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Rahvin était très puissant – l’égal de Rand, peut-être bien. Mais celui-ci avait dans sa poche un ter’angreal, le petit homme replet, qui faisait cruellement défaut au Rejeté.

Le couloir semblait doublement familier à Rand. Primo, parce qu’il l’avait déjà vu par le passé. Secundo, parce qu’il avait déjà été confronté à un corridor pareillement dévasté.

Le jour de ma rencontre avec Morgase, j’ai remonté ce couloir en compagnie d’Elayne et de Gawyn.

Cette pensée se heurta douloureusement aux limites du cocon de Vide. À l’intérieur, Rand n’éprouvait aucune émotion. Si le saidin bouillonnait, son sang était glacé et son esprit aussi.

Une autre pensée, presque semblable à un coup de poignard…

Elle gisait ainsi que ces hommes, ses cheveux blonds lui faisant une corolle, comme si elle dormait. Ilyena Cheveux d’Or. Mon Ilyena.

Le jour de la rencontre avec Morgase, Elaida aussi était présente.

Elle a prédit les souffrances dont je serai la cause. En moi, elle a vu cette terrible obscurité. Une partie, en tout cas. Assez !

Ilyena, je ne savais pas ce que je faisais. J’étais fou ! Je suis fou ! Oh ! Ilyena !

Elaida savait en partie, mais elle n’a pas tout dit sur ce dont elle avait de fragmentaires connaissances. Il aurait mieux valu qu’elle parle.

Lumière, le pardon n’existe-t-il donc pas ? J’ai agi sous l’empire de la folie. N’y a-t-il donc pas de pitié en ce monde ?

S’il avait su, Gareth Bryne m’aurait tué. Morgase aurait ordonné mon exécution… Et dans ce cas, elle serait peut-être toujours vivante. La mère d’Elayne… Aviendha… Mat… Moiraine… Si j’étais mort, combien d’entre eux auraient survécu ?

J’ai mérité mes tourments et je mérite de mourir une bonne fois pour toutes. Ilyena, je mérite la mort.

Oui, je la mérite !

Entendant des bruits de pas dans son dos, Rand se retourna. À moins de vingt pas de lui, une vingtaine de soldats portant la veste rouge à col blanc des Gardes de la Reine venaient d’émerger d’un couloir latéral. Mais Andor n’avait plus de souveraine, et de toute façon, ces hommes-là n’avaient jamais servi Morgase de son vivant. Un Myrddraal marchait à leur tête, son visage sans yeux blême comme si on venait de le découvrir sous un caillou, les plates de son armure noire, en se chevauchant, accentuant la ressemblance avec les écailles d’un serpent. Comme toujours, la cape noire du Blafard restait parfaitement immobile dans son dos alors qu’il avançait.

Face à un Sans-Yeux, la peur était inévitable. Mais dans le cocon de Vide, ce sentiment était aussi distant que tous les autres.

Les soldats hésitèrent quand ils aperçurent Rand. Mais le Demi-Humain leva son épée noire, et tous ses compagnons dégainèrent la leur.

Rand – c’était son nom, lui semblait-il – canalisa d’une manière qu’il ne se souvenait pas d’avoir utilisée un jour.

Les hommes et le Myrddraal se pétrifièrent là où ils étaient, couverts d’un givre blanc qui fumait exactement comme les bottes de Mat fumaient, un peu plus tôt. Le bras levé du Sans-Yeux se brisa net. À l’impact avec le sol, le membre et l’épée noire se brisèrent en mille éclats.

Quand il passa à côté des cadavres, Rand – oui, oui, c’était bien ça, son nom – sentit le froid mortel. Terrible, vraiment, et pourtant toujours moins glacial que le saidin.

Un homme et une femme d’âge mûr, se serrant l’un contre l’autre pour se protéger, s’étaient réfugiés contre un mur. Lorsqu’il vit Rand – Rand tout court, il n’y avait rien d’autre accolé à ce nom ? – le domestique mâle en livrée rouge et blanc fit mine de se relever, comme si le danger était passé, mais sa compagne le retint par la manche.

— Allez en paix, dit Rand, un bras tendu.

Al’Thor ! Le nom complet, c’était Rand al’Thor !

— Je ne vous ferai pas de mal, mais il pourrait vous arriver malheur si vous restez.

Les yeux marron de la femme roulèrent dans leurs orbites. Si son compagnon ne l’avait pas retenue, nul doute qu’elle se serait écroulée comme une poupée de chiffon. Et les lèvres de l’homme bougeaient sans cesse, comme s’il se récitait une prière muette. Rand baissa les yeux sur ce que le domestique regardait fixement. Sa main, suffisamment sortie de la manche de sa veste pour dévoiler la tête de dragon à crinière jaune qui faisait partie intégrante de sa peau.

— Je ne vous ferai pas de mal, répéta Rand.

Puis il s’éloigna, plantant là les deux serviteurs. Il devait coincer Rahvin et le tuer. Et ensuite, que ferait-il ?

Alors qu’il marchait dans un silence seulement troublé par le bruit de ses pas, Rand entendit au fond de sa tête une voix très faible qui se lamentait au sujet d’Ilyena et du pardon. Se concentrant pour sentir Rahvin en train de canaliser – un autre homme en contact avec la Source Authentique – il ne capta rien. Le saidin brûlait ses os, carbonisait sa chair et dévastait son âme, mais de l’extérieur, tout ça n’était pas facile à voir, sauf si on était très près. Un lion dans de hautes herbes, avait dit un jour Asmodean. Un lion enragé, alors !

Asmodean figurait-il au nombre de ceux qui n’auraient pas dû mourir ? Et Lanfear ? Non. Pas…

Rand n’eut qu’un dixième de seconde pour se jeter à plat ventre. Une infime fraction avant de sentir des flux brusquement tissés, puis de voir une lance de lumière blanche – du feu liquide – traverser le mur comme une épée à l’endroit exact où était son torse, avant son esquive miraculeuse. Partout où ce trait de feu rebondit, des deux côtés du couloir, les murs, les frises, les portes et les tapisseries cessèrent d’exister. Des tentures murales et des fragments de plâtre arrachés au plafond tombèrent en pluie sur le sol.

Qui prétendait que les Rejetés craignaient d’utiliser les Torrents de Feu ? C’était Moiraine, non ? Et elle avait sûrement mérité de vivre.

En riposte, Rand expédia lui aussi un Torrent de Feu. Laissant une image rémanente sur ses rétines, celui de son adversaire se dissipa au moment où le sien percutait le mur.

Rand relâcha alors son propre flux. Avait-il réussi, finalement ?

Après s’être péniblement relevé, il canalisa un tissage d’Air et ouvrit une double porte défoncée avec tant de violence que ce qui restait des battants s’arracha des gonds. Derrière, la pièce était vide. Il s’agissait d’un salon, avec des fauteuils disposés devant une grande cheminée de marbre. Son Torrent de Feu avait arraché une partie d’une des arches qui donnaient sur une petite cour intérieure dotée d’une fontaine. Au-delà, une colonne avait également été touchée.

Rahvin n’avait pas fui par là, cependant, et il n’avait pas non plus brûlé vif. Dans l’air, une sorte de résidu de saidin flottait encore. Rand identifia immédiatement un portail. Différent de celui qu’il avait généré pour « léviter » jusque-là, et également du type qui permettait de Voyager – le « modèle », il le savait maintenant, qui lui avait permis d’entrer dans la salle du trône –, c’était néanmoins un passage qui lui était familier. À Tear, il en avait vu un, en générant même un autre…

Il recommença. En tout cas, il tissa une ouverture qui était en fait un trou dans la réalité. De l’autre côté, pas trace de l’obscurité infinie. S’il n’avait pas su que ce portail était là, ou s’il n’avait pas été capable de distinguer les flux du tissage, il aurait pu passer à côté de son existence. Car devant lui se dressaient les mêmes arches donnant sur la même cour, la même fontaine, et, plus loin, la même promenade flanquée de colonnes. Un instant, les trous que son Torrent de Feu avait forés dans une arche et une colonne disparurent, mais ils revinrent très vite. Où que menât ce portail, c’était vers un mystérieux ailleurs – un reflet du palais royal comme naguère il s’était agi d’un reflet de la Pierre de Tear.