Je me souviens! J’ai vu tout, fleur, source, sillon,
Se pâmer sous son œil comme un cœur qui palpite…
– Courons vers l’horizon, il est tard, courons vite,
Pour attraper au moins un oblique rayon!
Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire;
L’irrésistible Nuit établit son empire,
Noire, humide, funeste et pleine de frissons;
Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage,
Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage,
Des crapauds imprévus et de froids limaçons.
II. – Sur le Tasse en prison D’Eugène Delacroix
Le poète au cachot, débraillé, maladif,
Roulant un manuscrit sous son pied convulsif,
Mesure d’un regard que la terreur enflamme
L’escalier de vertige où s’abîme son âme.
Les rires enivrants dont s’emplit la prison
Vers l’étrange et l’absurde invitent sa raison;
Le Doute l’environne, et la Peur ridicule,
Hideuse et multiforme, autour de lui circule.
Ce génie enfermé dans un taudis malsain,
Ces grimaces, ces cris, ces spectres dont l’essaim
Tourbillonne, ameuté derrière son oreille,
Ce rêveur que l’horreur de son logis réveille,
Voilà bien ton emblème, Âme aux songes obscurs,
Que le Réel étouffe entre ses quatre murs!
III. – L’imprévu
Harpagon qui veillait son père agonisant,
Se dit, rêveur, devant ces lèvres déjà blanches:
«Nous avons au grenier un nombre suffisant,
Ce me semble, de vieilles planches?»
Célimène roucoule et dit: «Mon cœur est bon,
Et naturellement, Dieu m’a faite très belle.»
– Son cœur! cœur racorni, fumé comme un jambon,
Recuit à la flamme éternelle!
Un gazetier fumeux, qui se croit un flambeau,
Dit au pauvre, qu’il a noyé dans les ténèbres:
«Où donc l’aperçois-tu, ce créateur du Beau,
Ce redresseur que tu célèbres?»
Mieux que tous, je connais certain voluptueux
Qui bâille nuit et jour, et se lamente et pleure,
Répétant, l’impuissant et le fat: «Oui, je veux
Être vertueux, dans une heure!»
L’Horloge à son tour, dit à voix basse: «Il est mûr,
Le damné! J’avertis en vain la chair infecte.
L’homme est aveugle, sourd, fragile comme un mur
Qu’habite et que ronge un insecte!»
Et puis, quelqu’un paraît que tous avaient nié,
Et qui leur dit, railleur et fier: «Dans mon ciboire,
Vous avez, que je crois, assez communié
À la joyeuse Messe noire?
Chacun de vous m’a fait un temple dans son cœur;
Vous avez, en secret, baisé ma fesse immonde!
Reconnaissez Satan à son rire vainqueur,
Énorme et laid comme le monde!
Avez-vous donc pu croire, hypocrites surpris,
Qu’on se moque du maître, et qu’avec lui l’on triche,
Et qu’il soit naturel de recevoir deux prix,
D’aller au Ciel et d’être riche?
Il faut que le gibier paye le vieux chasseur
Qui se morfond longtemps à l’affût de la proie.
Je vais vous emporter à travers l’épaisseur,
Compagnons de ma triste joie
À travers l’épaisseur de la terre et du roc,
À travers les amas confus de votre cendre,
Dans un palais aussi grand que moi, d’un seul bloc
Et qui n’est pas de pierre tendre;
Car il est fait avec l’universel Péché,
Et contient mon orgueil, ma douleur et ma gloire!»
– Cependant, tout en haut de l’univers juché,
Un ange sonne la victoire
De ceux dont le cœur dit: «Que béni soit ton fouet,
Seigneur! que la Douleur, ô Père, soit bénie!
Mon âme dans tes mains n’est pas un vain jouet,
Et ta prudence est infinie.»
Le son de la trompette est si délicieux,
Dans ces soirs solennels de célestes vendanges,
Qu’il s’infiltre comme une extase dans tous ceux
Dont elle chante les louanges.
IV. – Les promesses d’un visage
J’aime, ô pâle beauté, tes sourcils surbaissés,
D’où semblent couler des ténèbres,
Tes yeux, quoique très noirs, m’inspirent des pensers
Qui ne sont pas du tout funèbres.
Tes yeux, qui sont d’accord avec tes noirs cheveux,
Avec ta crinière élastique,
Tes yeux, languissamment, me disent: «Si tu veux,
Amant de la muse plastique,
Suivre l’espoir qu’en toi nous avons excité,
Et tous les goûts que tu professes,
Tu pourras constater notre véracité
Depuis le nombril jusqu’aux fesses;
Tu trouveras au bout de deux beaux seins bien lourds,
Deux larges médailles de bronze,
Et sous un ventre uni, doux comme du velours,
Bistré comme la peau d’un bonze,
Une riche toison qui, vraiment, est la sœur
De cette énorme chevelure,
Souple et frisée, et qui t’égale en épaisseur,
Nuit sans étoiles, Nuit obscure!»
V. – Le monstre ou Le paranymphe d’une nymphe macabre
I
Tu n’es certes pas, ma très chère,
Ce que Veuillot nomme un tendron.
Le jeu, l’amour, la bonne chère,
Bouillonnent en toi, vieux chaudron!
Tu n’es plus fraîche, ma très chère,
Ma vieille infante! Et cependant
Tes caravanes insensées
T’ont donné ce lustre abondant
Des choses qui sont très usées,
Mais qui séduisent cependant.
Je ne trouve pas monotone
La verdeur de tes quarante ans;
Je préfère tes fruits, Automne,
Aux fleurs banales du Printemps!
Non, tu n’es jamais monotone!
Ta carcasse a des agréments
Et des grâces particulières;
Je trouve d’étranges piments
Dans le creux de tes deux salières
Ta carcasse a des agréments!
Nargue des amants ridicules
Du melon et du giraumont!
Je préfère tes clavicules
À celles du roi Salomon,
Et je plains ces gens ridicules!
Tes cheveux, comme un casque bleu,
Ombragent ton front de guerrière,
Qui ne pense et rougit que peu,
Et puis se sauvent par derrière,
Comme les crins d’un casque bleu.
Tes yeux qui semblent de la boue,
Où scintille quelque fanal,
Ravivés au fard de ta joue,
Lancent un éclair infernal!
Tes yeux sont noirs comme la boue!
Par sa luxure et son dédain
Ta lèvre amère nous provoque;
Cette lèvre, c’est un Eden
Qui nous attire et qui nous choque.
Quelle luxure! et quel dédain!
Ta jambe musculeuse et sèche
Sait gravir au haut des volcans,
Et malgré la neige et la dèche
Danser les plus fougueux cancans.
Ta jambe est musculeuse et sèche;
Ta peau brûlante et sans douceur,
Comme celle des vieux gendarmes,
Ne connaît pas plus la sueur
Que ton œil ne connaît les larmes,
(Et pourtant elle a sa douceur!)
II
Sotte, tu t’en vas droit au Diable!
Volontiers j’irais avec toi,
Si cette vitesse effroyable
Ne me causait pas quelque émoi.
Va-t’en donc, toute seule, au Diable!
Mon rein, mon poumon, mon jarret
Ne me laissent plus rendre hommage
À ce Seigneur, comme il faudrait.
«Hélas! c’est vraiment bien dommage!»
Disent mon rein et mon jarret.
Oh! très sincèrement je souffre
De ne pas aller aux sabbats,
Pour voir, quand il pète du soufre,
Comment tu lui baises son cas!
Oh! très sincèrement je souffre!
Je suis diablement affligé
De ne pas être ta torchère,