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— Sais-tu qu’ils veulent inciter Rand al’Thor à attaquer Sammael ? Quand il le fera, les trois autres seront là pour le piéger. Graendal et Rahvin, en tout cas… Je crois que Lanfear joue à un jeu dont les autres ignorent tout.

Nynaeve et Birgitte échangèrent des regards inquiets. Rand devait être informé. Et il le serait si Elayne et l’ancienne Sage-Dame pouvaient parler à Egwene le soir même. À condition d’avoir à leur disposition le ter’angreal…

— Bien entendu, continua Moghedien, ça arrivera si al’Thor vit assez longtemps pour tomber dans le panneau.

Nynaeve saisit la chaîne d’argent à l’endroit où elle s’accrochait au collier et tira le visage de la Rejetée très près du sien. Les yeux noirs de Moghedien soutinrent son regard, mais par l’intermédiaire de l’a’dam, elle capta de la peur – toujours refoulée, mais peut-être encore plus forte.

— Tu vas m’écouter… Crois-tu que j’ignore pourquoi tu joues ainsi la docilité ? En prolongeant ces bavardages, tu espères me voir commettre une erreur qui te permettra de filer. Au minimum, plus le temps passera, te dis-tu, et plus j’aurai du mal à te tuer…

Sur ce point, Moghedien n’avait pas tort. Abattre quelqu’un froidement, même un Rejeté, serait peut-être au-dessus des forces de Nynaeve. Mais dans ce cas, que faire de la prisonnière ?

— Cela dit, je te conseille d’arrêter avec tes allusions ! Si tu continues à tenter de me rouler dans la farine, je te ferai subir tout ce que tu avais l’intention de m’infliger.

À travers l’artefact, Nynaeve sentit que la menace éveillait en Moghedien une terreur primale. La Rejetée en savait-elle moins long qu’elle l’aurait cru au sujet de l’a’dam ? Imaginait-elle que Nynaeve pouvait lire ses pensées si l’envie lui en prenait ?

— Donc, si tu es informée d’une menace pesant sur Rand – antérieure au plan de Sammael et des trois autres – dis-moi de quoi il s’agit, et plus vite que ça !

Alors que sa langue jaillissait sans cesse d’entre ses lèvres pour les humidifier, Moghedien se lança dans une tirade frénétique :

— Al’Thor a l’intention d’aller attaquer Rahvin. Aujourd’hui. Ce matin, même. Il croit que Rahvin a tué Morgase. J’ignore si c’est vrai ou non, mais al’Thor en est persuadé. Rahvin, lui, ne s’est jamais fié à Lanfear – ni aux autres, d’ailleurs. Pourquoi aurait-il dû être naïf ? Pensant que toute l’affaire pouvait être un piège tendu à son intention, il a imaginé son propre traquenard. Dans tout Caemlyn, des protections spéciales l’avertiront si un homme canalise un filament de Pouvoir. Al’Thor se jettera tête baissée dans le piège. Ce doit être déjà fait, je pense, puisqu’il avait l’intention de quitter Cairhien dès l’aube. Je ne suis pas impliquée dans ce plan. Vraiment, je n’y ai joué aucun rôle, et…

La sueur qui brillait sur le visage de Moghedien – le stigmate de la terreur – la dégoûtant, Nynaeve aurait aimé la faire taire. Cette plaidoirie mielleuse, surtout… Commençant à canaliser, elle se demanda si elle serait assez puissante pour paralyser la langue de la Rejetée. Puis elle sourit. Elle était liée à Moghedien, avec la position dominante…

La Rejetée écarquilla les yeux tandis qu’elle tissait puis nouait sous la contrainte les flux qui lui cloueraient le bec. L’ancienne Sage-Dame lui boucha les oreilles, histoire de la rendre totalement inoffensive.

— Qu’en penses-tu ? demanda-t-elle alors à Birgitte.

— Elayne en aura le cœur brisé. Elle aime sa mère !

— Je le sais ! Je pleurerai avec elle, chaque larme d’une parfaite sincérité, mais d’abord, je dois me soucier de Rand. (Nynaeve saisit la chaîne d’argent à ras du collier et la secoua.) C’est peut-être l’effet de l’a’dam, mais elle a aussi pu raconter n’importe quoi. Je veux avoir ton avis.

— Elle a dit la vérité… Sauf quand elle est dans la position dominante, Moghedien n’a jamais été très courageuse. Et tu viens de lui flanquer la frousse de sa vie.

Nynaeve fit la grimace. La déclaration de l’héroïne n’était pas faite pour la calmer. Ainsi, Moghedien n’était jamais très courageuse, sauf quand elle avait la situation bien en main ? Mais cette définition lui convenait tout aussi bien ! Quant à lui avoir « flanqué la frousse de sa vie », c’était vrai, et elle ne le regrettait pas. Mais il y avait un monde entre boxer les oreilles de quelqu’un qui en avait besoin et menacer une personne de la torturer – oui, même s’il s’agissait d’une Rejetée. D’autant plus qu’elle avait eu envie de faire souffrir sa prisonnière. Et maintenant, voilà qu’elle tentait de se défiler alors qu’elle savait très bien ce qu’elle devait faire. Jamais très courageuse sauf quand elle était en position de force… Cette fois, c’était elle-même qui alimentait sa colère.

— Nous devons aller à Caemlyn. Moi, au moins… Avec Moghedien. Je ne suis peut-être pas assez puissante pour canaliser le Pouvoir requis afin de déchirer une feuille de parchemin, mais grâce à l’a’dam, je me servirai de sa force.

— En étant dans Tel’aran’rhiod, tu n’auras aucune influence sur le monde éveillé, rappela Birgitte.

— Je sais. Mais je dois tenter quelque chose.

Birgitte inclina la tête en arrière et éclata de rire.

— Nynaeve, je suis vraiment gênée d’être associée à une poule mouillée de ton acabit ! (L’héroïne écarquilla les yeux de surprise.) Il ne restait vraiment pas beaucoup de potion. Je crois que…

Avant d’avoir fini sa phrase, Birgitte se volatilisa, car elle venait de se réveiller.

Nynaeve prit une grande inspiration, puis elle dénoua les flux qui emprisonnaient Moghedien. Ou força-t-elle la Rejetée à le faire à sa place ? Avec l’a’dam, c’était difficile à déterminer.

Dommage que Birgitte n’ait pas pu rester… Une autre paire d’yeux… Quelqu’un qui connaissait bien mieux qu’elle le Monde des Rêves. Et une femme courageuse, en plus de ça !

— Nous allons faire un petit voyage, Moghedien, et tu vas m’aider jusqu’à l’épuisement total de tes forces. Si je ne sais quoi me prend par surprise… Eh bien, faut-il te rappeler que ce qui frappe la porteuse du bracelet frappe aussi celle du collier ? Sauf que pour cette dernière, c’est dix fois pire.

À l’expression défaite de la Rejetée, Nynaeve comprit qu’elle ne mettait pas en doute ses propos. Une saine réaction, puisqu’ils étaient exacts.

Après avoir de nouveau inspiré à fond, Nynaeve forma dans sa tête l’image du seul endroit de Caemlyn qu’elle connaissait assez bien pour en garder un vif souvenir. Le palais royal, où Elayne l’avait emmenée. Mais dans le monde éveillé, pas dans celui des Rêves. Pourtant, elle devait tenter quelque chose.

Les contours de Tel’aran’rhiod se brouillèrent autour d’elle.

55

Les fils s’embrasent

Rand s’immobilisa. Sur le mur du couloir, une longue marque brune indiquait l’endroit où une demi-douzaine de tapisseries hors de prix étaient parties en fumée. Des flammes finissaient d’en consumer une autre et la plupart des coffres et des guéridons sculptés ou incrustés n’étaient plus que des carcasses carbonisées. Mais ces ravages n’étaient pas son œuvre. À trente pas devant lui, des hommes en veste d’uniforme rouge et en plastron, un casque à grille sur la tête, gisaient sur les dalles blanches du sol, une épée inutile encore dans la main. Un autre désastre dont il n’était pas responsable. Pour l’atteindre, Rahvin n’avait pas hésité à semer la mort parmi ses propres forces. S’il s’était montré adroit dans ses attaques et fort habile dans l’art de s’enfuir, le Rejeté, depuis qu’il avait fui la salle du trône, n’avait jamais affronté Rand plus de quelques instants – juste le temps de frapper, avant de détaler.