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David mourant aurait demandé la santé

Aux émanations de ton corps enchanté;

Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!

XLV. – Confession

Une fois, une seule, aimable et douce femme,

À mon bras votre bras poli

S’appuya (sur le fond ténébreux de mon âme

Ce souvenir n’est point pâli);

Il était tard; ainsi qu’une médaille neuve

La pleine lune s’étalait,

Et la solennité de la nuit, comme un fleuve,

Sur Paris dormant ruisselait.

Et le long des maisons, sous les portes cochères,

Des chats passaient furtivement,

L’oreille au guet, ou bien, comme des ombres chères,

Nous accompagnaient lentement.

Tout à coup, au milieu de l’intimité libre

Éclose à la pâle clarté,

De vous, riche et sonore instrument où ne vibre

Que la radieuse gaieté,

De vous, claire et joyeuse ainsi qu’une fanfare

Dans le matin étincelant,

Une note plaintive, une note bizarre

S’échappa, tout en chancelant

Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde,

Dont sa famille rougirait,

Et qu’elle aurait longtemps, pour la cacher au monde,

Dans un caveau mise au secret.

Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde:

«Que rien ici-bas n’est certain,

Et que toujours, avec quelque soin qu’il se farde,

Se trahit l’égoïsme humain;

Que c’est un dur métier que d’être belle femme,

Et que c’est le travail banal

De la danseuse folle et froide qui se pâme

Dans un sourire machinal;

Que bâtir sur les cœurs est une chose sotte;

Que tout craque, amour et beauté,

Jusqu’à ce que l’Oubli les jette dans sa hotte

Pour les rendre à l’Éternité!»

J’ai souvent évoqué cette lune enchantée,

Ce silence et cette langueur,

Et cette confidence horrible chuchotée

Au confessionnal du cœur.

XLVI. – L’aube spirituelle

Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille

Entre en société de l’Idéal rongeur,

Par l’opération d’un mystère vengeur

Dans la brute assoupie un ange se réveille.

Des Cieux Spirituels l’inaccessible azur,

Pour l’homme terrassé qui rêve encore et souffre,

S’ouvre et s’enfonce avec l’attirance du gouffre.

Ainsi, chère Déesse, Être lucide et pur,

Sur les débris fumeux des stupides orgies

Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,

À mes yeux agrandis voltige incessamment.

Le soleil a noirci la flamme des bougies;

Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,

Âme resplendissante, à l’immortel soleil!

XLVII. – Harmonie du soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige

Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir;

Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir;

Valse mélancolique et langoureux vertige!

Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir;

Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige;

Valse mélancolique et langoureux vertige!

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir!

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;

Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,

Du passé lumineux recueille tout vestige!

Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…

Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!

XLVIII. – Le flacon

Il est de forts parfums pour qui toute matière

Est poreuse. On dirait qu’ils pénètrent le verre.

En ouvrant un coffret venu de l’Orient

Dont la serrure grince et rechigne en criant,

Ou dans une maison déserte quelque armoire

Pleine de l’âcre odeur des temps, poudreuse et noire,

Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,

D’où jaillit toute vive une âme qui revient.

Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,

Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,

Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,

Teintés d’azur, glacés de rose, lamés d’or.

Voilà le souvenir enivrant qui voltige

Dans l’air troublé; les yeux se ferment; le Vertige

Saisit l’âme vaincue et la pousse à deux mains

Vers un gouffre obscurci de miasmes humains;

Il la terrasse au bord d’un gouffre séculaire,

Où, Lazare odorant déchirant son suaire,

Se meut dans son réveil le cadavre spectral

D’un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire

Des hommes, dans le coin d’une sinistre armoire

Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé,

Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

Je serai ton cercueil, aimable pestilence!

Le témoin de ta force et de ta virulence,

Cher poison préparé par les anges! Liqueur

Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur!

XLIX. – Le poison

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge

D’un luxe miraculeux,

Et fait surgir plus d’un portique fabuleux

Dans l’or de sa vapeur rouge,

Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.

L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,

Allonge l’illimité,

Approfondit le temps, creuse la volupté,

Et de plaisirs noirs et mornes

Remplit l’âme au delà de sa capacité.

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle

De tes yeux, de tes yeux verts,

Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers…

Mes songes viennent en foule

Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Tout cela ne vaut pas le terrible prodige

De ta salive qui mord,

Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord,

Et, charriant le vertige,

La roule défaillante aux rives de la mort!

L. – Ciel brouillé

On dirait ton regard d’une vapeur couvert;

Ton œil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert?)

Alternativement tendre, rêveur, cruel

Réfléchit l’indolence et la pâleur du ciel.

Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés,

Qui font se fondre en pleurs les cœurs ensorcelés,

Quand, agités d’un mal inconnu qui les tord,

Les nerfs trop éveillés raillent l’esprit qui dort.

Tu ressembles parfois à ces beaux horizons

Qu’allument les soleils des brumeuses saisons…

Comme tu resplendis, paysage mouillé

Qu’enflamment les rayons tombant d’un ciel brouillé!

Ô femme dangereuse, ô séduisants climats!

Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas,

Et saurai-je tirer de l’implacable hiver

Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer?

LI. – Le chat

I

Dans ma cervelle se promène,

Ainsi qu’en son appartement,

Un beau chat, fort, doux et charmant.

Quand il miaule, on l’entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret;

Mais que sa voix s’apaise ou gronde,

Elle est toujours riche et profonde.

C’est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre

Dans mon fonds le plus ténébreux,

Me remplit comme un vers nombreux

Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux