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I

Bientôt nous plongeons dans les froides ténèbres;

Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!

J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres

Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l’hiver va rentrer dans mon être: colère,

Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,

Et, comme le soleil dans son enfer polaire,

Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.

J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe;

L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.

Mon esprit est pareil à la tour qui succombe

Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,

Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.

Pour qui? – C’était hier l’été; voici l’automne!

Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

II

J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,

Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,

Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,

Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi, tendre cœur! soyez mère,

Même pour un ingrat, même pour un méchant;

Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère

D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.

Courte tâche! La tombe attend; elle est avide!

Ah! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,

Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,

De l’arrière-saison le rayon jaune et doux!

LVII. – À une madone

Ex-voto dans le goût espagnol

Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,

Un autel souterrain au fond de ma détresse,

Et creuser dans le coin le plus noir de mon cœur,

Loin du désir mondain et du regard moqueur,

Une niche, d’azur et d’or tout émaillée,

Où tu te dresseras, Statue émerveillée.

Avec mes Vers polis, treillis d’un pur métal

Savamment constellé de rimes de cristal,

Je ferai pour ta tête une énorme Couronne;

Et dans ma Jalousie, ô mortelle Madone,

Je saurai te tailler un Manteau, de façon

Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,

Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes;

Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes!

Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,

Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,

Aux pointes se balance, aux vallons se repose,

Et revêt d’un baiser tout ton corps blanc et rose

Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers

De satin, par tes pieds divins humiliés,

Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte,

Comme un moule fidèle en garderont l’empreinte.

Si je ne puis, malgré tout mon art diligent,

Pour Marchepied tailler une Lune d’argent,

Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles

Sous tes talons, afin que tu foules et railles,

Reine victorieuse et féconde en rachats,

Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.

Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges

Devant l’autel fleuri de la Reine des Vierges,

Étoilant de reflets le plafond peint en bleu,

Te regarder toujours avec des yeux de feu;

Et comme tout en moi te chérit et t’admire,

Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,

Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,

En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,

Et pour mêler l’amour avec la barbarie,

Volupté noire! des sept Péchés capitaux,

Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux

Bien affilés, et, comme un jongleur insensible,

Prenant le plus profond de ton amour pour cible,

Je les planterai tous dans ton Cœur pantelant,

Dans ton Cœur sanglotant, dans ton Cœur ruisselant!

LVIII. – Chanson d’après-midi

Quoique tes sourcils méchants

Te donnent un air étrange

Qui n’est pas celui d’un ange,

Sorcière aux yeux alléchants,

Je t’adore, ô ma frivole,

Ma terrible passion!

Avec la dévotion

Du prêtre pour son idole.

Le désert et la forêt

Embaument tes tresses rudes,

Ta tête a les attitudes

De l’énigme et du secret.

Sur ta chair le parfum rôde

Comme autour d’un encensoir;

Tu charmes comme le soir,

Nymphe ténébreuse et chaude.

Ah! les philtres les plus forts

Ne valent pas ta paresse,

Et tu connais la caresse

Qui fait revivre les morts!

Tes hanches sont amoureuses

De ton dos et de tes seins,

Et tu ravis les coussins

Par tes poses langoureuses.

Quelquefois, pour apaiser

Ta rage mystérieuse,

Tu prodigues, sérieuse,

La morsure et le baiser;

Tu me déchires, ma brune,

Avec un rire moqueur,

Et puis tu mets sur mon cœur

Ton œil doux comme la lune.

Sous tes souliers de satin,

Sous tes charmants pieds de soie,

Moi, je mets ma grande joie,

Mon génie et mon destin,

Mon âme par toi guérie,

Par toi, lumière et couleur!

Explosion de chaleur

Dans ma noire Sibérie!

LIX. – Sisina

Imaginez Diane en galant équipage,

Parcourant les forêts ou battant les halliers,

Cheveux et gorge au vent, s’enivrant de tapage,

Superbe et défiant les meilleurs cavaliers!

Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage,

Excitant à l’assaut un peuple sans souliers,

La joue et l’œil en feu, jouant son personnage,

Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers?

Telle la Sisina! Mais la douce guerrière

À l’âme charitable autant que meurtrière;

Son courage, affolé de poudre et de tambours,

Devant les suppliants sait mettre bas les armes,

Et son cœur, ravagé par la flamme, a toujours,

Pour qui s’en montre digne, un réservoir de larmes.

LX. – Franciscae meae laudes

Novis te cantabo chordis,

Ô novelletum quod ludis

In solitudine cordis.

Esto sertis implicata,

Ô femina delicata,

Per quam solvuntur peccata!

Sicut beneficum Lethe,

Hauriam oscula de te,

Quae imbuta es magnete.

Quum vitiorum tempestas

Turbabat omnes semitas,

Apparuisti, Deitas,

Velut stella salutaris

In naufragiis amaris…

Suspendam cor tuis aris!

Piscina plena virtutis,

Fons aeternae juventutis,

Labris vocem redde mutis!

Quod erat spurcum, cremasti;

Quod rudius, exaequasti;

Quod debile, confirmasti.

In fame mea taberna,

In nocte mea lucerna,

Recte me semper guberna.

Adde nunc vires viribus,

Dulce balneum suavibus

Unguentatum odoribus!

Meos circa lumbos mica,

Ô castitatis lorica,

Aqua tincta seraphica;

Patera gemmis corusca,

Panis salsus, mollis esca,

Divinum vinum, Francisca!

LXI. – À une dame créole

Au pays parfumé que le soleil caresse,

J’ai connu, sous un dais d’arbres tout empourprés

Et de palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse,

Une dame créole aux charmes ignorés.

Son teint est pâle et chaud; la brune enchanteresse

À dans le cou des airs noblement maniérés;

Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,

Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.

Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,