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Comme un vomissement, remonter vers mes dents

Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes,

Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher,

J’ai senti tous les becs et toutes les mâchoires

Des corbeaux lancinants et des panthères noires

Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.

– Le ciel était charmant, la mer était unie;

Pour moi tout était noir et sanglant désormais,

Hélas! et j’avais, comme en un suaire épais,

Le cœur enseveli dans cette allégorie.

Dans ton île, ô Vénus! je n’ai trouvé debout

Qu’un gibet symbolique où pendait mon image…

– Ah! Seigneur! donnez-moi la force et le courage

De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût!

CXVII. – L’amour et le crâne

Vieux cul-de-lampe

L’Amour est assis sur le crâne

De l’Humanité,

Et sur ce trône le profane,

Au rire effronté,

Souffle gaiement des bulles rondes

Qui montent dans l’air,

Comme pour rejoindre les mondes

Au fond de l’éther.

Le globe lumineux et frêle

Prend un grand essor,

Crève et crache son âme grêle

Comme un songe d’or.

J’entends le crâne à chaque bulle

Prier et gémir:

– «Ce jeu féroce et ridicule,

Quand doit-il finir?

Car ce que ta bouche cruelle

Éparpille en l’air,

Monstre assassin, c’est ma cervelle,

Mon sang et ma chair!»

Révolte

CXVIII. – Le reniement de saint pierre

Qu’est-ce que Dieu fait donc de ce flot d’anathèmes

Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins?

Comme un tyran gorgé de viande et de vins,

Il s’endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.

Les sanglots des martyrs et des suppliciés

Sont une symphonie enivrante sans doute,

Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,

Les cieux ne s’en sont point encore rassasiés!

– Ah! Jésus, souviens-toi du Jardin des Olives!

Dans ta simplicité tu priais à genoux

Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous

Que d’ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives,

Lorsque tu vis cracher sur ta divinité

La crapule du corps de garde et des cuisines,

Et lorsque tu sentis s’enfoncer les épines

Dans ton crâne où vivait l’immense Humanité;

Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible

Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang

Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant,

Quand tu fus devant tous posé comme une cible

Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux

Où tu vins pour remplir l’éternelle promesse,

Où tu foulais, monté sur une douce ânesse,

Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,

Où, le cœur tout gonflé d’espoir et de vaillance,

Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras,

Où tu fus maître enfin? Le remords n’a-t-il pas

Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance?

– Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait

D’un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve;

Puissé-je user du glaive et périr par le glaive!

Saint Pierre a renié Jésus… il a bien fait.

CXIX. – Abel et Cain

I

Race d’Abel, dors, bois et mange;

Dieu te sourit complaisamment.

Race de Caïn, dans la fange

Rampe et meurs misérablement.

Race d’Abel, ton sacrifice

Flatte le nez du Séraphin!

Race de Caïn, ton supplice

Aura-t-il jamais une fin?

Race d’Abel, vois tes semailles

Et ton bétail venir à bien;

Race de Caïn, tes entrailles

Hurlent la faim comme un vieux chien.

Race d’Abel, chauffe ton ventre

À ton foyer patriarcal;

Race de Caïn, dans ton antre

Tremble de froid, pauvre chacal!

Race d’Abel, aime et pullule!

Ton or fait aussi des petits.

Race de Caïn, cœur qui brûle,

Prends garde à ces grands appétits.

Race d’Abel, tu crois et broutes

Comme les punaises des bois!

Race de Caïn, sur les routes

Traîne ta famille aux abois.

II

Ah! race d’Abel, ta charogne

Engraissera le sol fumant!

Race de Caïn, ta besogne

N’est pas faite suffisamment;

Race d’Abel, voici ta honte:

Le fer est vaincu par l’épieu!

Race de Caïn, au ciel monte,

Et sur la terre jette Dieu!

CXX. – Les litanies de Satan

Ô toi, le plus savant et le plus beau des Anges,

Dieu trahi par le sort et privé de louanges,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Ô Prince de l’exil, à qui l’on a fait tort,

Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui sait tout, grand roi des choses souterraines,

Guérisseur familier des angoisses humaines,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui, même aux lépreux, aux parias maudits,

Enseignes par l’amour le goût du Paradis,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Ô toi qui de la Mort, ta vieille et forte amante,

Engendras l’Espérance, – une folle charmante!

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut

Qui damne tout un peuple autour d’un échafaud.

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui sais en quels coins des terres envieuses

Le Dieu jaloux cacha les pierres précieuses

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi dont l’œil clair connaît les profonds arsenaux

Où dort enseveli le peuple des métaux,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi dont la large main cache les précipices

Au somnambule errant au bord des édifices,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui, magiquement, assouplis les vieux os

De l’ivrogne attardé foulé par les chevaux,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui, pour consoler l’homme frêle qui souffre,

Nous appris à mêler le salpêtre et le soufre,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui poses ta marque, ô complice subtil,

Sur le front du Crésus impitoyable et vil,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui mets dans les yeux et dans le cœur des filles

Le culte de la plaie et l’amour des guenilles,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Bâton des exilés, lampe des inventeurs,

Confesseur des pendus et des conspirateurs,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Père adoptif de ceux qu’en sa noire colère

Du paradis terrestre a chassés Dieu le Père,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!

Prière

Gloire et louage à toi, Satan, dans les hauteurs

Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs

De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence!

Fais que mon âme un jour, sous l’Arbre de Science,

Près de toi se repose, à l’heure où sur ton front

Comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront!

La Mort