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Que la Lumière carbonise ces deux types ! Je veux apprendre la guérison, pas une façon spectaculaire de tuer les gens.

Se redressant sur les coudes et les genoux, Nynaeve jeta un coup d’œil dans la direction d’où la Rejetée et elle venaient. Rien à signaler. Le couloir désert d’un palais – avec dans chaque mur une entaille de près de dix pieds de long aussi nette qu’aurait pu la faire un maçon, et des fragments de tapisserie jonchant le sol. Aucun signe des deux hommes. Jusque-là, l’ancienne Sage-Dame ne les avait pas aperçus. En revanche, elle avait eu tout loisir de contempler le résultat de leur affrontement. En plusieurs occasions, elle avait même failli compter parmi les victimes collatérales. Heureusement, elle pouvait puiser dans la colère de Moghedien, la séparant de la terreur qui s’y mêlait, trop puissante pour rester secrète, afin de la laisser se déverser en elle. Car sa propre rage n’était plus qu’un pitoyable sentiment qui lui aurait à peine permis de sentir la Source Authentique – alors, quant à canaliser le flux d’Esprit grâce auquel elle pouvait rester dans Tel’aran’rhiod

Également agenouillée, Moghedien essayait en vain de vomir, car elle ne devait plus rien avoir dans l’estomac. Cette vipère avait encore tenté de se débarrasser du collier. Dès qu’il était devenu évident que Rand et Rahvin se trouvaient eux aussi dans le Monde des Rêves, les velléités de coopération de la Rejetée avaient fondu comme neige au soleil. Eh bien, essayer de retirer un a’dam, quand on en portait le collier, était une punition en soi. Et puisque Moghedien ne pouvait plus expulser des humeurs nauséabondes…

— S’il te plaît…, souffla la Rejetée en tirant sur la robe de Nynaeve. Nous devons partir, il faut que tu me croies ! (La voix tremblante, elle ne pouvait plus interdire à sa terreur de se refléter sur son visage.) Ils sont ici en chair et en os ! En chair et en os !

— Silence…, fit distraitement Nynaeve. Si tu ne m’as pas menti, c’est un avantage – pour moi !

Selon Moghedien, être présent en chair et en os dans le Monde des Rêves limitait le contrôle qu’on pouvait avoir sur le songe. Cette information, la Rejetée avait dû la cracher après avoir par inadvertance éveillé l’attention de Nynaeve. Du coup, elle avait dû admettre que Rahvin connaissait Tel’aran’rhiod beaucoup moins bien qu’elle. Pour l’ancienne Sage-Dame, cependant, l’essentiel était qu’il le connaisse moins bien qu’elle, et ça n’était pas garanti. En revanche, il en savait sûrement plus long que Rand… Quelle tête de pioche, celui-là ! Quelle que soit sa querelle contre Rahvin, il n’aurait jamais dû se laisser entraîner dans un endroit dont il ignorait tout. Jouer à un jeu sans en connaître les règles, et en un lieu où la pensée pouvait tuer…

— Pourquoi refuses-tu de comprendre ce que je te dis ? Même s’ils étaient seulement présents par l’esprit – en rêvant – ils seraient tous les deux bien plus forts que nous. Dans l’état actuel des choses, ils sont capables de nous écraser comme des insectes. En chair et en os, ils puisent plus de saidin que nous pouvons puiser de saidar en rêvant.

— Nous sommes liées…, répondit toujours aussi distraitement Nynaeve.

Agacée, elle tira d’un coup sec sur sa natte. Aucun moyen de dire dans quelle direction les deux hommes étaient partis. Et aucun avertissement avant que le danger soit sur elle. Quand même, il semblait injuste qu’ils puissent canaliser le Pouvoir sans qu’elle soit en mesure de voir ou de sentir les flux.

Une lampe qui avait été coupée en deux redevint entière, puis, en un éclair, fut de nouveau brisée. Ce feu blanc devait être incroyablement puissant. En règle générale, quoi qu’on lui fasse, Tel’aran’rhiod se régénérait très rapidement, mais là…

— Tu n’es qu’une imbécile…, gémit Moghedien en tirant à deux mains sur la robe de Nynaeve. On se fiche de ton courage ! Nous sommes liées, mais dans ton état, tu n’apportes aucune contribution. Rien du tout ! C’est ma force et ta folie ! Ils sont là en chair et en os ! Tu m’entends ? Ces deux hommes ne rêvent pas. Ils utilisent des armes dont tu n’as même jamais imaginé l’existence. Si nous restons, ils nous détruiront.

— Si tu criais un peu plus fort ? ironisa Nynaeve. Tu veux attirer l’un d’eux vers nous ?

Elle regarda à droite et à gauche, mais le couloir était toujours désert. Venait-elle d’entendre des bruits de pas ? Rand ? Rahvin ? Que ce soit l’un ou l’autre, la prudence s’imposait. Un homme luttant pour sa vie pouvait frapper avant d’avoir reconnu des amies. Enfin, une amie, en vérité…

— Nous devons partir, insista Moghedien, mais plusieurs tons plus bas.

Elle se leva, la bouche tordue par un rictus de défi. En elle, la peur et la colère se livraient un duel permanent, chacune prenant à son tour le dessus.

— Pourquoi devrais-je t’aider davantage ? C’est de la folie !

— Tu préférerais sentir de nouveau les orties ?

Moghedien tressaillit, mais dans ses yeux noirs, la lueur de défi ne disparut pas.

— Tu crois que je vais me laisser tuer par ces hommes de peur que tu me maltraites ? Tu es folle ! Je ne bougerai pas d’ici jusqu’à ce que tu aies décidé de partir du Monde des Rêves.

Nynaeve tira de nouveau sur sa natte. Si Moghedien refusait de marcher, elle allait devoir la tirer par sa chaîne. Pas une façon très efficace de chercher, alors qu’il semblait rester des lieues de couloirs à explorer. Elle aurait dû se montrer plus ferme la première fois que la Rejetée s’était révoltée. À sa place, Moghedien aurait tué sans hésitation. Ou, si elle avait jugé sa prisonnière utile, recouru à son petit « truc » visant à forcer les autres à l’adorer et à lui obéir. Nynaeve en avait été victime à Tanchico. Et même si elle avait su comment s’y prendre, elle doutait d’être capable d’infliger une telle chose à quelqu’un. Bien entendu, elle méprisait et haïssait la Rejetée. Mais elle n’aurait pas pu la tuer froidement, qu’elle lui soit utile ou non. Hélas, elle aurait parié que Moghedien le savait, et qu’elle jouait à fond de cet avantage.

Cela dit, une Sage-Dame dirigeait de fait le Cercle des Femmes – même si ses membres n’étaient pas toujours d’accord – et cette digne institution infligeait des punitions aux femmes qui violaient la loi ou malmenaient trop gravement les coutumes – et aussi aux hommes, pour certaines transgressions. Si elle n’avait pas les mêmes facilités que Moghedien pour tuer les gens ou dominer leur esprit, Nynaeve…

La Rejetée ayant ouvert la bouche, l’ancienne Sage-Dame la bâillonna avec un tissage d’Air. Ou plutôt, à travers leur lien, elle la força à se bâillonner elle-même. Avec l’a’dam, les deux revenaient en fait au même, sauf que Moghedien avait conscience d’être utilisée comme un outil. Du coup, son regard brilla d’indignation quand les flux qu’elle tissait lui plaquèrent les bras contre les flancs et enroulèrent le bas de sa robe autour de ses chevilles. Pour le reste, Nynaeve se servit de l’a’dam, comme avec les orties, pour faire éprouver à sa prisonnière les sensations qu’elle entendait lui imposer. Pas la réalité, juste un sentiment de réalité.

Moghedien se raidit dans ses liens quand une lanière de cuir sembla s’abattre sur son postérieur. Un châtiment plus humiliant que douloureux, voilà qui était parfait. À travers le lien, Nynaeve sentit tout l’outrage de la Rejetée. Comparé à ses tortures hautement sophistiquées, ce traitement paraissait plutôt adapté à une sale gamine.