites, même le Dragon Réincarné. En fait, des limites, il semblait y en avoir partout et pour tout dans cette vie…

La quantité de saidin qu’on pouvait canaliser ne comptait pas. En matière de portails, le Pouvoir de l’Unique ne jouait pas un très grand rôle. À part quand il s’agissait de les générer. Mais de l’autre côté commençait un autre monde. Le « rêve d’un rêve », aimait à dire Asmodean.

Rand franchit ce portail-là et se retrouva sur ce qui aurait pu passer pour une dalle de la cour s’étant soulevée du sol. Mais dans ce rêve d’un rêve, l’obscurité s’était abattue sur la cour d’honneur et seul le néant semblait s’étendre à l’infini autour de Rand. Rien du tout, et jusqu’à la fin des temps. Rien à voir avec la nuit, puisque Rand se voyait et distinguait très clairement la dalle. Mais partout ailleurs, il n’y avait que le néant.

L’heure était venue de découvrir quel genre de plate-forme il pouvait créer. Là aussi, la taille serait essentielle.

D’autres dalles apparurent autour de Rand, l’ensemble reproduisant au pouce près les dimensions de la cour d’honneur. Imaginant que celle-ci était beaucoup plus grande qu’en réalité, le jeune homme eut la satisfaction de constater que la plate-forme s’étendait aussi loin que portait sa vision. Puis, sursautant, il s’avisa que ses bottes commençaient à s’enfoncer dans la dalle sur laquelle il se tenait. D’aspect, la plate-forme n’avait pas changé, mais sa consistance se modifiait dramatiquement. Très vite, Rand ramena sa plate-forme à la dimension d’une dalle – à cette taille-là, ça restait solide – puis il entreprit de la faire grandir en ajoutant tout autour plusieurs rangées de dalles de mêmes dimensions. Très vite, il s’aperçut qu’il ne pourrait pas créer une plate-forme beaucoup plus grande que lors de sa première tentative. Sinon, la dalle de base ne s’altérait pas, et il ne s’y enfonçait pas, mais les rangées ajoutées paraissaient dépourvues de substance, telle une fine coquille qui risquait de se briser au moindre faux pas. Était-ce parce qu’il avait atteint la taille maximale possible ? Ou parce que, au début, il n’avait pas imaginé une plate-forme plus large ?

Nous nous fabriquons tous nos limites…

Une pensée jaillie de nulle part et sans crier gare…

Et nous les repoussons bien plus que ce qui nous est permis…

Rand sentit qu’il frissonnait. Dans le Vide, c’était comme capter les réactions d’une autre personne. Une bonne chose, qu’il lui soit ainsi rappelé que Lews Therin se tapissait toujours en lui. Quand il affronterait Rahvin, il devrait prendre garde à ne pas se laisser entraîner dans une bataille d’ego. Sinon, il risquait de… Non, ce qui était arrivé sur les quais appartenait au passé. Il n’était pas question de ressasser éternellement ces horreurs.

Réduisant sa plate-forme de plusieurs rangées de dalles, Rand se retourna et vit que Bael attendait dans ce qui semblait être un encadrement de porte géant donnant sur un escalier inondé de lumière. À côté du chef, Pevin semblait tout aussi peu impressionné par ce qu’il voyait – à savoir, absolument pas. À l’évidence, il était prêt à porter l’étendard partout où irait Rand, y compris dans la Fosse de la Perdition, s’il le fallait.

Mat inclina son chapeau en arrière, se gratta le front puis remit le couvre-chef en place en marmonnant quelque chose au sujet de dés qui roulaient dans sa tête.